vendredi 31 mars 2017

La peur

Dans une série de courts textes, récemment portés à la scène au 104, Olivia Rosenthal discourt cinéma... Ou plutôt "films". Dans un style direct, la narratrice distille le fil de ses pensées, en réaction au (re)visionnage de films célèbres : Alien, Bambi, ou par exemple ici les Oiseaux.

Après s'être interrogée sur ce qu'ôte ou apporte la répétition d'une projection d'un film d'angoisse, elle s'attarde plus précisément sur notre réaction face à la peur...

Je ne sais pas si j'ai moins peur aujourd'hui qu'hier, je ne sais pas si les adultes sont plus forts que les enfants, ils sont seulement plus contrôlés, plus éduqués, plus adaptés, plus plastiques. Je suis plastique. Je m'adapte à mon environnement et si les oiseaux attaquent je ne hurle pas comme une bête, je me cache et je cherche des solutions. Aucune solution. Le film n'apporte aucune solution. On ne résout pas la peur. On ne surmonte pas la peur. On essaye juste de la sortir de soi et de courir plus vite qu'elle pour la laisser en arrière. On court jusqu'à ce qu elle soit minuscule, là-bas, dans le paysage. Et adulte on est plus grand, plus musclé, on court plus vite. On apprend plus vite à reconnaître dans certaines de ses réactions les symptômes d'une frayeur à venir, on apprend plus vite à contenir ces symptômes afin qu'ils n'envahissent pas toutes les ressources dont on dispose. On délimite. On veille. Et dès que la peur sort sa petite tête hideuse, on prend ses affaires et on s'en va. On lui laisse tout. Les meubles, les photographies, la maison, on lui abandonne la place. Le plus important, c'est de survivre. Tout le reste est superflu.

Olivia Rosenthal, Les oiseaux reviennent (2016)

mardi 28 mars 2017

Dualité

Un texte de Gao Bao (artiste contemporain et photographe chinois), à lire, dans le cadre de l'exposition « Les Offrandes », jusqu'au 4 avril Maison Européenne de la Photographie.

Dans mon enfance, la frontière entre le noir et le blanc était bien nette. Ma première éducation a été celle des années les plus bruyantes, c’est-à-dire la révolution culturelle. A cette époque-là, dans ma petite ville, une exécution était un moment important. Nous étions tous réunis dans un jardin public. Les condamnés grimpaient d’abord sur une scène, où ils étaient critiqués. Puis, placés dans un camion, ils défilaient dans les rues, en caravane.

Cela arrivait deux ou trois fois par an. Je m’en souviens bien, j’avais entre sept et neuf ans, et dès qu’une exécution était annoncée, cela me faisait plaisir d’y participer du début jusqu’à la fin. Je suivais le défilé en courant. J’aimais voir les fusils pointés vers les condamnés, les balles entrer dans leurs têtes, la cervelle en sortir. Je restais prés des corps. Après quelques heures, les mouches bourdonnaient, et cela me donnait envie de vomir. Mais ce n’était pas grave. Le plaisir était plus fort que la répugnance. Je me souviens encore du nom de certains condamnés, comme les frères Li Dai Kun et Li Mu You.

Cela me rassurait parce que d’un côté, il y avait les bons, et de l’autre les mauvais. Les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires. Le professeur nous disait, à l’école : «On se débarrasse du mauvais comme le vent balaie les feuilles mortes, sans hésiter. Pour les bons, il y a le vent du printemps qui réchauffe la nature». Le fait d’être un homme ou une femme n’était pas important

Plus tard, j’ai essayé d’être un homme, en essayant d’approcher et de comprendre une femme. A ce moment-là, j’ai réfléchi à ce que nous sommes, nous autres êtres humains. Où est le bon, où est le mauvais en moi, me suis-je demandé ? Lorsque j’ai tenté de jouer le rôle noir, je ne me suis pas senti aussi sombre qu’il semblait. Mais lorsque je tentais d’approcher le blanc, il restait toujours quelques saletés. J’ai donc eu besoin d’un outil pour comprendre le monde, pour me reconnaître. Cet outil, c’est l’appareil de photo.

