Quelques dimanches après-midi désoeuvrés de mon enfance m'ont sans doute permis de faire connaissance avec l'inspecteur Columbo, série TV policière multi-diffusée sur TF1. En l'occurence, une poignée d'épisodes suffit à se rendre compte de la constuction constante des épisodes : un crime prémédité, un assassin identifié dès les premières minutes, un inspecteur gauche gravitant autour de lui, alternant questions anodines et perfides, provoquant un agacement de plus en plus marqué, jusqu'à conduire à un faux pas ou une révélation.
Si cette mécanique me semble si limpide, c'est que la (re)lecture de Crime et Châtiment m'a permis de de reconnaître dans le juge d'instruction Porphyre Petrovitch l'inspiration première pour le personnage de l'inspecteur Columbo.
C'est sans doute ce qui rend chacune des confrontations avec Raskolnikiv épique.
Tandis que le juge d'instruction offre le "spectacle bizarre [d'un] petit corps gras et rond, dont les évolutions rappelaient celles d'une balle qui aurait rebondi d'un mur à l'autre" tout en émettant de plates considérations, Raskolnikov s'impatiente :
— Vous savez, commença-t-il avec une insolence qui semblait lui procurer une profonde jouissance, c'est un principe, une règle pour tous les juges d'instruction, de placer l'entretien sur des niaiseries, ou bien sur des choses sérieuses, si vous voulez, mais qui n'ont rien à voir avec le véritable sujet, afin d'enhardir, si je puis m'exprimer ainsi, ou de distraire celui qu'ils interrogent, d'endormir sa méfiance, puis brusquement, à l'improviste, ils lui assènent, en pleine figure, la question la plus dangereuse. Est-ce que je me trompe ? N'est-ce pas une coutume, une règle rigoureusement observée dans votre métier ?
— Ainsi, ainsi... vous pensez que je ne vous ai parlé du logement fourni par l'État que pour... En disant ces mots Porphyre Petrovitch cligna de l'œil et une expression de gaîté et de ruse parcourut son visage. Les rides de son front disparurent soudain, ses yeux parurent rétrécis et ses traits se détendirent, il plongea son regard dans les yeux de Raskolnikov, puis éclata d'un long rire nerveux qui lui secouait tout le corps. Le jeune homme se mit à rire lui aussi, d'un rire un peu forcé, mais quand l'hilarité de Porphyre, à cette vue, eut redoublé jusqu'à lui empourprer le visage, Raskolnikov fut pris d'un tel dégoût qu'il en perdit toute prudence. Il cessa de rire, se renfrogna, attacha sur Porphyre un regard haineux et ne le quitta plus des yeux tant que dura cette gaîté prolongée et un peu factice, semblait-il. Il faut dire, du reste, que l'autre ne se montrait pas plus prudent que lui : car, au fait, il s'était mis à rire au nez de son hôte, et paraissait se soucier fort peu que celui-ci eût très mal pris la chose. Cette dernière circonstance parut extrêmement significative au jeune homme ; il crut comprendre que le juge d'instruction avait de tout temps été parfaitement à son aise et que c'était lui, Raskolnikov, qui s'était laissé prendre dans un traquenard. Il y avait là, de toute évidence, quelque piège, un dessein qu'il n'apercevait pas ; la mine était peut-être chargée et allait éclater dans un instant.
Dostoïevski, Crime et Châtiment (1884)
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