Le problème de l’attente — Il faut d’heureux hasards et nombre de circonstances imprévisibles pour qu’un homme supérieur en qui sommeille la solution d’un problème parvienne à agir au bon moment, parvienne, pourrait-on dire, à « opérer sa percée » lorsque l’heure est venue. Cette chance, ordinairement, ne se produit pas, et on trouve aux quatre coins du monde des hommes qui attendent, qui savent à peine combien ils attendent et encore moins qu’ils attendent en vain. Il arrive aussi que l’appel, ce hasard qui donne « permission » d’agir, survienne trop tard, lorsque la meilleure partie de la jeunesse et l’énergie nécessaire pour agir se sont déjà usées dans l’inaction; et combien ont senti avec horreur, au moment où ils « s’éveillaient en sursaut », que leurs membres restaient engourdis, que leur esprit était devenu trop pesant! « Il est trop tard », se dirent-ils alors, devenus sceptiques sur leur compte et désormais inutiles pour toujours. Le « Raphaël sans mains », ce mot étant pris en son sens le plus large, ne serait-il pas la règle au royaume du génie, et non pas l’exception? Le génie n’est peut-être pas tellement rare, mais les cinq cents mains qu’il lui faut pour dompter [...] « l’instant favorable ».
Nietzsche, Par-delà bien et mal (1886)
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