dimanche 21 juillet 2024

(Tout) recommencer

 "Un jour sans fin", "un jour sans lendemain"... deux films radicalement différents, mais dont le scénario repose sur une "boucle temporelle". Le concept a pour mérite d'être simple, moins fumeux et donc casse-gueule que celui de voyage dans le temps, qui peut aboutir au choix à des histoires bancales, ou incompréhensibles.

Prenons le deuxième ("Edge of Tomorrow" en version originale). Un soldat (Tom Cruise) se retrouve au front, à l'aube d'une bataille acharnée contre des forces extra-terrestres. A chaque mort, il reprend invariablement connaissance au début de la journée. Fort de ses souvenirs et expériences accumulés, il augmentera à chaque itération ses aptitudes physiques et tactiques, son savoir... et sa prescience (c'est-à-dire sa faculté d'avoir une connaissance parfaite et millimétrée de ce qui va survenir).


Live. Die. Repeat.
L'affiche du film annonce clairement le programme... qu'avec un peu de recul on ne peut s'empêcher de rapprocher d'une mécanique bien connue du jeu vidéo : jouer, mourir et recommencer (un combat, une partie) jusqu'à ce qu'on soit devenu suffisamment fort ou habile pour poursuivre son chemin et atteindre la difficulté suivante (exemple trivial : "Super Mario Bros"). Lorsque l'échec et la mort sont inévitables et par conséquent nécessaires pour passer une épreuve, on parle en terminologie vidéoludique de "Die and Retry" (exemple : "Darks Souls", et dans un autre style "12 Minutes"... qui lui met clairement en scène une boucle temporelle). 


"La mort dans les jeux-vidéos, trois fois par pièce" (*)
Mais pourquoi diable la mort est-elle est aussi banale dans les jeux vidéo ? C'est qu'elle en est constitutive. Les premiers jeux prenaient la forme de bornes d'arcades, et les parties étaient payantes. Dans une logique de rentabilité, il fallait donc que le jeu soit suffisamment difficile pour que le joueur perde rapidement (après avoir épuisé ses "vies"). Il pouvait ainsi libérer la place pour d'autres ("game over")... ou souhaiter prolonger le plaisir en introduisant une nouvelle pièce ("continue").



Maintenant que nous avons fait le lien intellectuel entre les time loops au cinéma et la logique vidéoludique, revenons au film emblématique "Un jour sans fin" ("Groundhog Day" en VO). Le cas est plus intéressant, car plus vaste : aucun objectif, aucune finalité ne s'impose ni au spectateur, ni au personnage principal (Bill Murray), coincé un 2 février. Le cadre n'est pas celui d'une progression linéaire (ou à embranchements finis) ; ce n'est rien moins que la vie normale, banale... avec une infinité de variations. On se plaît à imaginer en retour un jeu dans un monde ouvert dopé à l'IA qui mettrait en scène ce vertige de possibilités, dont seule une poignée permettrait de rompre la boucle !


IRL
Quid de la vraie vie ? Pour qu'elle ne soit pas aliénante, une boucle temporelle se devrait d'être contrôlée.


- I'm constantly pitching you ideas, Rick, and you act like they're not even worth thinking about! What about my video-game-style place-saving device?

- Oh, my God, here we go.

- It's a good idea, Rick! A device that lets you...

- ... save your place like in a video game, but in real life so that you can try stuff and then go back to your save point, yes, Morty, I saw it on "Futurama"

Nous en sommes rendus au concept de "sauvegarde" (généralisé avec l'arrivée du jeu-vidéo dans les maisons). Cet épisode de Rick & Morty est particulièrement bien mené, puisqu'il dépasse rapidement l'usage anecdotique d'une telle fonctionnalité, pour déboucher sur des questions que tout à chacun pourra se poser, et résultant principalement des limites de l'invention de Rick. Deux boutons : le premier pour réaliser une unique sauvegarde, définitivement perdue au déclenchement de la suivante, le second pour revenir à l'état sauvegardé

Et vous, quand auriez vous sauvegardé ? Le plus tôt possible, pour pouvoir avoir "plusieurs vies" (au risque de ne pas recréer les conditions de rencontrer les mêmes personnes) ? Ou bien un peu plus tard, pour parfaire ce que vous estimez déjà être "votre meilleure vie", et éviter certains écueils ? Avec la crainte que la sauvegarde porte déjà le germe d'une situation inéluctable.