Au début, j’imaginais que la pellicule allait saisir les choses vraiment objectivement. Malheureusement, la photo mentait aussi, et j’ai commencé à faire des images subjectives. Enfin, en voulant saisir ces images subjectives, j’ai vu la situation objectivement. Notre monde est toujours double, comme la nuit et le jour, et nous sommes parfois des êtres adorables, parfois désespérants. Je me suis demandé : «Lorsqu’on est dans un moment mauvais, doit-on accepter que l’on nous tire une balle dans la tête ?»

Plus tard, j’ai photographié ces hommes et ces femmes. Je voulais rencontrer mon souvenir d’enfance. J’ai pu leur faire un sourire, leur parler des choses comme on le fait avec un frère ou une sœur. C’était l’occasion de leur serrer la main très amicalement, et de ne pas voir leur tête avec un grand trou.

Gao Bao - «Etre humain» - Dualité - Série N°2 (1999)

lundi 27 mars 2017

In the wine​-​dark sea

C'était ce samedi, Stanley Brinks + Freschard, de passage à Paris pour un concert en appartement.

samedi 25 mars 2017

An illusion


Mulholland Drive, aka le film qu'il faut nécessairement voir deux fois de suite (et de préférence, pas à 15 ans d'écart). S'il vous a paru abscons, l'internet regorge d'explications finalement assez limpides (par exemple ici, ou encore ), basées sur la chronologie réelle des scènes. Entre autres scènes mémorables, il y a celle du Silencio, donnant l'une des clefs du film.


No hay banda! There is no band!
Il n'est pas de orquestra!
This is all...a tape-recording.

No hay banda!
And yet we hear a band.

If we want to hear a clarinette... listen...

Un trombone "à coulisse".
Un trombone "con sordina".

Hear le son... and mute it... drop it...
It's all recorded.

No hay banda!
It's all a tape.

Il n'est pas de orquestra.
It is... an illusion.



David Lynch, Mulholland Drive (2001)

lundi 20 mars 2017

Promettre est dans l'air du temps

Ce soir, sur TF1.

C'est tout ce qu'il y a de mieux : promettre est dans l'air du temps. La promesse ouvre les yeux de l'attente, qu'engourdit et tue l'accomplissement d’une parole. Excepté pour les gens simples et vulgaires, tenir ce qu'on a promis n'est plus en usage. Promettre est plus poli, plus à la mode ; tenir sa promesse, c'est faire son testament, ce qui annonce toujours une grande maladie dans le jugement de celui qui le fait.

William Shakespeare, Timon d’Athènes (1608)


*
*         *
(en VO)

Good as the best. Promising is the very air o' the
time: it opens the eyes of expectation:
performance is ever the duller for his act; and,
but in the plainer and simpler kind of people, the
deed of saying is quite out of use. To promise is
most courtly and fashionable: performance is a kind
of will or testament which argues a great sickness
in his judgment that makes it.

jeudi 16 mars 2017

Have you owls in Scotland?

Je vous parlais encore il y a peu de Jason Molina (Songs: Ohia, Magnolia Electric Co.), par le biais d'un morceau enregistré le 11 septembre 2001, et du récit de cette session par le musicien écossais Alasdair Roberts.

Cela fait aujourd'hui 4 ans que Jason Molina est décédé. Je trouve un peu par hasard cet autre texte d'Alasdair Roberts. Je le reproduis ici. 

Il intéressera celles et ceux d'entre vous familiers de ces musiciens (ou de Will Oldham). Les autres, sans doute moins.


I first met Jason Molina in September 1995; I was 18 and he was 21 or 22. This was before the first Songs:Ohia record. I'd just moved to Glasgow and I was getting heavily involved in the music scene. Jason and I both had singles coming out on Will Oldham’s Palace Records. Will had mentioned Jason to me during a telephone conversation, saying that his music sounded 'very old.' One day I received an unexpected and intriguing letter from Jason, on blue airmail paper in an elegant and old-fashioned script. It might have been sent from the 19th century (that is, from a North American of the 1800s as imagined by a teenage Scot who hadn’t been there).

