mardi 30 novembre 2021

Anything can hurt you

Quelque temps après avoir évoqué en interview le "Scènes de la vie conjugale" de Bergman, Hagai Levi, créateur / producteur / réalisateur israélien derrière "BeTipul" ("En traitement") se voyait contacté par un certain Daniel Bergman, fils du réalisateur suédois... qui souhaitait lui soumettre l'idée d'adapter la fameuse série (devenue film).

C'était il y a 8 ans... et "Scenes from a Marriage" existe désormais en tant que mini-série de cinq épisodes, avec pour acteurs principaux Jessica Chastain et Oscar Isaac (déjà vus ensemble dans "A Most Violent Year").

Si l'adaptation reprend quelques scènes ou dispositifs de l'original, c'est pour mieux les transposer puis s'en affranchir. On ne pourra, hélas, en dire guère plus sans dévoiler l'intrigue. Ne reste alors qu'à vanter le talent du réalisateur et surtout les performances des acteurs, dont le langage corporel  exprime à merveille petites gênes, désaccords ou vexations ; Sourire qui se fige, regard qui s'éteint, changement de posture, autant de signes montrant que l'ambiance a vrillé.


Le premier épisode reprend le principe de l'entretien avec le couple (souvenez-vous)... Alors que Jonathan quitte la pièce l'espace d'un instant, Mira, un tantinet gênée par l'exercice, se voit bien obligée de donner à son tour la recette d'un mariage réussi.

- Well, um... I think about it in terms of... an equilibrium. I think that in marriage, there is this very delicate equilibrium and that, um, you have to maintain it together.

- And what do you mean by equilibrium?

- Well, you know, at the beginning of a relationship, everything's thrilling and it's new and you feel as a couple that nothing can hurt you. Right. And then you gradually start to realize that actually, anything can hurt you.


Hagai Levi, Scenes from a marriage (2021)

jeudi 25 novembre 2021

Mourir un peu

Ca y est... le "dernier" concert de Mendelson est derrière moi. Enfin peut-être pas tout à fait, puisque je m'imagine parfois rallier Rouen le 27 janvier prochain. Un luxe. Alors que d'autres, tout aussi fans que moi, n'auront pas cette chance. Pour eux, je me dois donc d'écrire quelques mots sur cette soirée importante. 

A l'affiche ce soir-là, Pascal Bouaziz suivi de Mendelson. Aucun morceau de "Haïkus" cependant en première partie, si bien qu'il eût été plus exact d'annoncer une double ration de Mendelson. 

Ou alors communiquer sur un stand-up d'ouverture.
Avec les années, Pascal Bouaziz a en effet réussi à développer son humour pince-sans-rire et sa verve, au point qu'il peut passer de longues minutes à discourir et à faire pouffer son auditoire. Ca fonctionne, puisque réalisé avec force intelligence et auto-dérision : de quoi fédérer son public de dépressifs.


Pinto
L'Ardèche
Le Sens commun
Le Soulèvement

Quel plaisir de réentendre "Pinto", tout de même, on replonge ainsi dans l'indépassable entame d'album de "Quelque Part".


Pascal Bouaziz quitte la scène, il reviendra avec ses musiciens et complices qu'il aime tant (citons Pierre-Yves Louis, Sylvain Joasson et Jean-Michel Pires dont l'épaisseur n'est plus à démontrer. Avec ces cinq là et la profondeur des morceaux qu'ils délivrent, on peut bien s'abîmer dans les eaux de la Seine. 


La Force quotidienne du mal
Algérie
Les Chanteurs
Ville nouvelle
Héritage
1983 (Barbara)
La Dernière Chanson
-
Il n'y a pas d'autre rêve

Quelques commentaires tout de même sur la setlist :

- Algérie en fût bien entendu le moment le plus intense (un "moment" d'une vingtaine de minutes)

- 1983 (Barbara) aura un poil perdu de sa superbe, desservie par le mix...

