vendredi 22 juillet 2022

L'attente de rien


Il y a quelque chose de poignant dans la position de l'homme assis au bord d'un lit. Les épaules sont rentrées, le buste affaissé. Le lit n'est pas fait pour cette station. Un tableau célèbre d'Edward Hopper montre un homme presque entièrement habillé dans cette situation irrésolue. Ses mains pendent entre ses jambes, il regarde le sol. Derrière lui, mais on ne la voit pas tout de suite, une femme à moitié nue dort tournée vers le mur. Si je pense à l'image, je ne me souviens pas d'elle. L'homme est seul, d'une solitude qui s'exprime de jour comme de nuit, qui n'a rien à voir avec d'autres présences, la lumière ou le décor. La solitude c'est le lit et l'attitude rompue. C'est l'attente de rien. L'homme n'est vu de personne. Le corps inobservé consent à l'abattement. C'est cette particularité de n'être vu de personne qui renvoie à l'enfance, au possible vide de l'avenir. Mon frère qui était toujours grand autrefois s'est amenuisé. Je l'ai laissé en slip, replié au bord du lit [...]. Il me donne l'idée d'une vague responsabilité. Je l'ai dépassé en force, je devrais veiller sur lui.

Yasmina Reza, Serge (2021)
Edward Hopper, excursion into philosophy (1959)

jeudi 14 juillet 2022

Tier list "Herman Düne"


Deuxième groupe à passer à la moulinette de la "Tier list", Herman Düne, emmené par David-Ivar et André. Deux frères, nés à Paris, aux origines doubles franco-suédoises, et qui multiplient les noms d'artistes en solo (Yaya, Kungen ; Stanly brinks maintenant, mais aussi John Trawling, Ben Haschish...). Deux guitaristes, auteurs-compositeurs-interprètes, accompagnés à la batterie d'abord d'Omé, puis de Neman.

Herman Düne a multiplié les albums dans les années 2000 et y délivre un (anti-)folk lo-fi électrique unique. Leurs textes nous font naviguer entre la Suède, New York City et Berlin, parlent de femmes, singes (!) et name droppent à l'envie (Sonic Youth, Velvet Underground, Suicide....)

La liste ci-dessous s'arrête à l'album Giant (2006), à partir duquel les frangins mèneront des carrières artistiques séparées (Herman Dune * sans trema d'une part, Stanley Brinks d'autre part). Si je concède avoir un faible pour l'ami André (et donc pour ses chansons), mes albums préférés du groupe s'avèrent à la réécoute très bien équilibrés.


HERMAN DÜNE
-
MÉMORABLES
Fire EP (2000)
They Go to the Woods (2001)
Turn Off the Light (2000) [!]


REMARQUABLES 
Not on Top (2005)


AGRÉABLES
Mash Concrete Metal Mushrooms (2003)
Mas Cambios (2003)
The Whys and the Hows of Herman Düne (2002)
+
Switzerland Heritage (2001)


DISPENSABLES 
Giant (2006)


(*) Parmi mes disques favoris, tout groupe / artiste confondu
(**) très bons albums
(***) bons albums
(****) moins réussis / plus inégaux
[!] album par lequel j'ai connu le groupe

Note : Pour aller plus loin, on pourra notamment aussi écouter
Stanley Brinks, Herman Dune et Zombie Zombie.

mardi 12 juillet 2022

You don’t know where I'm from

You don’t know where I'm from
You don’t know when I'll come
You don’t know much, do you ?
Well, neither do I

When I come late in your sleep
Bringing dreams and smells from my trip
I take a shower, though I know I don’t have to
It’s a very little thing, I do for you
You don’t ask for much, do you ?
Well, neither do I

When I lay my hairy chin on your avocado skin
Sometimes you turn to me
But you don’t need to see
And when I feel like
Spending one more day
On german streets, far away
You don’t care that much, do you ?
Well, neither do I

Herman Düne, From German Streets to a Danish Bed
They Go to the Woods (2001)

dimanche 10 juillet 2022

Les hommes n'ont pas de morale du verbe

Premier contact fort engageant avec l'œuvre de Yasmina Reza. Du post-Céline, certes, où l'on croise des individus qui se débattent avec ce qu'ils sont, avec les autres, et avec le monde. Déjà, un roman dans lequel une personne est qualifiée d' "atrocement enjouée", ou dont le personnage principale se dit trop "pris par le temps, par d'autres affaires, par l'empêchement mental c'est-à-dire son égoïsme à vomir" semble fait pour me plaire.
Premier extrait.