We began to exchange letters. Jason was living in London on exchange from Oberlin College. I remember the general tone of his letters rather than what they contained, but I do recall a couple of sentences: 'Have you owls in Scotland? One does hoot outside my window as I write.' This was before the internet, email and 
the 'digital music revolution.' Then, all my recording was done at home to four-track cassette, and I suppose it was similar with Jason – but I hadn't yet heard a note of his music.

We spoke on the telephone and I found he was a down-to-earth fellow, contrary to the impression that his letters might have given me – and very friendly. I had expected to be intimidated by him – but I was easily intimidated back then. We agreed to meet, and I rode to London on a free coach taking students to a protest 
(not that I was apolitical, but I don’t remember what the protest was about, and I am sure my presence was not missed). So that was the first time we met. At that point he had long hair in a ponytail and seemed inseparable from his leather jacket. We spent three or four days exploring London, stopping here and there for coffee or food, visiting galleries and some of Jason's favourite spots, and talking.

I am sure Jason, bright and boundlessly energetic, did most of the talking, because I was a shy lad back then. I remember him spontaneously bursting into wordless song as we walked – clearly a born musician. Jason talked about Ohio and I about Scotland. We discussed music, inevitably (Kraftwerk, Trans Am, Gene Autry and Merle Haggard), art (Joseph Cornell, Cy Twombly) and literature (Edna St Vincent Millay, Seamus Heaney), all subjects about which he was very knowledgeable and passionate. We spent time with other American students; sitting in a cafe on the banks of the Thames, I remember that the subject of 'Meat 
Henge' came up. This was an idea that Jason and his friends (although I suspect it was mostly Jason) had had for a conceptual rock opera featuring a megalith hewn not of stone but of animal flesh. This was an inkling of Jason’s sense of humour, or at least one aspect of it.

I remember sitting one evening in Jason’s flat, candles lit, him singing and playing his four-string tenor guitar for about an hour. This was the first time I had heard that music, that sounded so unfathomably old and wise, belying his relative youth, its sombreness in contrast to his apparently up-beat personality. The first thing I 
heard him sing was an old song about the Erie Canal, then Freedom, Part 2 from that first Palace Records single. Jason had heard that there was a ‘traditional music’ session going on so a group of us went along. He introduced himself to the assembled musicians who were seated in a closed group around a table, their 
backs to the pub. Jason sang Freedom and they responded favourably before closing the circle again.

Eventually I caught a train back to Glasgow, carrying a cassette of Jason’s songs – demos for the first Songs:Ohia LP on Secretly Canadian. I spent the long Perthshire winter of 1995 listening to it. It still moves me most of all Jason’s music, despite everything great he made and all that he achieved later.

In 2000 I went to Lincoln, Nebraska to record with Jason. The Ghost Tropic LP emerged from these sessions. Apart from The Lioness LP session at Chem 19 near Glasgow (with Arab Strap and drummer Geof Comings) earlier that year, on which I played on one song, this was my first real experience of working with him in the studio, and it was fascinating and deeply rewarding. In some senses he had a really clear idea of what he wanted – the songs were within him and simply had to come out – but in terms of the arrangements and what drummer Shane Aspegren and I came up with, and how engineer Mike Mogis recorded it, he liked to be surprised and was prepared to take our ideas on board. 

Jason played each song once for us to learn it – songs more defined by mood than by structure, so it was more a case of tapping into that than learning lots of chord changes. We’d play each song a few times, then record two or three takes. Jason liked doing things as live – and as quickly – as possible. I'm not sure whether that remained true throughout his career, but I suspect that his fondness for capturing that spontaneous and unrepeatable moment of creation, live and in the studio, was with him until the end. I believe that Jason possessed that quality which in an Andalucian flamenco singer might be called duende – the music’s spirit coursing through him.

Later, I was fortunate to tour with Jason. A trip through Florida and the South with Magnolia Electric Co. sticks in my mind keenly. I will always be very grateful to Jason for inviting me along – it's difficult to imagine that I would ever have been able to travel in and experience those places otherwise, and there can't be many Scottish musicians who have had that opportunity. Thanks, Jason.

