Il y a quelques jours une information a été largement reprise : selon un ancien ingénieur de Google (reprenant une étude), "pour chaque mot d'indignation ajouté à un tweet, le taux de retweet augmente en moyenne de 17% [...] En d’autres termes, la polarisation de notre société fait partie du modèle commercial"
Le même jour, Samuel Laurent, à la tête cinq années durant de rubrique "Les décodeurs" du Monde, dressait, sur la base d'un ultime tweet vindicatif, le constat suivant :
Il n’y a plus de place, sur ce réseau, pour autre chose que du campisme pur et dur. Le campisme, pour faire simple, est une expression qui vient du marxisme, et qui signifie la réduction caricaturale de tout phénomène à un affrontement entre "camps", voire l’acceptation de travers venus de son propre "camp" au nom de la lutte contre l’adversaire. [...]
Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi. Il n’y a aucune place à une lecture critique ou qui bousculerait mes idées reçues : j’attends d’un média qu’il me conforte dans ce que je pense déjà. S’il ne le fait pas, il a tort et et m’a trahi, en tant que lecteur. Le contrat de confiance est donc rompu à tout jamais. Et surtout, un désaccord ne peut pas venir d’un biais de perception dû à ma propre lecture, à mes propres opinions, à mes propres biais. Non, il ne peut être qu’absence de "neutralité" et "opinion". Quel paradoxe d’ailleurs que cette injonction à la neutralité de la part de personnes dont l’activité sur ce réseau consiste à justement donner leur opinion et militer pour l’imposer.
Les réseaux sociaux sont des machines à polariser et à agréger des communautés antagonistes. On y trouve du plaisir en ferraillant, mais aussi dans l’empathie collective de partager le même « combat », les mêmes « valeurs », les mêmes cibles aussi. [...] Dans cette « royal battle », il n’est aucune place pour la neutralité pourtant constamment scandée par les acteurs de la baston : [...] le factuel n’a d’intérêt que s’il constitue un argument à opposer à l’autre camp. L’information factuelle n’est que la trame de fond sur laquelle se tisse la lutte, le prétexte à un commentaire ou à une interpellation publique pour son « camp » et contre celui d'en face.
Ce n'est plus un débat : débattre suppose d’écouter les arguments de l’autre, voire d’accepter qu’on représente soi même un point de vue et que celui-ci peut être contredit. Sur les réseaux, on ne débat plus ; on assène. On ne donne pas un point de vue, mais une vérité, et il n’y a pas d’autres points de vue, mais des mensonges ou des aveuglements. Y compris ceux des journalistes lorsqu’ils ne vont pas dans notre sens. Je n’aime pas un de tes articles ? Je te déchois à tout jamais, toi et tout ton journal, de ma confiance lectorale.
Texte intégral ici :
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