Peggy Wigstrom était restée sagement tapie dans les pensées de chacun jusqu'à la route de Zurbigén où il avait suffi d'un mot malheureux pour la faire ressurgir. Mais Serge avait juré. Juré sur la tête de sa fille qu'il ne couchait pas avec Peggy Wigstrom. Elle l'avait cru. On ne jure pas sur la tête de sa propre fille si ce n'est pas vrai. Il faudrait s'interroger sur l'incessante crédulité des femmes. Depuis la nuit des temps les hommes disent n'importe quoi.

Les hommes n'ont pas de morale du verbe. Les mots ne pèsent rien. À peine prononcés ils s'envolent telles des bulles et éclatent doucement dans l'air. Qui s'en soucie? Si un problème survient on corrige avec d'autres mots qui s'envoleront également, et ainsi de suite. Jure sur la tête de Joséphine, a dit Valentina. Sur la tête de Joséphine, a répété Serge sans la moindre hésitation et peut-être même du ton de l'offensé avant de n'en pas dormir et de s'imposer je ne sais quel Golgotha purificateur. Valentina l'a cru. La soirée était sauvée et Peggy Wigstrom a retrouvé sa place dans l'ombre.

Yasmina Reza, Serge (2021)
 

dimanche 3 juillet 2022

Tier list "Minus Story"


Je vous ai pas mal parlé de Minus Story ici ces derniers temps, ce post marquera la fin de cette série, en inaugurant par la même une nouvelle rubrique.

Elle ne concernera que les groupes ou artistes qui me sont chers (c'est-à-dire ceux avec qui j'ai un lien "affectif") et que j'ai par conséquent suivis sur l'ensemble de leur discographie. Après écoute attentive et exhaustive, je classerai ici les albums des meilleurs aux plus anecdotiques (et non "from worst to best" comme de coutûme sur Stereogum). Le nombre et l'intitulé des catégories n'est pas arrêté.

Le groupe, formé à Boonville (Missouri) avant de s'établir à Lawrence (Kansas) n'a plus rien sorti depuis 2007. Il officiait dans une veine pop psyche lofi, avec la mort comme sujet favori... L'un des membres principaux, Jordan Geiger, a continué de sortir des disques sous le nom Hospital Ships. Je prends la liberté des les intégrer à ma liste.


MINUS STORY
-
MÉMORABLES
The captain is dead, let the drum corpse dance (2004) [!]
No rest for ghosts (2005)
+
Heaven and hell EP (2005)


REMARQUABLES 
Hospital Ships - Lonely Twin (2011)
My Ion Truss (2007)
Make the Dead Come EP (2007)


AGRÉABLES
Hospital Ships - Oh, Ramona (2008)


DISPENSABLES
Hospital Ships - Destruction In Yr Soul (2013)
Hospital Ships - The Past Is Not A Flood (2016)


(*) Parmi mes disques favoris, tout groupe / artiste confondu
(**) très bons albums
(***) bons albums
(****) moins réussis / plus inégaux
[!] album par lequel j'ai connu le groupe

samedi 2 juillet 2022

We're like the dreamer


Près de 8 ans après l'avoir annoncée ici, je viens seulement de visionner la saison 3 de Twin Peaks. J'ai bien sûr été ravi de retrouver des endroits et personnages familiers, côtoyés tout de même pendant une trentaine d'épisodes. Les 25 ans passés depuis la clôture de la saison 2 se voient naturellement sur les visages (autant que sur le nôtre), qu'on découvre avec tendresse et bienveillance.

Les retrouvailles sont cependant loin de se dérouler dans un climat apaisé, tant le début de la saison est déstabilisant. Au final, David Lynch parachève son œuvre de belle manière. Un revisionnage serait bien sûr éclairant (*), mais n'est pas indispensable pour que l'histoire, les images et impressions laissent une trace durable.

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Seul extrait que je transposerai ici, ce récit de Gordon Cole (interprété par David Lynch) qui évoque (la vraie) Monica Bellucci.


Last night, I had another Monica Bellucci dream : i was in Paris on a case. Monica called and asked me to meet her at a certain cafe. She said she needed to talk to me. When we met at the cafe, Cooper was there. But I couldn't see his face. Monica was very pleasant. She had brought friends. We all had a coffee. And then she said the ancient phrase : "We're like the dreamer, who dreams and then lives inside the dream."

I told her I understood. And then she said... "But who is the dreamer ?" A very powerful uneasy feeling came over me...



David Lynch, Twin peaks the return (2017)

(*) au moins toutes les scènes en noir et blanc, dans la loge noire, avec S. Palmer et tous les flashbacks...