J'étais si préoccupé que dans ma pensée l'image que je me faisais de moi-même s'était modifiée. Jusqu'alors je m'étais considéré comme un intellectuel, un homme cultivé et un écrivain de théâtre, genre d'art pour lequel j'avais toujours nourri une grande passion et auquel je croyais être porté par une vocation innée. Cette image morale, si je puis dire, se reflétait sur mon image physique : je me voyais comme un jeune homme dont la maigreur, la myopie, la nervosité, la pâleur, la tenue négligée, témoignaient par avance de la gloire littéraire à laquelle il était destiné. Mais à ce moment de mon existence, sous la préoccupation de mes cruelles incertitudes, cette image si pleine de charme et de promesses fit place à une autre toute différente [...] je n'étais plus le jeune génie de la scène, encore inconnu, mais le famélique publiciste, collaborateur de revues ronéotypées et de journaux de second plan ; ou peut-être — et c'était pire encore — le médiocre employé de quelque établissement privé ou d'une administration d'Etat.
Le Mépris, Alberto Moravia (1963)
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