dimanche 10 juillet 2022

Les hommes n'ont pas de morale du verbe

Premier contact fort engageant avec l'œuvre de Yasmina Reza. Du post-Céline, certes, où l'on croise des individus qui se débattent avec ce qu'ils sont, avec les autres, et avec le monde. Déjà, un roman dans lequel une personne est qualifiée d' "atrocement enjouée", ou dont le personnage principale se dit trop "pris par le temps, par d'autres affaires, par l'empêchement mental c'est-à-dire son égoïsme à vomir" semble fait pour me plaire.
Premier extrait.

Peggy Wigstrom était restée sagement tapie dans les pensées de chacun jusqu'à la route de Zurbigén où il avait suffi d'un mot malheureux pour la faire ressurgir. Mais Serge avait juré. Juré sur la tête de sa fille qu'il ne couchait pas avec Peggy Wigstrom. Elle l'avait cru. On ne jure pas sur la tête de sa propre fille si ce n'est pas vrai. Il faudrait s'interroger sur l'incessante crédulité des femmes. Depuis la nuit des temps les hommes disent n'importe quoi.

Les hommes n'ont pas de morale du verbe. Les mots ne pèsent rien. À peine prononcés ils s'envolent telles des bulles et éclatent doucement dans l'air. Qui s'en soucie? Si un problème survient on corrige avec d'autres mots qui s'envoleront également, et ainsi de suite. Jure sur la tête de Joséphine, a dit Valentina. Sur la tête de Joséphine, a répété Serge sans la moindre hésitation et peut-être même du ton de l'offensé avant de n'en pas dormir et de s'imposer je ne sais quel Golgotha purificateur. Valentina l'a cru. La soirée était sauvée et Peggy Wigstrom a retrouvé sa place dans l'ombre.

Yasmina Reza, Serge (2021)
 

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