lundi 27 janvier 2025

Nothing will die


Never. Oh, never. Nothing will die.
The stream flows, the wind blows,
the cloud fleets, the heart beats.
Nothing will die. 

Je me souvenais d'un film triste et difficile, jalonné de personnages cruels et malsains. Je le visionne à nouveau, agréablement surpris d'y voir autant de rencontres décisives "bienveillantes" qui auront illuminé la vie de John Merrick aka Elephant Man... Tout du moins dans le film de David Lynch.

La patte du réalisateur est discrète (le film est une commande), on la reconnait assurément dans les scènes de début et de fin.

David Lynch, elephant man (1980)

lundi 20 janvier 2025

Family Ties

The granddaughter’ (2004) © Courtesy of Tina Barney and Kasmin, New York

Tina Barney, la photographe américaine qui se veut photographe des liens familiaux (et pas "des riches", même s'il se trouve qu'elle ne photographie que de riches familles) exposait jusqu'aujourd'hui au Jeu de Paume. Pourquoi n'avoir pas cherché à diversifier ses sujets ? "Si je photographie des gens modestes, je vais tomber dans le reportage, le commentaire compassionnel." déclarait-elle au journal Le Monde, en 2003

vendredi 10 janvier 2025

Décider où le monde doit aller

"On sait tous que nos enfants à l'école ont plutôt intérêt à être bons en maths qu'en dessin. C'est fou! L'art, c'est extraordinaire pour inventer des possibles, déconstruire des certitudes, voir les choses autrement, pour inventer de la contingence.

La plupart de nos dirigeants sortent grosso modo de l'école polytechnique. Ca veut dire que les gens qui choisissent les orientations sociétales sont essentiellement choisis parce qu'ils sont très bons pour inverser des matrices et résoudre des équations différentielles non linéaires. Ca n'a aucun sens. Ce sont des qualités qui existent [...] mais c'est pas du tout intéressant pour décider où le monde doit aller! C'est même quelque part anti-corrélé avec les qualités humaines, poétiques et d'imagination qui permettraient de nous donner une chance."

Parole pleine de bon sens, exprimée à l'oral par Aurélien Barrau. Qu'on n'ergote pas sur les écoles d'origine, on aura compris le fond de la pensée. Que je rapproche d'ailleurs du passage suivant du "Bug humain" (ouvrage dont je publie en ce moment des extraits)


Le paradoxe humain tient au fait que nous sommes dotés d'un cortex cérébral d'une très grande puissance de calcul, que nous employons essentiellement à des fins utilitaires, de performance et de technique. Depuis plusieurs millénaires, notre pouvoir d'abstraction, de conceptualisation et de planification nous sert principalement à concevoir des outils et des machines qui améliorent notre confort, notre accès aux ressources alimentaires et notre santé. Nous vivons mieux, nous vivons plus longtemps, nous succombons moins aux maladies et ne mourons plus de faim. [...]. Bravo au cortex ! Magnifique réussite pratique ! Mais, derrière cette fantastique capacité à trouver des solutions technologiques pour améliorer notre vie matérielle, les forces profondes qui nous animent restent totalement impénétrables. Nous excellons dans l'art de réaliser nos objectifs, pas dans celui de les établir. Le seul critère qui guide notre action est la faisabilité technique.

Sébastien Bohler, Le Bug humain (2019)

Alternative : donnons-nous et priorisons des indicateurs directement liés au bien-être de la société et de la biodiversité, nul doute que nous atteindrons nos objectifs. Relire à ce propos - et entre autres - Serge Latouche (publié dans ces colonnes en 2011).

dimanche 5 janvier 2025

Devinette

C'est avec un plaisir intact que j'ai revu "Joker" (après avoir fait l'impasse sur le 2). Entamons donc cette année 2025 par une devinette (passée à la posterité)


What do you get when you cross a mentally-ill loner with a society that abandons him and treat him like trash? I'll tell you what you get. You get what you fucking deserve!

JokerTodd Philipps (2019)

vendredi 3 janvier 2025

The worst friend I've ever had

Mais quel est donc ce compagnon toxique chanté par Aidan Moffat dans ce morceau ?

I woke up this morning and opened you up
With a squeeze and a tender caress
We locked horns right away, I was shit on your shoe
I took a dressing down before I got dressed

I come to you for confirmation, testimony, adulation
Education, excitation, palpitation and flirtation
But you give me aggravation, insult and disinformation
Hatred, bias and predation, suicidal ideation

You take all my time, you take all my strength, you steal my love
You are the worst friend I've ever had
I let you inside, I follow you blind, I take your lead
Now I am a distant pal, an absent dad

My fingerprints all over your body
Your talons dug into my mind
My nucleus accumbens is putty in your hands
So go easy on me, please, be kind

I let you inside, I follow you blind, I take your lead
Now I am a fat recluse, a steaming ghost
You take all my time, you take all my strength, you steal my love
You are a barstool bore, a reckless host

Forged in the loins of the wild, wild west
Taste the testosterone, smell all that ego
Toys for the boys, but we think we are blessed
Wherever they're taking us, that's where we go

When will I be cured of this crippling fucking FOMO?
You went down for half an hour, and it felt good
I accepted then that you would never light this face again
But I crumbled when you came back, you knew I would

Now my eyes are on fire and my thumbs are numb
But look at these numbers, see how you want me
A slave to your rhythms, the beats of your drum
You love me then leave me, then test me and taunt me

You take all my time, you take all my strength, you steal my love
(You bait me and hate me)
I let you inside, I follow you blind, I take your lead
(You shame me and maim me)

These thoughts and opinions are all my own
Your thoughts and opinions are not my own
My thoughts and opinions are not your own
Our thoughts and opinions are not our own

Arab Strap - Sociometer blues
I'm Totally Fine with It 👍Don't Give a Fuck Anymore 👍 (2024)

Tout le monde aujourd'hui est à peu près conscient que les téléphones portables et les réseaux sociaux nous ont asservis et sont psychologiquement dommageables, si bien qu'il n'est plus ni clairvoyant, ni révolutionnaire de le clamer... Encore que ce soit ici fait avec talent.

Ceci ne saurait me dispenser de citer ce passage de l'essai de Sébastien Bohler, qui, je le rappelle, analyse les forces contemporaines à l'oeuvre (celles qui nous envoient dans le mur) et comment la constitution même ne notre cerveau les engendre ou les subissent. Le livre date de 2019, aussi convient-il de remplacer dans ce passage "Facebook" par "Instagram".


Facebook titille une fibre très sensible de notre cerveau : l'estime de soi. Ce concept désigne l'opinion que chacun d'entre nous entretient à propos de soi-même : suis-je une bonne personne, un bon amant, un bon employé? Ce sentiment d'amour-propre et de considération, pour soi dépend en partie de la confiance que nous ont donnée nos parents et, plus tard, de nos réussites personnelles, mais pour partie aussi du regard que les autres portent sur nous. C'est là que les réseaux sociaux ont trouvé un moyen d'envahir nos vies, car ils ne cessent de nous soumettre au regard des autres, et à leurs commentaires. Nous sommes alors amenés à nous demander, de plus en plus souvent, ce que nous valons aux yeux d'une multitude d'inconnus. Le problème est que nous ne sommes pas forcément faits pour cela.

Notre système nerveux a été façonné pour tenir compte d'un environnement humain restreint, riche d'environ une centaine d'individus, où les relations sont fondées sur des rencontres réelles et riches de sens, combinant plusieurs modalités sensorielles ainsi que des émotions. Dans leurs enquêtes, les anthropologues considèrent que nous maintenons un maximum de 150 relations humaines suivies et porteuses de sens. Or, sur Facebook, vous pouvez avoir facilement 1000 ou 3000 amis, et des centaines de milliers d'avis favorables, les fameux likes représentés par le symbole du pouce levé. La vraie nouveauté des réseaux sociaux, avec tout le qu'ils vous mettent en comparaison avec tout le monde. Facebook a instauré la comparaison sociale sans limite. Vous pouvez passer vos journées à essayer de vous situer par rapport à des centaines de personnes, et c'est ce que font bien des gens.

Le striatum raffole de cela. C'est lui, le vrai client de Facebook et d'Instagram. Des chercheurs en neurosciences ont voulu savoir ce qui se passait dans le cerveau des gens lorsqu'ils surfaient sur leur réseau préféré. Ils ont observé que le striatum nous envoie des récompenses sous forme de dopamine, ou des punitions sous forme de réductions de la même dopamine, selon les situations. Si vous obtenez moins de likes que ce que vous attendiez après avoir modifié votre profil, votre striatum s'éteint et votre estime de soi chute ; si vous obtenez plus de likes que vous ne le prévoyiez, ce même striatum produit de violentes décharges de dopamine qui vous apportent une bouffée de bien-être. Cela se traduit par une mise à jour de votre estime de soi au sein de vos archives personnelles, lesquelles sont tenues par une zone de votre cerveau localisée deux centimètres en retrait de votre front. Cette zone cérébrale appelée cortex préfrontal ventromédian va en tirer des conclusions sur ce que vous valez à vos propres yeux. Si vous venez d'obtenir une récompense, le cortex préfrontal ventromédian fait monter d'un cran votre estime de soi. Si vous avez reçu une punition, il la revoit à la baisse. Tout part de ce principe interne de recherche d'approbation par le striatum, une partie de nous-même qui nous enjoint constamment de faire face au jugement d'autrui, en quête de reconnaissance. 

[...] Les responsables ayant mis au point les algorithmes de ces réseaux sociaux commencent à reconnaître l'étendue du désastre. En 2017, l'ancien vice-président de Facebook chargé de la croissance des utilisateurs, Chamath Palihapitiya, s'est fendu d'une confession publique dans laquelle il regrettait d'avoir conçu un système qui détruisait le psychisme des adolescents en suscitant une incertitude continuelle quant à leur propre valeur, et en les incitant à se connecter en permanence dans l'espoir de se rassurer, produisant l'effet contraire. Le tout grâce à la puissance de « boucles de rétroaction à court terme basées sur la dopamine», qui « déchirent le lien social ». Chamath Palihapitiya n'était pas le premier cadre de Facebook à prendre la parole pour dénoncer les ravages opérés par ce média social sur la jeunesse. Quelques mois plus tôt, c'était l'ex-président de la société, Sean Parker lui-même, qui évoquait un système qui exploitait une vulnérabilité dans la psychologie humaine.

Sébastien Bohler, Le Bug humain (2019)

Cette analyse mériterait d'être réactualisée, puis qu'il n'est ici question que de participation "active" aux réseaux sociaux (avec publication de contenu). Il est aujourd'hui connu et documenté que la simple consultation nuit également à l'estime de soi.