jeudi 24 novembre 2022

Des années de honte

Yasmina Reza saupoudre ses romans de références visuelles, qu'il s'agisse de peintures (Hopper...), de prises de vue de photographes célèbres (Robert Frank en tête) ou anonymes :

En haut, il y a la toute petite tête de l'enfant. Une nuque chauve à l'exception d'une traîne de queue au milieu, des oreilles décollées, des cheveux noirs épars et filasses. Quel âge a-t-elle ? Cette robe ne lui va pas du tout. On l'a attifée et sortie dans la nuit. Je me suis tout de suite associée à cette forme en blanc embarquée pour des années de honte. Quand j'étais enfant on me faisait jolie. Je comprenais que je ne l'étais pas à l'état naturel. Mais on ne doit pas endimancher une enfant ingrate. Elle se sent anormale. Je trouvais que les autres enfants étaient harmonieux. Moi je me sentais ridicule avec des habits de vieille qui m'empêchaient de gigoter, des cheveux constamment courts (ma mère a interdit toute mon enfance les cheveux longs), aplatis en arrière avec la barrette pour contrecarrer la frisure et dégager le front. [...] Ma mère voulait que je présente bien. Ça voulait dire propre, léchée, engoncée et laide.

Yasmina Reza, Babylone (2016)

mercredi 23 novembre 2022

Le soleil est près de moi

Survol en quatre oeuvre de l'exposition Face au soleil,
actuellement au musée Marmottan.







Valdemar Schønheyder Møller, Coucher de soleil, Fontainebleau (1900)
William Turner, Mortlake Terrace (1827)
Gérard Fromanger, Le soleil inonde ma toile (1966)
Paul Signac, Le Port au soleil couchant, Opus 236 (1892)

vendredi 18 novembre 2022

Tier List "Built to Spill"


Built to Spill, ce groupe qui fleure bon le rock indé américain (bien que signé sur une major le temps de six albums). Les voici aujourd'hui chez Sub Pop, label au catalogue ô combien prestigieux.
La pierre angulaire de ce groupe à effectif changeant? Doug Martsch, chanteur, guitariste, originaire de Boise (Idaho), plutôt à l'aise dans les longs morceaux aux mélodies intriqués.
J'inclus son album solo à cette "tier list"... et mets de côté ses albums avec Calvin Johnson au sein de the Halo Benders (ce qui ne saurait vous exempter d'écouter "The Rebels Not In")


BUILT TO SPILL
-
MÉMORABLES
Perfect from Now On (1997)
Keep It Like a Secret (1999) [!]
Live (2000)


REMARQUABLES
When the Wind Forgets Your Name (2022)
Ancient Melodies of the Future (2001)
Untethered Moon (2015)


AGRÉABLES
Doug Martsch - Now you know (2002)
There is No Enemy (2009)
Ultimate Alternative Wavers (1993)
You in Reverse (2006)
+
the normal years (1996)
There's Nothing Wrong with Love (1994)


DISPENSABLES
Built to Spill plays the songs of Daniel Johnston (2020)


(*) Parmi mes disques favoris, tout groupe / artiste confondu
(**) très bons albums
(***) bons albums
(****) moins réussis / plus inégaux
[!] album par lequel j'ai connu le groupe

Note : A priori, rien d'ébouriffant, dans ce classement pour qui connaît le groupe, à l'exception peut-être de "there's nothing wrong with love" si bas... et "ancient melodies of the future" si haut

Note 2 : pour aller plus loin, on pourra notamment aussi écouter
the Halo Benders

mardi 15 novembre 2022

Les drames de la vie courante

"Ma mère est morte il y a dix jours."
Ce n'est pas la première phrase du roman (façon Camus), mais c'est l'entame que je choisis pour vous rapporter des extraits d'un autre roman de Yasmina Reza, son troisième : "Babylone".
Un livre absurde, drôle, triste et profond que j'aurais aimé écrire !
L'autrice rejoint ainsi les plumes dont je me réclamerais si je me lançais dans l'écriture : Raymond Queneau, Georges Perec et Pascal Garnier.