- et... Pourquoi, COMMENT manquer l'occasion de refermer le concert par "La dernière chanson" ? Je comprends l'idée ("il n'y aura pas d'autres histoires à raconter")... mais je ne m'en remets pas! D'autant qu'une fois le morceau achevé, j'ai totalement lu dans l'attitude et le visage de Pascal Bouaziz le sentiment mêlé qu'il évoquait en interview :

"Je crois qu’après le dernier concert de Mendelson, je vais avoir comme un sentiment de soulagement, comme un manteau trop lourd, trop vieux et un matin vous vous levez en te disant « Ah, ce matin, je ne suis plus obligé de porter ce vieux manteau. Ah dis, donc je me sens vachement léger ». Peut-être que dès le dernier concert, je vais me rendre compte de la connerie que j'ai faite. Pourquoi avoir construit toutes ces années un truc et le suicider soi-même ? On verra…"

dimanche 21 novembre 2021

La paix

Je ne suis ni expert ni particulièrement amateur des films de Xavier Dolan (seulement trois sur huit à mon propre compteur). Je me souviens dans "Mommy" de ce plan au cours duquel le format d'image ainsi sans doute que les perspectives d'avenir du personnage s'agrandissent... et dans "Juste la fin du monde" de cette scène finale chargée d'émotion baignant dans une lumière jaune.

Il y a aussi cette tirade, prononcée par Antoine (Vincent Cassel) :

Je veux pas être là. J'ai pas envie que tu me parles, j'ai pas envie de t'écouter. [...] Toujours, il faut que vous me racontiez tout, tout le temps. Depuis toujours. Et moi, faut toujours que je vous écoute... Moi, j'aime pas écouter, j'aime pas parler. Les gens qui disent rien, on pense qu'ils sont bons pour écouter. Moi, quand je ferme ma gueule, c'est pour donner l'exemple, pour qu'on me foute la paix. Tu comprends?


Xavier Dolan, Juste la fin du monde (2016)

dimanche 14 novembre 2021

Un poids, une erreur

Les relations entre Solène et son frère ont toujours été compliquées. Dès la naissance de Gabin, une culpabilité sourde s'est infiltrée dans le couple et les jeunes parents ont surprotégé leur fille. Pour Solène, le déménagement est définitivement associé à l'arrivée de son frère. C'est à cause de lui qu'ils sont venus vivre ici. À cause de lui qu'elle doit partager, faire une place. Solène le voit comme un poids, une erreur, un papillon ridicule qu'on se ferait bêtement tatouer sur la cheville le jour de ses dix-huit ans. D'ailleurs, on ne compte plus les Playmobil Country ou les Petshop venus monnayer les jalousies, le Rubik's Cube ou les Kapla récompensant un geste aimant envers le petit frère, et même, plus récemment, des tops à bretelles ou des bracelets. Gabin reste ce grain de hasard qui enraye la machine. Elle se dit que sans lui sa vie n'aurait connu que des moments de bonheur. Souvent, elle imagine une route dans les Alpes, son frère en voyage avec l'école, la plaque de verglas, l'embardée, la barrière de sécurité qui ploie et stoppe violemment le véhicule, le pare-brise soufflé, en mille morceaux. À la fin, seul Gabin passe à travers. Son corps est éjecté, mais avant de s'écraser sur la roche glacée il flotte dans les airs quelques secondes au-dessus des conifères, dans un silence sentencieux.

Florent Marchet, Le Monde du vivant (2020)

vendredi 12 novembre 2021

The world seems to be falling apart

Vue (ou plutôt "lue") au GoMa à Glasgow, cette oeuvre de Sharon Hayes.


"‘May 1st’ extends Hayes’ interest in the intersections between private and public, personal and political, life. These five letterpress prints together compose an address to an unnamed lover - about and around the potent pleasure and despair of political desire."


Extrait n°3 :

When did we steer so far apart? We used to stand on such common ground. We were in a quandary about the present, it is true, but I thought we were on our way to something new. You said you could see it coming into form. What was it in my last communication that forced you to vanish? I know the world seems to be falling apart but you were the one who told me that change is painful. You said we have to give up everything we know in order to move forward. Did you expect something different? I might be infected by the tide of the country, but I feel as if we're at opposites ends of the earth and I can't see the route to lead us back together. 

