Petite leçon de conjugaison, avec Raymond Queneau, dans Zazie dans le métro...
Il parut inquiet.
– Je me vêts, répéta-t-il douloureusement. C'est français ça : je me vêts ? Je m'en vais, oui, mais :
je me vêts ? Qu’est-ce que vous en pensez, ma toute belle ?
– Eh bien, allez-vous-en.
– Ça n’est pas du tout dans mes intentions. Donc, lorsque je me vêts…
– Déguise…
– Mais non ! pas du tout ! ! ce n'est pas un déguisement ! ! ! qu'est-ce qui vous a dit que je n'étais
pas un véritable flic ?
Marceline haussa les épaules.
– Eh bien vêtez-vous.
– Vêtissez-vous, ma toute belle. On dit : vêtissez-vous.
Marceline s’esclaffa.
– Vêtissez-vous ! vêtissez-vous ! Mais vous êtes nul. On dit : vêtez-vous.
– Vous ne me ferez jamais croire ça.
Il avait l'air vexé.
– Regardez dans le dictionnaire.
– Un dictionnaire ? mais j’en ai pas sur moi de dictionnaire. Ni même à la maison. Si vous croyez
que j'ai le temps de lire. Avec toutes mes occupations.
– Y en a un là-bas (geste).
– Fichtre, dit-il impressionné. C'est que vous êtes en plus une intellectuelle.
Mais il bougeait pas.
– Vous voulez que j'aille le chercher ? demanda doucement Marceline.
– Non, j'y vêts.
L'air méfiant, il alla prendre le livre sur une étagère en s’efforçant de ne pas perdre de vue Marceline. Puis, revenu avec le bouquin, il se mit à le consulter péniblement et s’absorba complètement dans ce travail.
– Voyons voir… vésubie… vésuve… vetter… véturie, mère de Coriolan… ça y est pas.
– C’est avant les feuilles roses qu’il faut regarder.
– Et qu’est-ce qu’il y a dans les feuilles rosés ? des cochonneries, je parie… j’avais pas tort, c’est en latin… «fèr’ ghiss ma-inn nich’t’, veritas odium ponit, victis honos…», ça y est pas non plus.
– Je vous ai dit : avant les feuilles roses.
– Merde, c'est d’un compliqué… Ah ! enfin, des mots que tout le monde connaît… vestalat… vésulien… vétilleux…euse… ça y est ! Le voilà ! Et en haut d’une page encore. Vêtir. Y a même un accent circonchose. Oui : vêtir. Je vêts… là, vous voyez si je m'esprimais bien tout à l’heure. Tu vêts, il vêt, nous vêtons, vous vêtez… vous vêtez… c’est pourtant vrai… vous vêtez… marant… positivement marant… Tiens… Et dévêtir ?… regardons dévêtir… voyons voir… déversement… déversoir… dévêtir… Le vlà. Dévêtir vé té se conje comme vêtir. On dit donc dévêtez-vous. Eh bien, hurla-t-il brusquement, eh bien, ma toute belle, dévêtez-vous ! Et en vitesse ! A poil ! à poil !
– Je me vêts, répéta-t-il douloureusement. C'est français ça : je me vêts ? Je m'en vais, oui, mais :
je me vêts ? Qu’est-ce que vous en pensez, ma toute belle ?
– Eh bien, allez-vous-en.
– Ça n’est pas du tout dans mes intentions. Donc, lorsque je me vêts…
– Déguise…
– Mais non ! pas du tout ! ! ce n'est pas un déguisement ! ! ! qu'est-ce qui vous a dit que je n'étais
pas un véritable flic ?
Marceline haussa les épaules.
– Eh bien vêtez-vous.
– Vêtissez-vous, ma toute belle. On dit : vêtissez-vous.
Marceline s’esclaffa.
– Vêtissez-vous ! vêtissez-vous ! Mais vous êtes nul. On dit : vêtez-vous.
– Vous ne me ferez jamais croire ça.
Il avait l'air vexé.
– Regardez dans le dictionnaire.
– Un dictionnaire ? mais j’en ai pas sur moi de dictionnaire. Ni même à la maison. Si vous croyez
que j'ai le temps de lire. Avec toutes mes occupations.
– Y en a un là-bas (geste).
– Fichtre, dit-il impressionné. C'est que vous êtes en plus une intellectuelle.
Mais il bougeait pas.
– Vous voulez que j'aille le chercher ? demanda doucement Marceline.
– Non, j'y vêts.
L'air méfiant, il alla prendre le livre sur une étagère en s’efforçant de ne pas perdre de vue Marceline. Puis, revenu avec le bouquin, il se mit à le consulter péniblement et s’absorba complètement dans ce travail.
– Voyons voir… vésubie… vésuve… vetter… véturie, mère de Coriolan… ça y est pas.
– C’est avant les feuilles roses qu’il faut regarder.
– Et qu’est-ce qu’il y a dans les feuilles rosés ? des cochonneries, je parie… j’avais pas tort, c’est en latin… «fèr’ ghiss ma-inn nich’t’, veritas odium ponit, victis honos…», ça y est pas non plus.
– Je vous ai dit : avant les feuilles roses.
– Merde, c'est d’un compliqué… Ah ! enfin, des mots que tout le monde connaît… vestalat… vésulien… vétilleux…euse… ça y est ! Le voilà ! Et en haut d’une page encore. Vêtir. Y a même un accent circonchose. Oui : vêtir. Je vêts… là, vous voyez si je m'esprimais bien tout à l’heure. Tu vêts, il vêt, nous vêtons, vous vêtez… vous vêtez… c’est pourtant vrai… vous vêtez… marant… positivement marant… Tiens… Et dévêtir ?… regardons dévêtir… voyons voir… déversement… déversoir… dévêtir… Le vlà. Dévêtir vé té se conje comme vêtir. On dit donc dévêtez-vous. Eh bien, hurla-t-il brusquement, eh bien, ma toute belle, dévêtez-vous ! Et en vitesse ! A poil ! à poil !
Raymond Queneau, Zazie dans le métro (1959)
*
* *
Ce sera le dernier extrait de ce livre, ici. Bien que grand fan de Queneau, je ne l'avais encore jamais lu ! Au final, c'est loin d'être mon préféré, je trouve qu'il repose trop sur les dialogues et la gouaille de ses protagonistes. La dénouement (inattendu) m'a tout de même fait réévaluer mon jugement à la hausse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire