Les relations entre Solène et son frère ont toujours été compliquées. Dès la naissance de Gabin, une culpabilité sourde s'est infiltrée dans le couple et les jeunes parents ont surprotégé leur fille. Pour Solène, le déménagement est définitivement associé à l'arrivée de son frère. C'est à cause de lui qu'ils sont venus vivre ici. À cause de lui qu'elle doit partager, faire une place. Solène le voit comme un poids, une erreur, un papillon ridicule qu'on se ferait bêtement tatouer sur la cheville le jour de ses dix-huit ans. D'ailleurs, on ne compte plus les Playmobil Country ou les Petshop venus monnayer les jalousies, le Rubik's Cube ou les Kapla récompensant un geste aimant envers le petit frère, et même, plus récemment, des tops à bretelles ou des bracelets. Gabin reste ce grain de hasard qui enraye la machine. Elle se dit que sans lui sa vie n'aurait connu que des moments de bonheur. Souvent, elle imagine une route dans les Alpes, son frère en voyage avec l'école, la plaque de verglas, l'embardée, la barrière de sécurité qui ploie et stoppe violemment le véhicule, le pare-brise soufflé, en mille morceaux. À la fin, seul Gabin passe à travers. Son corps est éjecté, mais avant de s'écraser sur la roche glacée il flotte dans les airs quelques secondes au-dessus des conifères, dans un silence sentencieux.
Florent Marchet, Le Monde du vivant (2020)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire