Tchernobyl est souvent considéré comme le début de la fin de l'URSS. Dans la série du même nom, on y voit un pouvoir arc-bouté sur un discours officiel, des voies dissonantes menacées d'élimination (administrative, sociale ou physique), des livres interdits ou amputés de pages gênantes...
Autant de pratiques à leur paroxysme à l'époque des procès de Moscou sous Staline, et qui font du roman "le Zero et l'Infini" un complément idéal du visionnage de la série.
C'était au moment où se préparait le second grand procès de l'opposition. L'air de la légation s'était étrangement raréfié. Photographies et portraits disparaissaient des murs du soir au matin ; ils y étaient depuis des années, personne ne les regardait, mais à présent les tâches claires sautaient aux yeux. Le personnel bornait ses conversations aux affaires du service ; on se parlait avec une politesse prudente et pleine de réserve. Aux repas, à la cantine de la légation, où les conversations étaient inévitables, on s’en tenait aux clichés officiels, qui, dans cette atmosphère familière, semblaient gauches et grotesques ; on aurait dit qu'après s’être demandé le sel et la moutarde, ils se hélaient mutuellement avec les slogans du dernier manifeste du Comité central. Il arrivait souvent que quelqu'un protestât contre une fausse interprétation de ce qu’il venait de dire, et prît ses voisins à témoin, avec des exclamations précipitées : « Je n'ai pas dit cela », ou : « Ce n'est pas ce que je voulais dire. » Tout cela donnait à Roubachof l'impression d'un théâtre de marionnettes bizarre et cérémonieux dans lequel les pantins, montés sur fil de fer, récitaient chacun sa tirade. Seule Arlova, avec son allure silencieuse et endormie, semblait rester elle-même.
Non seulement les portraits sur les murs, mais aussi les rayons de la bibliothèque furent décimés. La disparition de certains livres se faisait discrètement, généralement le lendemain de l'arrivée d’un nouveau message d’en haut.
Arthur Koestler, le Zéro et l'Infini (1945)
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