samedi 22 février 2014

Nul ne devait plus pouvoir lui arracher cette conquête

Nous avions laissé K. exténué, après une longue marche dans la neige. Il récupérera rapidement ses forces, plus qu'utiles vu l'énergie qu'il est nécessaire de déployer face aux barrières administratives auxquelles il est confronté.

J'aurais voulu reproduire un passage illustrant ces difficultés (notamment lors de son entrevue avec le maire du village), mais je ne vois rien de bien blogogénique. Sans doute les extraits du "Procès" qui suivront rempliront-ils cet office. 

Comme dans un mauvais rêve, on a l'impression que, quels que soient les efforts investis, aucune avancée ne pourra résulter d'aucun dialogue, tant l'incompréhension entre K. et les locaux est grande. Si l'arpenteur est ouvert au dialogue, il se heurte à des interlocuteurs lui assénant des vérités, et répondant de manière toujours biaisée à ses questionnements rationnels, visant avant tout à comprendre les raisons intrinsèques de telle ou telle impossibilité (afin de les mieux contourner)
Malheureusement, on lui oppose toujours ce genre d'arguments :

Vous êtes terriblement ignorant de toutes les choses d'ici, on est saisi de vertige à vous entendre, quand on compare ce que vous dîtes et pensez avec la situation réelle. Cette ignorance ne peut pas se corriger en une fois, elle ne le pourra peut-être jamais, mais il y a bien des choses qui peuvent aller mieux si vous me croyez seulement un tout petit peu et si vous voulez vous représenter sans cesse la gravité de cette ignorance.

Je répète qu'il s'agit d'un roman "à ambiance". A cet égard, ça n'est presque pas très grave qu'il soit inachevé (Eh, oui)

Cette introduction étant faite, vous comprendrez mieux qu'on retrouve une nouvelle fois K. quelques pages plus loin terriblement épuisé, luttant contre le sommeil, alors même qu'il a enfin réussi à entrer en contact avec un fonctionnaire du château.
La scène se passe lors d'un "interrogatoire de nuit", dans la chambre d'un certain Bürgel.

K lutte contre le sommeil... Sensation bien connue pour qui s'est retrouvée dans une réunion soporifique post-prandiale.

K. [...] ne distinguait même pas les demandes que Bürgel faisait pour avoir une réponse et celles qui n’étaient qu’une fiction. Si tu me laisses coucher dans ton lit, pensait-il à part soi, je te donnerai demain à midi toutes les réponses que tu voudras ; ou le soir si tu préfères ; ce sera même encore mieux. Mais Bürgel ne semblait pas lui prêter attention, il était trop occupé de la question qu’il s’était posée à lui-même.


J'ai déjà pensé ça, moi aussi.
"Juste, laissez-moi sortir et fermer les yeux 15 minutes, et je reviens d'attaque pour la suite !"
Et quel bien-être cela doit être de pouvoir laisser le sommeil gagner en de tels moments !
C'est usuellement malheureusement impossible.
En résultent des micro-absences :

K fut tiré par cette question du demi-sommeil où il baignait depuis un instant. « Pourquoi tout cela ? Pourquoi tout cela ?» se demandait-il en regardant Bürgel d’un regard qui filtrait avec difficulté entre ses paupières à demi-fermées, non comme un fonctionnaire discutant avec lui de questions hautement délicates, mais comme un vague objet qui l'empêchait de dormir, et à quoi il n’eût pu découvrir d’autre usage.


K. cessera rapidement de lutter.

Il dormait ; ce n’était pas d’un sommeil véritable ; Il entendait les discours de Bürgel peut-être plus nettement qu’éveillé, dans l’accablement de la fatigue ; il distinguait chaque mot, mais du fond d’une âme inconsciente, adieu son importune conscience, il se sentait parfaitement libre, Bürgel ne le retenait plus, le sommeil avait fait son œuvre, s’il n’était pas au fond du gouffre il était déjà submergé. Nul ne devait plus pouvoir lui arracher cette conquête. Il lui semblait qu’il venait de remporter un triomphe et que déjà toute une société se trouvait là pour le célébrer ; il levait son verre de champagne en l’honneur de cette victoire (si ce n’était lui, c’était un autre, peu importe).

On retrouve ici ces sortes de micro-rêves instantanés (souvent absurdes) qu'on peut faire en état de somnolence... Pas vous ?

Franz Kafka, Le château (1935)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire