mardi 16 février 2010

Ces temps sont effrayants

A l'approche de la sortie d'un nouvel album d'Erik Arnaud, je ré-écoutais récemment son album ...(C) 1998 AMERIK.
Plusieurs fois d'ailleurs.
Les musiques cèdent parfois à la facilité, les paroles ne sont pas particulièrement bien écrites, et pourtant, ce disque reste. Comme quelques paroles, genre :

Où est le charme / d'une vie sans aucune larme
("une guerre ouverte")

ou dans "Tous Ensemble", écrit bien avant
ce qu'on appelle aujourd'hui "les réseaux sociaux"


Langage codé, sentiment de supériorité
Préférence obligée, répondeur branché,
Messages filtrés, des tonnes d'amis un à un oubliés,
puis remplacés dans des soirées privées où on est là pour s'amuser
vous me reconnaissez?

votre jeunesse, vous y tenez,
vos amis, faudra pas y compter,
le retour à l'ordre vous y pensez
comme un des moyens de tout arranger
il faut vivre avec son temps et multiplier les réseaux dans lesquels vous vous perdrez
il faut posséder tout ce qui se dit portable, saturer les communications
pour que finalement tout echange interfère
...

Dans ce disque, il y a surtout la mise en musique d'un texte saisissant de Brett Easton Ellis, extrait d'"American Psycho".
Lorsque j'ai écouté l'album, et donc ce morceau, c'était à l'approche des fêtes.
S'entendre lire ce texte au walkman, dehors, un weekend d'achats de noël, a un curieux goût d'interdit.

Ceci dit, je ne vous l'imposerai pas
(je ne m'appelle pas Hanneke, ou Herzog).
Adultes responsables, appuyez sur Ctrl+A pour lire cet extrait.
Mineurs, lisez tout autre article de ce blog, ou allez voir là-bas si j'y suis.


[>>Ses seins coupés paraissent bleus, aplatis, et les mamelons ont pris une nuance marron assez déconcertante. Entourés de sang caillé, noir, ils sont posés, non sans délicatesse, sur le Wurlitzer, dans une assiette de porcelaine que j'ai achetée à la Pottery Barn, bien que je ne me rappelle pas les avoir mis là. J'ai également dépouillé son visage, épluchant la peau et raclant la plus grande partie de la chair, de sorte qu'il évoque une tête de mort dotée d'une longue crinière de cheveux blonds, rattachée à un cadavre entier, froid ; les yeux sont ouverts, et les lobes oculaires eux-mêmes pendent hors des orbites, accrochés par le nerf. L'essentiel de la poitrine demeure indiscernable du cou, lequel a l'aspect de la viande hachée. Quant à son estomac, on dirait la lasagne à l'aubergine et au fromage de Il Marlibro, ou une quelconque nourriture pour chiens du même genre, les couleurs dominantes étant le rouge, le blanc et le marron. Un peu de ses intestins barbouille le mur, le reste étant roulé en boules ou étalé sur la table basse à dalle de verre, comme autant de longs serpents bleutés, de vers mutants. Les lambeaux de peau qui restent collés au corps sont d'une teinte gris-bleu, la couleur de l'étain. De son vagin s'est échappé un liquide sirupeux, marronnasse, qui dégage une odeur d'animal malade, comme si on avait fourré un rat là-dedans, et qu'il avait été digéré, ou quelque chose comme ça.

Je passe les quinze minutes suivantes dans un état de semi-conscience, tirant sur un long morceau d'intestin bleuâtre encore solidaire du corps, et me le fourrant dans la bouche, jusqu'à l'étouffement. Il est humide contre mon palais, et rempli d'une espèce de pâte qui ne sent pas bon. Après une heure d'efforts, je parviens à détacher la moelle épinière, que je décide d'expédier par Federal Express, sans la nettoyer, enveloppée dans des mouchoirs en papier, à Leona Helmsley, ceci sous un faux nom. Voulant boire le sang de cette fille comme si c'était du Champagne, je plonge mon visage, profondément, dans ce qui reste de son estomac, et me mets à laper, m'éraflant la joue contre une côte brisée. L'immense nouveau récepteur de télévision est allumé dans une des pièces, et l'on entends brailler le Patty WintersShow de ce matin, dont le thème était : « Les Produits Laitiers Humains », puis un jeu télévisé, Wheel of Fortune, et les applaudissements du public semblent exactement les mêmes à chaque fois que l'on retourne une nouvelle lettre. Je desserre ma cravate d'une main ensanglantée, prenant une profonde inspiration.
Voilà ma réalité. En dehors de cela, tout m'apparaît comme un film que j'aurais vu autrefois. Dans la cuisine, je tente de préparer un pâté avec la viande de la fille, mais cette tâche s'avère vite ingrate, et je passe l'après-midi à l'étaler partout sur les murs, tout en mâchant des lambeaux de peau arrachés aucorps, puis je me détends en regardant un enregistrement vidéo du nouveau sitcom de CBS, Murphy Brown, diffusé la semaine dernière. Après quoi, un grand verre de J&B, et retour à la cuisine.

Dans le four à micro-ondes, la tête est maintenant complètement noire et chauve, et je la mets à bouillir dans une casserole, sur le fourneau, afin d'éliminer tout reste de chair que j'aurais pu oublier de gratter. Chargeant le reste du corps dans des sacs en plastique — mes muscles enduits de Ben Gay soulèvent facilement le poids mort —, je décide d'utiliser les résidus pour confectionner une espèce de saucisse.

Un CD de Richard Marx dans la chaîne hi-fi, un sac de chez Zabar rempli de petits pains à l'oignon et d'épices posé sur la table de la cuisine, je broie les os, le gras et la chair, faisant de petits pâtés et, bien que, de temps à autre, me frappe l'idée que je suis en trainde faire, en partie, quelque chose d'inadmissible, il me suffit de me rappeler que cette chose, cette fille, cette viande, n'est rien, rien que de la merde et, avec l'aide d'un Xanax (un chaque demi-heure, à présent), cette idée suffit à me calmer momentanément, et
je chantonne, fredonnant le générique d'un feuilleton que je regardais souvent, quand j'étais enfant — The Jetsons? The Banana Splits? Scooby Doo? Sigmund and the Sea Monsters? Je me souviens de la chanson, de la mélodie, et même du ton dans lequel elle était chantée, mais pas du feuilleton. Était-ce Lidsville? Était-ce H. R.Pufnstufl? D'autres questions ponctuent ces questions, aussi variées que : « Ferai-je un jour de la taule ?» et« Cette fille avait-elle un cœur fidèle ? » L'odeur de la viande et du sang envahit l'appartement, à tel point que je ne la remarque plus. Plus tard, mon allégresse macabre a fait place à l'amertume, et je pleure sur moi-même, sans parvenir à trouver la moindre consolation dans tout cela, je pleure, je sanglote « Je veux juste être aimé », maudissant la terre, et tout ce qu'on m'a enseigné : les principes, les différences, les choix, la morale, le compromis, le savoir, l'unité, la prière —tout cela était erroné, tout cela était vain. Tout cela se résumait à : adapte-toi, ou crève. J'imagine mon visage sans expression, la voix désincarnée qui sort de ma bouche: Ces temps sont effrayants. Déjà, les asticots se tortillent sur la saucisse humaine, et la bave qui s'écoule de ma bouche goutte sur eux ; je ne sais pas si je prépare cela correctement, parce que je pleure trop fort, et que je n'ai jamais vraiment fait la cuisine auparavant.<<]

Bret Easton Ellis
, American Psycho (1991)
Erik Arnaud, ...1998 (C) Amerik (Aliénor, 1998)

3 commentaires:

  1. Une chanson de la force de "La Maman & la Putain" de Diabologum.
    Tiens ce serait pas l'occasion de ressortir la playlist d'un vieux Plug & Play spécial Serial Killers?

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  2. Je suis pas sûr d'arriver à remettre la main sur cette playlist. Mais je me souviens parfaitement de ce qu'elle contenait. En plus d'erik arnaud, il y avait "la complainte du Psycho Killer" de Bertrand Betsch, "Westfall" d'Okkervil River, et une murder ballad de Nick Cave.

    La première va mieux à écouter qu'à lire, la deuxième est dans ma "to do" list depuis un moment, quant à Nick Cave, j'ai publié "Red Right Hand" il y a peu.

    Quant à "la Maman et la Putain", je note ; )

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