By then, his ever-evolving music had developed in tandem with his fellow musicians – it rocked more than Ghost Tropic – and he had a well-deserved cult following, playing to packed rooms every night. The tour ended at the 40 Watt Club in Athens, Georgia and I vividly remember driving, with tour manager Dirk Knibbe, back to Jason’s Chicago home the following day. A gifted raconteur, Jason enthusiastically regaled us all the way with many stories, including the tale of H.H. Holmes, who was the subject of a then-recent book entitled The Devil In the White City by Erik Larson. Holmes was one of America's earliest serial killers, luring his victims to their deaths in a specially constructed 'Murder Castle' during the Chicago World's Fair of 1893. Jason told this macabre story well, although he was equally gifted as a teller of less gruesome tales, not to mention jokes. 

I enjoyed staying with Jason and his wife Darcie in Chicago on a couple of occasions. Once we visited a yard sale; a piece of wood with a message written on it caught Jason's attention. I read it: 'Some hae meat and cannae eat…' – Burns' Selkirk Grace, of course! This appealed to Jason greatly, who bought the plaque and took it home. It was magical to find that message, so Scottish and yet so universal, there in Chicago. Of course, Jason’s music touched people very deeply on this side of the Atlantic. I just toured in Ireland and the name of Jason Molina was respectfully mentioned wherever I went – in Rathfriland, Dublin, Derry, Belfast and Limerick.

I've tried to give a summary of the man, Jason Molina, as I knew him. I am aware that there are others who knew him better, who knew different sides of him. I sense that he was a very complex individual, and I don't think that anyone who knew him would dispute that. He created a singular body of work in a relatively short span of time and it's regrettable that we cannot know where his restless creativity might have led next. I feel honoured to have known him and considered him a friend, although an ocean separated us. The memory of the times I spent with Jason and the sound of his voice will stay with me forever. Rest in peace.

Alasdair Roberts, Glasgow (November 2013)

vendredi 10 mars 2017

Le voile d’un patriotisme ardent

En bon fan de Shakespeare, je suis toujours ravi quand une de ses pièces méconnues se monte. Pourquoi en effet toujours donner à voir les 7-8 mêmes, alors qu'il en existe tant d'autres ?
Peut-être parce qu'elles sont moins réussies... ou de moindre portée...

Dans Timon d'Athènes, le metteur en scène Cyril Le Grix a néanmoins trouvé des résonances avec notre époque : lorsqu'un monde sans "fraternité économique" (on dirait aujourd'hui "justice sociale") périclite, mené à sa perte par une caste de puissants. Selon lui, dans cette pièce, "Shakespeare met en évidence les dispositifs par lesquels une société guidée par l’avidité, l'avarice et la thésaurisation à outrance, pervertit la sphère politique, enfante la guerre et détruit notre planète."

Bénéficiant d'une traduction *relativement* récente, le texte, dans ses allusions à la "politique" prend une certaine saveur.



À merveille ! Votre Seigneurie est un admirable coquin ! Le diable n’a pas su ce qu'il faisait en faisant l’homme politique : il s’est fait tort ; et je ne puis m’empêcher de penser qu'au bout du compte la scélératesse de l’homme le blanchira lui-même. Comme ce seigneur cherche à colorer sa bassesse, et copie de vertueux modèles pour justifier sa méchanceté ! ainsi font ceux qui, sous le voile d’un patriotisme ardent, voudraient mettre des royaumes entiers en feu ! Tel est le caractère de cet ami politique. 

En VO maintenant :

Excellent! Your lordship's a goodly villain. The
devil knew not what he did when he made man
politic; he crossed himself by 't: and I cannot
think but, in the end, the villainies of man will
set him clear. How fairly this lord strives to
appear foul! takes virtuous copies to be wicked,
like those that under hot ardent zeal would set
whole realms on fire: Of such a nature is his
politic love.


William Shakespeare, Timon d’Athènes (1608)
Adaptation et mise en scène Cyril le Grix
Jusqu'au 2 avril au Théâtre de la Tempête

jeudi 9 mars 2017

Two ages

Très beau portrait de Buster Keaton (une de mes "idoles"), déniché parmi la collection de Bernard Plossu exposée en ce moment à la Maison Européenne de la Photographie.