Un jour sans finHarold Ramis (1993)
Edge of Tomorrow, Doug Liman (2014)
Rick and MortyThe Vat of Acid Episode (S04E08, (2013), Mike McMahan
Futurama, Meanwhile (S07E26, 2013)
(*) Diabologum, 365 jours ouvrables (#3, 1996)

mardi 16 juillet 2024

Movie poster of the week

Chouette poster et grand film, un petit côté "Under the Skin" pour l'étrange qui côtoie la normalité, et on pourra penser aussi parfois penser à Interstellar et Cronenberg. Film saisissant !


Pendant ce temps sur terre, Jérémy Clapin (2024)

samedi 13 juillet 2024

There's no other side

Extrait impromptu de "Curb your enthusiasm" (qui parlera d'avantage à celles et ceux qui connaissent la série). Dialogue entre Larry David et sa femme Cheryl

— I'm leaving. I'm leaving, Larry. I can't do this anymore.

— You can't do this? What? What? What? What are you t...

— Does that really surprise you?

— What do you mean you're leaving? What are you doing?

[...]

— You know what the thing is, larry? People ask me all the time, "how do you stay with him?" and I always tell them, "there's another side to larry that you don't see." And then I just realized today there's no other side.

— No, there's another side.

— There's no other side! This is it!

— There's a lot of sides. I'm complex!

Larry DavidS06E07 The TiVo Guy 
Curb Your Enthusiasm (1999)

jeudi 4 juillet 2024

Premier jour

Tugdual prit place au sein du bureau 703 où une table, un ordinateur, trois crayons à l'effigie du cabinet, un bloc, une corbeille, une horloge et une vue sur la cour tenaient lieu d'accessoires et de décor. Toute la journée, il resta à sa table, sans trop oser s'aventurer dans le couloir, l'esprit papillonnant de la cour à la page d'accueil de son écran d'ordinateur et les globes oculaires tournant bientôt au rythme des aiguilles qui lui faisaient face. Dans le couloir, le silence était religieux et, de ses quelques allers-retours à la machine à café, il conclut que la plupart des bureaux voisins étaient inoccupés, et que les rares consultants qu'il croisait étaient de fieffés malotrus, à répondre inlassablement à ses salutations chaleureuses par un drôle de rictus. Comme lors de son test d'aptitudes, Tugdual attendit sagement qu'on voulût bien lui donner du travail. Il attendit trois ans.

Pierre Darkanian, le rapport chinois (2021)

lundi 1 juillet 2024

Du consentement

“Do you consent?” she said
I was scared and I said yes

(extrait des paroles de la chanson du précédent article)

La notion récemment popularisée de "consentement" est à l'évidence primordiale dans l'éducation des filles et (surtout) des garçons. Certains pays tendent à l'inclure à la définition du viol dans leur législation, ce qui a d'ailleurs porté à débat en France.

Le bien fondé de cette démarche paraît trivial, j'ai été toutefois intéressé par cet article de blog rédigé par une avocate alertant sur les effets pernicieux de rendre cette question centrale.

Signalons d'abord que la formulation du viol (et de l'agression sexuelle) dans la française par "violence, contrainte, menace ou surprise" est généralement jugée bonne. Ensuite, inclure la notion de "consentement" induirait de faire de la parole et des actes de la victime la notion cardinale... alors que c'est déjà LA question privilégié lors de tout dépôt de plainte. Quand bien même il faudrait viser ausculter le comportement de l'agresseur (le jour J mais également en amont). "Remettre le violeur au centre du viol." conclut l'article.

Ma conclusion personnelle est que la notion de "consentement" ne saurait être suffisante pour définir un viol ou une agression. A y regarder de plus près, les législations où elle a récemment fait son entrée la complète. Ainsi en Espagne :

[...] sont en tout cas considérés comme des agressions sexuelles les actes à contenu sexuel réalisés en utilisant la violence, l'intimidation ou l'abus d'une situation de supériorité ou de vulnérabilité de la victime, ainsi que ceux réalisés sur des personnes privées de sens ou dont l'état mental est abusé et ceux réalisés lorsque la volonté de la victime est annulée pour quelque raison que ce soit.
Source: Article 178
[traduction automatique, désolé]

et en Suède :
Il en va de même pour quiconque accomplit un acte sexuel avec une personne qui, en raison de son inconscience, de son sommeil, de l'influence de l'alcool ou de drogues, d'une maladie, d'une blessure physique ou d'un trouble mental ou autre, se trouve dans une situation particulièrement vulnérable.

Est également coupable de viol quiconque accomplit un acte sexuel avec une personne dans des circonstances où, compte tenu des circonstances, il est évident que l'autre personne n'y participe pas volontairement.

Source: Chapitre 6
[traduction automatique, désolé]

Ces compléments seraient déterminants s'il s'agissait de juger le cas rapporté en exergue.