Adeptes de la gaudriole, de la franche poilade, je sens bien que les récents articles aux thèmes trop sérieux ou sombres ne furent pas de ceux devant lesquels vous vous esclaffâtes. Réjouissez-vous, car c'est un nouveau roman de Queneau dont je m'apprête à extraire des passages dans les jours à venir. Et dans un roman de Queneau, c'est bien connu, on se tape les cuisses de rire au moins une fois par page .
Ok, j'en rajoute : sur l'intensité, mais pas sur la fréquence.
Ce roman, c'est le "Dimanche de la Vie", que je ne me souvenais pas avoir lu, jusqu'à donc assister à cette conversation (à la quatrième page)
- Tu vas épouser un garçon qui a vingt ou vingt-cinq ans de moins que toi. Où ça peut te mener, hein? Dis-moi : où ça peut te mener?
Elle secoua coquettement ses cheveux et répondit à sa propre question :
- Ton mariage ne tiendra pas debout.
Julia dévisagea sa sœur, puis la dépoitrina et enfin la déjamba. Elle lui dit :
- Tu me trouves moche?
- Non, non, tu tiens le coup. Mais vingt, vingt-cinq ans de différence, c'est quelque chose. Toi tu as pu voir les pioupious français en pantalon rouge défiler devant le président Fallières. Lui il ne doit même pas savoir ce qu'est le président Fallières.
- D'abord je te remercie pour l'allusion
- Faut bien dire ce qui est.
- Ensuite il y a pas vingt ans. Et surensuite je m'en fous. Réponds-moi : tu me trouves déglinguée?
- Pas du tout.
- Ma frimousse?
- Ca va.
- Mes totoches?
- Ca tient.
- Mes gambettes?
- Au quai.
- Alors?
- C'est pas seulement le physique qui compte, dit Chantal, c'est le moral.
- Oh, oh, dit Julia, où as-tu été pêcher une bourdante pareille?
- Cherche pas, je l'ai trouvée toute seule.
- Alors, explique voir.
Chantal faisait allusion aux mœurs des hommes mariés, et singulièrement à celles du sien, Paul Boulingra : l'alcoolisme buté, la tabagie autistique, la paresse sexuelle, la médiocrité financière, la lourdeur sentimentale. Seulement voilà, Julia trouvait que sa sœur avait été particulièrement mal servie en la personne de son Popol. Elle cita des types qui ne buvaient que de l'eau comme le mari à la Trendelino, qui ne fumaient point comme celui de la Foucolle, qui braisaient à houilles rehaussées comme celui de la Panigère, qui gagnaient largement leur vie comme celui de la Parpillon et qui pouvaient avoir pour leur épouse de délicates attentions comme celui de la Foucolle, déjà cité. Sans compter ceux qui savent remettre un plomb, porter les paquets, conduire la voiture, baisser les yeux lorsqu'ils croisent une pute. Julia pensait bien que son militaire serait de cette espèce, et elle en sourit de plaisir.
Raymond Queneau, Le dimanche de la vie (1952)
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