Sharon HayesMay 1st (2012)

dimanche 7 novembre 2021

Etre fidèle à son parcours

On ne compte plus les posts sur ce blog en lien avec Mendelson. Vingt-quatre années "au sommet" (non pas des charts, mais de l'art), sept albums, de "l'avenir est devant" jusque... "le dernier album", qui se referme sur "la dernière chanson".

Mais est-ce vraiment la fin? Est-ce vraiment la dernière tournée? Connaissant l'humour pince sans-rire de Pascal Bouaziz, le doute était permis. Malheureusement, il douche nos espoirs dans une profonde interview donnée à Benzine, dont voici quelques courts extraits. Ils confirment la fin de Mendelson, et les raisons tant artistiques et pratiques qui l'ont provoquée.

Ne vous arrêtez pas à ces lignes, allez la lire en intégralité[Part. 1 ; Part.2]
Ceci vous mettra en condition pour son concert du jeudi 11 novembre à Petit Bain.


Je sais bien qu’après Mendelson, il y aura d’autres aventures humaines qui vont se poursuivre mais Mendelson c’est la fin, c’est sûr. Je suis très heureux que cela soit cet album qui vienne conclure cette aventure. Je suis très heureux de l’avoir réussi car je trouve que c'est un très beau dernier chapitre. C’est bien sûr un pincement au cœur que cela soit la fin mais en même temps c'est moi qui l'ai voulu et en même temps, je suis très heureux d’avoir réussi à ne pas salir le truc, à ne pas devenir Robert Smith à ma petite échelle, le groupe qui ne sait jamais finir.

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Continuer la musique, certainement ! En quoi, cela va-t-il différer de ce que proposait Mendelson ? En premier lieu, cela ne sera plus un groupe. Même si c’est un peu un groupe étrange, même si je suis le seul membre originel. Si je fais des disques sous mon seul nom, ce sera totalement différent et même si je rejoue avec les mêmes personnes, ce sera de toute façon totalement différent car l'histoire même de Mendelson, l'héritage de Mendelson conditionne également une manière de raconter les histoires, de se tenir et d’être fidèle à son parcours, aux personnages et aux chansons. C'est incroyable de parvenir à créer un personnage de groupe que vous avez tenté d’élever à une certaine éthique, une rigueur, mais cela peut aussi être une prison.

Je crois que c’est pour ça que je ne réussissais plus à écrire pour Mendelson : je ne parvenais plus à me replonger dans cet état d’esprit. J’espère que je réussirai à continuer à faire de la musique, j'en ai envie mais il me fallait avant me libérer de ces 25 ans d’histoire, c’est lourd parfois à assumer. Il faut porter le groupe, porter son projet, il faut se battre contre vents et marées pour le faire exister, se battre pour trouver des dates. Tenter de faire le mieux qu’on peut avec des bouts de ficelles parfois. Chaque tournée se transformait en galère pour notre tourneur, Soyouz. On fait 800 kilomètres et il y a 25 personnes dans la salle, le programmateur est complètement déprimé et les gens dans la salle, ils ne sont que 25 et se regardent en chiens de fusil et puis on refait encore 800 kilomètres le lendemain. A un moment, vous vous dîtes « C'est mignon mais c’est de l'acharnement thérapeutique. » Un projet plus léger en solo ou en duo, ce sera plus facile à défendre.

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Je me rends compte en vieillissant que l’on fait vraiment quelque chose de difficile, d’exigeant et en plus quelque chose qui n’est pas identique à chaque fois. Il n’y a pas le côté « Doudou » chez Mendelson où d’album en album, vous retrouvez à chaque fois la même chose. Il n’y a pas la ritournelle, les refrains, le feel good. Il n’y a pas tous ces petits trucs qui font que les choses fonctionnent. 

