Deux soeurs, deux rapports au corps... Un court passage de "Dans la forêt", par Jean Hegland, roman d'anticipation, étonnamment d'actualité, lu sur la seule foi d'une jolie couverture et d'un bandeau aperçus en librairie.
Eva est toujours foncièrement elle-même. Quand elle se regarde dans les miroirs qui tapissent les murs de son studio, elle étudie son reflet sans la vanité des danseuses ni leurs critiques compulsives. Elle croise son propre regard avec la même candeur qu'elle croise celui de n'importe qui, tandis que j'examine le mien minutieusement, l'implore humblement, affecte la modestie. J'aspire mes joues pour que mes pommettes soient plus saillantes. Je regrette que mon nez ne soit pas plus fin et mon menton moins rond. J'admire l'indigo de mes yeux et m'entraîne à sourire sans qu'on voie mes dents. J'essaie d'imaginer que je suis quelqu'un d’autre qui me regarde.
La question que je pose sans fin à mon reflet, c'est: qui es-tu? Mais cela ne viendrait jamais à l'esprit d'Eva de se demander qui elle est. Elle se connaît jusque dans les moindres os de son corps, les moindres cellules, et sa beauté n'est pas un ornement ; c'est l'élément dans lequel elle vit.
Jean Hegland, Dans la forêt (1996)
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