Nouvel extrait de "la joie de vivre". Cette fois, ce sont des flots d'une autre nature qui menacent Bonneville. Car aujourd'hui, c'est tempête et grande marée !
Possible que les constructions destinées à protéger la côte ne tiennent pas...
Lazare descendit la côte, et Pauline le suivit, malgré le temps affreux. Quand ils débouchèrent au bas de la falaise, ils restèrent saisis du spectacle qui les attendait. La marée, une des grandes marées de septembre, montait avec un fracas épouvantable ; elle n'était pourtant pas annoncée comme devant être dangere se ; mais la bourrasque qui soufflait du nord depuis la veille, la gonflait si démesurément, que des montagnes d'eau s'élevaient de l’horizon, et roulaient, et s’écroulaient sur les roches. Au loin, la mer était noire, sous l’ombre des nuages, galopant dans le ciel livide.
– Remonte, dit le jeune homme à sa cousine. Moi, je vais donner un coup d’œil, et je reviens tout de suite.
Elle ne répondit pas, elle continua de le suivre jusqu'à la plage. Là, les épis et une grande estacade, qu’on avait construite dernièrement, soutenaient un effroyable assaut. Les vagues, de plus en plus grosses, tapaient comme des béliers, l''une après l'autre ; et l'armée en était innombrable, toujours des masses nouvelles se ruaient. De grands dos verdâtres, aux crinières d'écume, moutonnaient à l'infini, se rapprochaient sous une poussée géante ; puis, dans la rage du choc, ces monstres volaient eux-mêmes en poussière d'eau, tombaient en une bouillie blanche, que le flot paraissait boire et remporter. Sous chacun de ces écroulements, les charpentes des épis craquaient. Un déjà avait eu ses jambes de force cassées, et la longue poutre centrale, retenue par un bout, branlait désespérément, ainsi qu’un tronc mort dont la mitraille aurait coupé les membres. [...]
– Je disais bien, répétait Prouane, très ivre, adossé à la coque trouée d’une vieille barque, fallait voir ça quand le vent soufflerait d’en haut... Elle s’en moque un peu, de ses allumettes, à ce jeune homme!
Des ricanements accueillaient ces paroles. Tout Bonneville était là, les hommes, les femmes, les enfants, très amusés par les claques énormes que recevaient les épis. La mer pouvait écraser leurs masures, ils l'aimaient d'une admiration peureuse, ils en auraient pris pour eux l’affront, si le premier monsieur venu l’avait domptée, avec quatre poutres et deux douzaines de chevilles.
Emile Zola, La joie de vivre (1884)
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