mercredi 11 juin 2014

De la diversité des expériences de jeu

Jonathan Blow est programmeur et créateur de jeu vidéo indépendant. Il a développé le jeu de plateformes et d’énigmes temporelles Braid, qui a remporté de nombreux prix, dont celui du meilleur game design à l’Independant Games Festival (IGF) de San Francisco en 2006.

Depuis quelques années, lors de nombreuses conférences, il s’attaque avec virulence aux jeux qui se basent uniquement sur un système de récompenses conceptuellement pauvre pour appâter et garder les joueurs. Un principe selon lui contraire à l’éthique.

Des millions de joueurs pratiquent quotidiennement des jeux Zynga, comme Farmville. Vous considérez que ces jeux ne sont pas éthiques, pourquoi ?
Car il s’agit d’asservissement. Le système d’amélioration arrivant à intervalles réguliers, pour que le joueur ne s’ennuie pas et ne finisse pas par quitter le jeu, est un principe similaire à celui de la boîte de Skinner. Il s’agit d’une expérience inspirée par les travaux de Pavlov dans laquelle on conditionne une souris pour qu’elle active compulsivement un levier grâce à un stimulus et une récompense aléatoire. Le raisonnement qui a abouti au mécanisme de Farmville n'a jamais pris en compte ce que le jeu pouvait apporter au joueur, que ce soit en terme de plaisir ou d’expérience, il a simplement cherché à optimiser les rouages pour diriger le comportement des joueurs et profiter au maximum de leur temps libre. Et ce temps-là est précieux. L'utiliser pour une activité aussi vaine ne peut être une bonne chose.

Article paru dans Libération du 7 avril 2011


Je suis toujours surpris de découvrir sur internet puis dans le métro par dessus l'épaule des voyageurs les jeux qui remportent un succès massif sur téléphone portable, tant l'expérience de jeu proposée paraît pauvre. A voir les regards vides accompagnant les interminables (imprévisibles et pourtant quasi systématiques) réactions en chaîne de Candy Crush, ou les pouces frénétiques enchaîner les parties de 2048, je me dis que ces jeux n'offrent comme seul plaisir que celui de passer au niveau supérieur (ou de dépasser son score précédent).


Je parle assez rarement jeux-vidéos ici (et pratique d'ailleurs très peu), mais les quelques  articles liés à ce sujet laissent deviner que je privilégie gameplay, originalité et esthétisme.
C'était le cas pour les marquants Limbo, ou Braid.
(La citation mise en exergue vient du créateur de ce dernier)

A cette liste, j'ajoute le tout récent (et très beau) Monument Valley.

Le jeu est constitué d'une succession de niveaux en 3D isométrique dont il faudra faire sortir le personnage principal. La mécanique de jeu est basée sur une interaction avec certains éléments du décor, qu'il est possible de déplacer (translation, ou rotation).

Graphismes, environnement sonore, jouabilité, inventivité, rien que pour ça le jeu se tient. Il prend tout son sel pour qui goûte l'oeuvre de l'artiste néerlandais MC Escher (étant enfant, j'ai passé de longues heures à contempler un ouvrage le concernant qu'on m'avait offert)

MC Escher (1898-1972) est connu pour avoir illustrer dans ses gravures nombre de configuration géométriques impossibles, par exemple basé sur le triangle de Penrose.

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Ce motif est fréquemment présent dans Monument Valley


Plus qu'un simple clin d'oeil esthétique, la référence à Escher a un vrai impact sur le jeu.
En effet, dans un tel monde, proximité dans le plan vaut proximité dans l'espace. Il devient donc possible de passer d'un point à un autre lorsqu'un effet de perspective les place à proximité, même si, dans un monde en trois dimensions, ces points sont en réalité distants.

Quelques autres références explicites :
Notez l'eau qui se déverse, puis "remonte" à son point initial

Vous croiserez aussi dans le jeu des tableaux rappelant cette configuration

Je ne vous dis pas tout et vous laisse découvrir la suite
(pour 3,49 euros, sur iOS et Android)

Monument Valley (Studio Ustwo, 2014)

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