L'opposition entre le travail et la liberté est ce qui détermine Jérôme et Syvlie.
Dans "Les choses", deux modes de vie sont en opposition. Il y a ceux qui, comme eux, "ne veulent que vivre, appelent vie la liberté la plus grande, la seule poursuite du bonheur"... et ceux "qui choisissent de gagner d'abord de l'argent, qui réservent pour plus tard, pour quand ils seront riches, leurs vrais projets"... Qu'arrive-t-il alors?
Dans "Les choses", deux modes de vie sont en opposition. Il y a ceux qui, comme eux, "ne veulent que vivre, appelent vie la liberté la plus grande, la seule poursuite du bonheur"... et ceux "qui choisissent de gagner d'abord de l'argent, qui réservent pour plus tard, pour quand ils seront riches, leurs vrais projets"... Qu'arrive-t-il alors?
Hélas, quand il est au bout de ses peines, le jeune homme n'est plus si jeune, et, comble de malheur, il pourra même lui apparaître que sa vie est derrière lui, qu'elle n'était que son effort, et non son but et, même s'il est trop sage, trop prudent - car sa lente ascension lui aura donné une saine expérience - pour oser se tenir de tels propos, il n'en demeurera pas moins vrai qu'il sera âgé de quarante ans, et que l'aménagement de ses résidences principale et secondaire, et l'éducation de ses enfants auront suffi à remplir les maigres heures qu'il n'aura pas consacrées à son labeur...
Cette voie est néanmoins suivis par la plupart des amis du couple:
L'un après l'autre, presque tous les amis succombèrent. Au temps de la vie sans amarres succédaient les temps de la sécurité. Nous ne pouvons pas, disaient-ils, continuer toute notre vie comme ça. Et ce comme ça était un geste vague, tout à la fois: la vie de patachon, les nuits trop brèves, les patates, les vestes élimées, les corvées, les métros.
Petit à petit, sans y prendre vraiment garde, Jérôme et Sylvie se retrouvèrent presque seuls. L'amitié n'était possible, leur semblait-il, que quand ils se tenaient les coudes, quand ils menaient la même vie. Mais qu'un couple soudain acquière ce qui pour l'autre était presque la fortune, ou la promesse d'une fortune à venir, et que l'autre, en retour, privilégie sa liberté conservée, c'étaient deux mondes qui semblaient s'affronter. Ce n'étaient plus des brouilles passagères, mais des failles, des scissures profondes qui ne se refermeraient pas d'elles-même [...]
Jérôme et Sylvie furent sévères, furent injustes. Ils parlèrent de trahison, d'abdication. Ils se plurent à assister aux ravages foudroyants que l'argent, disaient-ils, creusait chez ceux qui lui avaient tout sacrifié, et auxquels, pensaient-ils, ils échappaient encore. Ils virent leurs anciens amis s'installer, presque sans peine, presque trop bien, dans une hiérarchie rigide, et adhérer, sans recul, au monde dans lequel ils entraient. Ils les virent s'aplatir, s'insinuer, se prendre au jeu de leur propre monde: celui qui justifiait, en bloc, l'argent, le travail, la publicité, les compétences, un monde qui valorisait l'expérience, un monde qui les niait, le monde sérieux des cadres, le monde de la puissance.
Petit à petit, sans y prendre vraiment garde, Jérôme et Sylvie se retrouvèrent presque seuls. L'amitié n'était possible, leur semblait-il, que quand ils se tenaient les coudes, quand ils menaient la même vie. Mais qu'un couple soudain acquière ce qui pour l'autre était presque la fortune, ou la promesse d'une fortune à venir, et que l'autre, en retour, privilégie sa liberté conservée, c'étaient deux mondes qui semblaient s'affronter. Ce n'étaient plus des brouilles passagères, mais des failles, des scissures profondes qui ne se refermeraient pas d'elles-même [...]
Jérôme et Sylvie furent sévères, furent injustes. Ils parlèrent de trahison, d'abdication. Ils se plurent à assister aux ravages foudroyants que l'argent, disaient-ils, creusait chez ceux qui lui avaient tout sacrifié, et auxquels, pensaient-ils, ils échappaient encore. Ils virent leurs anciens amis s'installer, presque sans peine, presque trop bien, dans une hiérarchie rigide, et adhérer, sans recul, au monde dans lequel ils entraient. Ils les virent s'aplatir, s'insinuer, se prendre au jeu de leur propre monde: celui qui justifiait, en bloc, l'argent, le travail, la publicité, les compétences, un monde qui valorisait l'expérience, un monde qui les niait, le monde sérieux des cadres, le monde de la puissance.
George Perec, Les choses (1965)
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