Ultime extrait du texte écrit et lu par Franck Beauvais dans son film "Ne croyez surtout pas que je hurle".
Un vieil ami ne fait parvenir une photographie de moi prise il y a plus de vingt ans, dans la cage d'escalier de son immeuble parisien. Je reconnais vaguement ce jeune homme, fraîchement échappé de l’adolescence, aux joues pleines et au large sourire, encore un peu rose, l'air affable et insouciant. Je me remémore ses certitudes, sa satisfaction d’avoir tourné le dos à la grise province militaire dont il est issu, sa gourmandise de rencontre, de découvertes, de plaisir. Les yeux sombre mais luisant qui trahissent une assurance feinte et un soupçon de malice. J’éprouve un sentiment bizarre face à cette image déjà ancienne. Aucune nostalgie mais plutôt de la surprise. Je m’étais un peu oublié, moi qui ne possède aucun cliché des trente dernières années, et j’avais occulté le souvenir d’une soif de vivre, depuis totalement dissipée. Trois jours plus tard, le même ami est victime d’un infarctus alors qu’il découpe des légumes dans sa cuisine. Je crois d’abord à une mauvaise blague. Mais non. Par chance, il est sauvé à temps. J’ai longtemps vécu à l’abri du deuil, sans qu’aucun reproche ne me soit arraché. Avec le temps qui passe, l’assaut de l’âge, et depuis la disparition de mon père, je ne peux me défaire de l'impression que la mort et la maladie maraudent désormais autour de moi, me contraignent à me familiariser avec elle, à admettre la vulnérabilité des autres et la mienne. Partir. Voir partir. Me dire qu'être adulte, c’est probablement aussi apprendre à composer avec l’inéluctable.
Frank Beauvais, Ne croyez surtout pas que je hurle (2020)
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