Impressionnante scène au cours de laquelle le cérébral et expérimenté Roubachof affine le portrait de son voisin de cellule, à mesure qu'ils perçoit d'infimes détails.
Peut-être le N° 402 était-il un docteur, ou un ingénieur politique [...]. Il n’avait certainement pas d'expérience politique, ou il n’aurait pas commencé par demander le nom. Évidemment en prison depuis un certain temps, il s’est perfectionné dans l’art de frapper au mur, et il est dévoré du désir de prouver son innocence. Il est encore imbu de cette croyance simpliste, que sa culpabilité ou son innocence subjective ont la moindre importance ; il n’a aucune idée des intérêts supérieurs qui sont réellement en jeu. Selon toute probabilité il est à présent assis sur sa couchette, à écrire sa centième protestation aux autorités qui ne la liront jamais, ou sa centième lettre à sa femme qui ne la recevra jamais ; de désespoir il s'est laissé pousser la barbe – une barbe noire à la Pouchkine –, il ne se lave plus et il a contracté l'habitude de se ronger les ongles et de se livrer à des excès érotiques. Rien de pire en prison que d'avoir conscience de son innocence ; cela vous empêche de vous acclimater et cela vous sape le moral…
Arthur Koestler, le Zéro et l'Infini (1945)
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