Ma mère est morte il y a dix jours. Je ne la voyais pas tellement, ça ne change pas grand-chose dans ma vie sauf que quelque part sur la terre il y avait ma mère. Hier j'ai reçu l'aide-soignante qui s'occupait d'elle les derniers temps et à qui je devais de l'argent. Une femme énorme qui m'a toujours effrayée et qui parle en soufflant. Elle avait entendu parler du drame de l'immeuble et s'est montrée avide d'en connaître les détails. Déçue par ma réserve, et tout en croquant une galette St-Michel, elle a embrayé sur l'histoire d'une boulangère de Vitrolles qui avait tué ses enfants la veille de Noël. Dans la nuit la boulangère avait empaqueté les cadeaux, les avait mis sous le sapin puis elle était allée dans la chambre de son fils et avait appuyé l'oreiller sur son visage jusqu'à ce qu'il étouffe. Ensuite elle était allée dans la chambre de sa fille et avait fait exactement la même chose. L'aide-soignante a dit, elle a empaqueté les cadeaux, elle les a mis sous l'arbre et dans la foulée elle est montée supprimer les gosses. Elle a dit, moi ce qui ne me va pas, c'est qu'on vous apprend tout ça et après silence de mort. Vous entendez l'histoire sur toutes les chaînes et après zéro, plus rien. On vous appâte et on vous ferme la porte au nez. Les guerres, les massacres, c'est trop global, a-t-elle dit en reprenant une galette, moi le global, ça ne me fait pas grand-chose. Ça ne me sort pas de moi-même. Les drames de la vie courante si. Ça remplit la journée. On en discute. On ne pense plus à ses misères. Je ne dis pas que ça console mais dans un sens si. Pourquoi elle a mis les cadeaux sous l'arbre d'après vous ? On s'entendait bien avec votre maman, qu'est-ce qu'elle était gentille cette femme !
— Oui, oui.

Yasmina Reza, Babylone (2016)

mardi 8 novembre 2022

Not like the typical music festival (Part. 2)

Mais quel est donc cet "autre festival de rêve auquel je n'irai jamais" ?
Le festival organisé par mon groupe pref' des 10s, j'ai nommé le Woodsist Festival.
Il me semble que le line-up de cette année (comme des autres) parle de lui-même :


waxahatchee / Guided By Voices / Bill Callahan / Woods / sun ra arkestra / The Feelies / medeski martin Duo / Pachyman / Mind Maintenance / Laraaji / myriam gendron / mary lattimore / bonny doon / the reds, pinks & purples / dj jocelyn romo / tubby’s djs

Belle cohérence au rendez-vous, dans la mesure où Woodsist est aussi une maison de disques de qualité.


Fondé en 2009 d'abord en Californie (cf. photo ci-dessus), le festival s'est depuis déporté sur la côte Est, dans l'état de New York. Il se tient aujourd'hui dans une ferme / brasserie, à "Accord" :


Visiblement, la jauge réduite et l'ambiance est bonne.
Tous les critères sont donc réunis pour faire de ce festival l'endroit rêvé... pour peu qu'on soit disponible courant septembre.


Crédits photos Dave Scholten


lundi 7 novembre 2022

We are someone else

My name is Phil Elverum and I live at xxxxxxxxxxx
My family, the Lowman family, has been in Anacortes since the 1800s.  For future generations and for this present moment, I care deeply about this place and what we mean when we say “Anacortes”.
 

[Pour le contexte, reportez-vous s'il vous plaît au précédent article de ce blog]
J’ai déniché le fac simile de cette déclaration de Phil Elverum (Mt. Eerie, The Microphones) au conseil municipal d'Anacortes (WA) sur le tumblr anacortesunknown.tumblr.com, essentiellement dédié à la vie du projet culturel du même nom, à vocation locale. Le texte n’était donc nullement destiné à diffusé en dehors de ce cadre, et c’est moi-même qui l’en extrais. Pourquoi ? Pour l’anecdote, et parce qu’il car me paraît révélateur de l'artiste.

Son objet? Protester contre l'implantation d'une grande surface (« Box store ») .


It seems to me that you, the city council, basically have 2 jobs:  

One is managing a large complicated business, “the City of Anacortes”.  Seemingly the entirety of these city council meetings is often taken up by these economic questions of budget and expense, surplus and deficit.  It’s a big math problem and is certainly necessary and deserving of focus, but it is only half of the project.

Your other job is less tangible and less related to quantifiable results.  You are responsible for representing the spirit of the population and steering the constantly changing identity of our town, in a cultural and poetic way, towards an ideal community.  I imagine it’s difficult to hear yourself think when it’s time to consider these questions, considering how loud and unscrupulous the voice of money is.  In a situation like this, you ask the community for guidance.  

Judging from the response at the last meeting, not to mention the reactions from the community when similar proposals arise every few years, the answer seems extremely clear.  We do not want this.  A large box store is not who we are.  We are someone else. 

Having traveled around North America almost constantly as a touring musician for the past 15 years, I have become attuned to the varying sensations of first entering different towns. Most places don't feel like anywhere. Just the usual cubes and logos, cars and anonymity. There are some rare exceptions still though; places that have managed to hold on to a sense of character through the challenging economic eras that every place endures. Anacortes is one of those magical exceptions, for now. We are lucky to be remote enough from the freeway and perhaps stubborn enough to have evaded large scale corporate colonization so far. This means that Anacortes is a place that feels like a place. We have something that is rare and precious.

dimanche 6 novembre 2022

Not like the typical music festival (Part. 1)

Critères constitutifs d’un festival musical idéal (selon moi) :
- jauge restreinte (donc à taille humaine)
- bonne programmation
- bonne ambiance
- cadre appréciable

Le troisième point pouvant aller jusqu'à une proximité entre public et artistes, ainsi qu'entre artistes (je pense par exemple au Mo#Fo 2003).

Relevons tout de même que je peux me satisfaire d'un festival ne réunissant que trois de ces critères. Les remplir tous induit un but non lucratif et une programmation à la fois pointue et cohérente.

Des exemples ?
Peut-être le "What the heck" festival à Anacortes (WA), auquel j'ai longtemps rêver me rendre. Si vous suivez assidûment ce blog, le nom de cette ville située entre Seattle et Vancouver (donc en face de Victoria) ne vous est pas inconnu. Lieu de résidence de Ryland Bouchard [the Robot Ate Me] que j'interviewais il y a 10 ans... et de Phil Elverum [the Microphones / Mt Eerie].


Ce dernier est d'ailleurs l'un des cofondateurs de ce festival, fondé en 2002. L'idée de départ était simplement d'ouvrir une scène dans le cadre de la grande braderie annuelle d'Anacortes.
Et puis le projet s'est étoffé, jusqu'à de bien belles affiches : Calvin Johnson, Mount Eerie, YACHT, The Blow, Laura Veirs, Little Wings, Thanksgiving, Karl Blau, D+, Earth, Arrington de Dionyso, Wolves in the Throne Room, Kimya Dawson, Grouper, No Kids, Ô Paon, Mirah, Tara Jane O’Neil...




Laissons Phil en parler :
From 2002 to 2011 we held a weekend festival of music and other stuff every 3rd weekend in July at various spaces in Anacortes, Washington. It was called “What The Heck? fest”. People came from all over and it was awesome. It was not like the typical music festival, with beer sponsors and dehydration rehab tents and golf carts for the bands. It was a small town version where everyone hangs out together and discovers new slang and eats food. 

En 2011, le festival laissera la place aux "Anacortes Unknown Music Series” (Quatre éditions entre 2012 et 2014)... Et puis plus rien jusqu'à un éphémère retour à la vie du WTH fest en 2019, en même temps que Phil Elverum réactivait "The Microphones".

Heureusement, j'ai depuis trouvé un autre festival de rêve auquel je n'irai jamais !
La suite, demain prochainement...

D’ici là, vous pouvez :
- regarder ce court documentaire, feat. Phil Elverum et feu Geneviève Castrée 
- parcourir le tumblr des "Anacortes Unknown Music Series" pour y voir Phil et sa clique, percevoir leur investissement ainsi que l'attachement à leur ville