Quelqu'un me jugeait hier en peu de mots (*) : « Optimisme incurable. » Certainement il l'entendait mal, voulant dire que je suis ainsi par nature et que j'en suis bien heureux, mais qu'enfin une bienfaisante illusion n'a jamais passé pour vérité. C'est confondre ce qui est avec ce que l'on veut faire être. Si l'on considère ce qui est de soi et sans qu'on y travaille, le pessimisme est le vrai ; car le cours des choses humaines, dès qu'on l'abandonne, va tout de suite au pire ; par exemple, qui se livre à son humeur est aussitôt malheureux et méchant. Cela est inévitable par la structure de notre corps, qui tourne tout à mal dès qu'on ne le surveille plus, dès qu'on ne le gouverne plus. Observez qu'un groupe d'enfants, faute d'un jeu réglé, en vient bientôt à la brutalité informe. [...]
Il faut dénouer ; et ce n'est pas un petit travail. Et chacun sait bien que la colère et le désespoir sont les premiers ennemis à vaincre. Il faut croire, espérer et sourire ; et avec cela travailler. Ainsi la condition humaine est telle que si on ne se donne pas comme règle des règles un optimisme invincible, aussitôt le plus noir pessimisme est le vrai.
Alain, Propos sur le bonheur (1925)
(*) ndlr : cf. article précédent
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