Repéré dans un article du Monde intitulé « Quel livre aimez-vous le plus offrir? », "L'ami" de Sigrid Nunez, dans lequel la narratrice - intellectuelle new yorkaise - éprouve et raconte le deuil (celui d'un ami) et l'amour (celui d'un fidèle compagnon canin dont elle récupère la garde).
On parlera donc toutou pendant quelque temps ici, mais pas dans ce premier extrait, considération annexe et néanmoins signifiante que j'ai choisi de retenir.
Tu t'étais attiré des critiques pour avoir mis en doute l'idée qu'il puisse exister des flâneuses au féminin. Tu ne croyais pas qu'une femme puisse errer par les rues dans le même état d'esprit, de la même manière qu'un homme. Une marcheuse était sujette à d'incessantes ruptures de rythme : des regards insistants, des commentaires, des sifflets, des mains baladeuses. On apprenait aux femmes à être constamment sur leurs gardes : ce type, là, ne marche-t-il pas un peu trop près de moi? Et celui-là, est-ce qu'il me suit? Comment, dans ces conditions, pourrait-elle jamais être assez alanguie pour se perdre dans cette absence à soi-même, cette joie pure d'être au monde, qui constitue l'idéal de la vraie flânerie?
Tu en concluais que l'équivalent féminin était sans doute le shopping — en particulier le genre d'exploration vaine de celle qui ne cherche pas à acheter quelque chose.
Je ne pensais pas que tu aies tort. Je connais des tas de femmes qui enfilent une carapace chaque fois qu'elles sortent de chez elles, j'en connais même quelques-unes qui font tout pour éviter d'avoir à sortir de chez elles. Bien sûr, il suffit d'attendre d'avoir atteint un certain âge, l'âge de l'invisibilité, et... le problème est résolu.
Tu vois comme tu utilisais le mot femmes, alors que ce que tu voulais dire en fait, c'était jeunes femmes.
Sigrid Nunez, L'ami (2019)
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