jeudi 31 mars 2022

Les Loups sont-ils les plus dangereux ?


Lorsque je fais la lecture de livres pour enfant, j'ai pour habitude d'adapter et commenter le texte à la volée, notamment pour délivrer le moins possible de stéréotypes de genres (de ceux qui limitent les horizons, des filles comme des garçons). 

Lue avec ce prisme, la moralité du Petit Chaperon rouge de Charles Perrault est intéressante.

On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d'écouter toute sorte de gens,
Et que ce n'est pas chose étrange,
S'il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d'une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces Loups doucereux,
De tous les Loups sont les plus dangereux.

Cette moralité explicite le sens du conte. Elle entre en résonnance avec notre époque, je pense aux  discours sécuritaires et leur "déconstruction" par les féministes. Je regrette de ne pas retrouver un de ces nombreux tweets qui pourraient illustrer mon propos. Néanmoins, les exemples de messages préventifs maladroits invitant les femmes à ne pas rentrer seules le soir, à ne pas s'isoler dans les transports, à ne pas courir en forêt trop tôt ni trop tard, à surveiller leur verre dans les bars et j'en passe, sont nombreux.

Comme l'explique Valérie Rey-Robert sur son blog dans un article particulièrement éclairant, ces messages sont néanmoins discutables dans la mesure où ils restreignent de facto les libertés des femmes, entretiennent un climat de peur/méfiance en toute situation, et culpabilisent les victimes qui  n'auraient pas tenu compte de ces mises en garde.

Que ne s'adresse-t-on aux hommes ?
Pourquoi par exemple envisager un couvre-feu pour les femmes (afin de les protéger)... et pas pour les hommes ?

Peut-être parce que, tel Perrault, nous faisons de l'agresseur un loup, une bête, un monstre, un criminel, bref un interlocuteur en dehors du contrat social, qu'il serait vain de tenter de sensibiliser ou raisonner.


Toutes les études montrent pourtant que l'image de l'agresseur inconnu tapi dans l'ombre est fausse, puisque la majorité des agressions sont le faits d'hommes "connus" de la victime.

On arguera enfin qu'on ne peut mettre tous les hommes dans le même panier (#notallmen). Arrêtons-nous un instant et faisons un effort de transposition en considérant les messages de la sécurité routière dans sa mission de réduire les accidents de la route (parallèle imaginé par Rose Lamy sur son blog). Ne s'adressent-ils pas à l'ensemble des conducteurs ? Et non pas aux seuls chauffards... Et bien entendu, encore moins aux piétons ?

samedi 12 mars 2022

L'angoisse s’est emparée du monde entier

Lire principalement de la littérature contemporaine, dans laquelle les êtres, les choses, le style ne sont pas forcément ni beaux, ni nobles, donne à une oeuvre classique un supplément de charme un brin désuet. Dernier exemple en date, Clarissa de Stefan Zweig, avec la destinée méritoire de cette femme autrichienne, son histoire d'amour toute en pudeur... le tout alors que les cieux s'assombrissent au-dessus de l'Europe, à l'aube de ce qui sera la première guerre mondiale.

Ce dernier aspect n'a évidemment en soi rien de charmant...
ni même de désuet (émoji drapeau ukrainien)

- À quoi sert ce que nous pensons ? Qui sommes-nous ? Les grands de ce monde disposent de nous comme bon leur semble. Il nous faut attendre. Notre vie ne représente pas beaucoup d’énergie, un peu comme cette cendre qui couvre le sol là-bas. Le moindre souffle de vent l’emporte. Il ne nous laisseront pas vivre ensemble. [...] Maintenant, les empereurs télégraphient. J'ai le sentiment qu'il commencent à avoir peur. L'angoisse s'est emparée du monde entier, à présent rien ne peut plus nous aider. Aucune sagesse. Maintenant, les empereurs télégraphient. J’ai le sentiment qu’ils commencent à avoir peur. L’angoisse s’est emparé du monde entier, à présent. Rien ne peut plus nous aider. Aucune sagesse.

- Que devons nous faire ?

- [...] Remémorons-nous une fois encore tout ce que nous avons vécu, Fixons une fois encore tout ce que nous avons vu ici. Il ne nous restera peut-être rien d’autre que le souvenir de cette période.

Stefan Zweig, Clarissa (inachevé, publié en 1992)