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Vous savez, vous passez une grande partie du début de votre vie à réfléchir à comment devenir quelqu’un et l’autre partie de votre vie à savoir comment arrêter de devenir cette personne. (Rires)  Et puis penser à la mort m'est assez naturel. Il faut penser à comment commencer quelque chose, il me semble normal aussi de penser à comment le finir. Finir pour probablement se réinventer, se donner une autre vie. Je suis assez impatient d'à la fois les prochains concerts de Mendelson mais aussi de la vie après Mendelson tellement cela a été important pour moi. Je crois qu’après le dernier concert de Mendelson, je vais avoir comme un sentiment de soulagement, comme un manteau trop lourd, trop vieux et un matin vous vous levez en te disant « Ah, ce matin, je ne suis plus obligé de porter ce vieux manteau. Ah dis, donc je me sens vachement léger ». Peut-être que dès le dernier concert, je vais me rendre compte de la connerie que j'ai faite. Pourquoi avoir construit toutes ces années un truc et le suicider soi-même ? On verra…

Mendelson, le dernier album (2021)

samedi 6 novembre 2021

La colère monte

A lire "Le monde du vivant", premier roman de Florent Marchet, on ne peut que compatir à la souffrance rentrée de Jérôme, et lui souhaiter de ne pas attraper un ulcère.

Jérôme ne voit pas d'issue. Il pense à la banque, aux panneaux photovoltaïques qu'il comptait acheter après la moisson, à Solène qui en septembre entrera au lycée, à sa toiture qui va s'effondrer s'il ne fait rien. Il se répète qu'il est maudit, qu'on lui met des bâtons dans les roues. La colère monte autant que son estomac se noue, sa main écrase le gobelet, le réduit en lambeaux, des gouttelettes d'eau jaillissent sur son visage crispé, il aimerait hurler, prendre une chaise et la fracasser sur le guichet d'accueil, tordre violemment les ficus et les réduire en bonsaïs.
Florent Marchet, Le Monde du vivant (2020)

jeudi 4 novembre 2021

Old

Je ne sais pas ce que vaut son adaptation cinématographique par Michael Night Shyamalan (passée inaperçue cet été pour cause d'embouteillage post-covid de nouveaux films), mais ce qui est sûr, c'est que la bande-dessinée originale ("Château de Sable") comporte son lot de moments marquants. A lire, sans n'en rien savoir.
 


Château de sable, Frederik Peeters et Pierre-Oscar Lévy (2010)
Old, M. Night Shyamalan (2021)

mardi 2 novembre 2021

L'injonction de trop

Intéressante interview de Josselin / Taulard, parue dans le fanzine Groupie, et retranscrite sur le blog du groupe. J'en extrais une unique question/réponse.


Tu as raconté que tu étais destiné à être prof ou instit, mais que l’appel du large a été plus fort, le large de la société. Comment te sens tu dans notre société actuelle ? Il y a quelque chose de politique chez toi, mais plutôt dans le non-dit, dans l’implicite plutôt que l’explicite, est-ce que l’engagement est important pour toi ?

Je trouve la société actuelle merdique et la période actuelle particulièrement anxiogène. L'hypocrisie de ceux qui dirigent est répugnante, les gens se font traiter de collabos après avoir participé à une manifestation antiraciste contre l'islamophobie, la liberté d'expression est à géométrie variable, adulée pour justifier le racisme mais réprimée quand elle dénonce Macron et les violences policières. Rajouté à ça le Covid qui nous a isolés, c'est difficile de ne pas déprimer. Plus personnellement, et comme je le dis dans une chanson, j'ai le sentiment d'avoir été formaté, par mon éducation, par l'école ; et malgré l'envie de vivre en dehors de la société actuelle marchande et mes quelques tentatives, il m'est difficile de sortir de ce formatage et de cette injonction à réussir, à trouver un taf et à faire quelque chose de ma vie. C'est ce qui me pousse à m'inscrire à des formations dans lesquelles je me sens moyennement à l'aise, mais c'est aussi ce qui me fait détester les lundis quand je suis au chômage à la maison et que j'ai l'impression de tourner en rond. C'est un équilibre qui est difficile à trouver et j'ai encore deux, trois trucs à cerner pour l'obtenir. J'ai démissionné il y a quelques années de l'éducation nationale parce que d'une part je n'étais pas convaincu parce que je faisais, d'autre part, on me demandait de déménager en Essonne et c'était l'injonction de trop qui ne faisait aucun sens, celle de privilégier le boulot à la santé mentale, à la vie sociale, aux efforts fournis à se construire quelque part.