Jesse Fernandez - Buster Keaton, New York, 1960
En voyant ce visage et cette expression, je me dis que l'acteur aurait tout à fait pu figurer au casting de Docteur Folamour (comme Peter Sellers, donc).

Je profite de cet article pour montrer quelques chouettes visuels récemment réalisés pour la restauration de quatre de ses films. A quand un cycle Buster Keaton à Paris ?

(posters par Dylan Haley)

mardi 7 mars 2017

Truthful hyperbole

The final key to the way I promote is bravado. I play to people's fantasies. People may not always think big themselves, but they can still get very excited by those who do. That's why a little hyperbole never hurts. People want to believe that something is the biggest and the greatest and the most spectacular.

I call it truthful hyperbole. It's an innocent form of exaggeration— and a very effective form of promotion.

Donald Trump, The Art of the deal (1987)

*
*         *

Cette "innocente forme d'exagération" qui l'a par exemple poussé à gonfler de dix étages la hauteur de sa Trump Tower (le compteur passe de 19 à... 30 jusqu'à 68) est bien entendu plus problématique maintenant qu'il est président des Etats-Unis d'Amérique.

Si l'on ajoute à cette conception élastique de la vérité, le fait qu'il relaie des informations mécomprises ou des allégations lues sur des sites complotistes, on réalise à quel point l'avenir sera encore parsemé de "faits alternatifs".

Il est d'ailleurs intéressant de relever à quel point les porte-paroles du président, pressés par des journalistes d'étayer ses propos, recourent au terme "belief" : c'est ce qu'il "croit".
Après l'affirmation selon laquelle Trump aurait été mis sur écoute par Obama, une porte-parole (Huckabee Sanders) dira par exemple :

I think he is going off of information that he’s seeing that led him to believe that this is a very real potential

Sur ce sujet (éminemment intéressant et préoccupant), lire cet article de Vincent Glad, et tout speech de John Oliver dans le cadre de son émission Last Week Tonight, infiniment plus pertinent, documenté et corrosif que les émissions dites "impertinentes" du paysage audiovisuel français.
A voir notamment :

Trump vs. Truth :
et Trump's Obama Conspiracy :

dimanche 5 mars 2017

Impossible d'aller plus loin


A partir de son expérience propre, Laure Murat, professeure de littérature française à l'Université de Los Angeles, s'interroge : Comment et pourquoi  est-elle tombée amoureuse de cette ville ? Sans doute précisément parce que "ce n'est pas une ville".

Outre des réflexions et considérations spécifiques à la cité des anges, elle aborde dans le passage que je reproduis ici la difficulté de créer de réels liens amicaux aux Etats-Unis.
Explications.

On me demande souvent si Paris me manque. J'y passe suffisamment de séjours dans l'année pour répondre sans mollir : non. L'amitié, ou disons une certaine qualité dans les relations amicales, ça, en revanche, oui. Qualité n'induit ici aucune supériorité mais renvoie plutôt à une nature différente des liens formés avec les autres. Aux États-Unis, l'approfondissement des rapports humains ressemble à un gros mot. Passé les deux ou trois premières rencontres où l'on se livre à l'inévitable résumé autobiographique, la machine se grippe, le plafond est atteint, impossible d'aller plus loin. Comme s'il convenait de ne jamais aller gratter la surface du récit, ni poser des questions qui pourraient avoir des effets dans le rapprochement des parties. « Les Américains ouvrent leurs bras mais ne les referment pas. » Ce n'est qu'un dicton, certes.

La seule explication que j'aie trouvée à ce comportement - qui frappe n'importe quel Européen installé outre-Atlantique - a trait à la taille inimaginable des États-Unis et à l'extraordinaire mobilité de ces citoyens. On ne peut pas, on ne doit pas s'attacher aux autres dans un pays qui a inventé le road trip, le road movie, le mobile home et tous les mobile devices de la terre (du téléphone à l'ordinateur), où l'on passe son temps à bouger, déménager, partir, se réinventer, changer d'emploi, de sexe ou de destin. Principe de précaution. Dans ce schéma, le seul point fixe, l'alpha et l'oméga, la pierre angulaire, c'est la famille. C'est le foyer incandescent de toutes les passions, l'abcès de fixation. Il suffit d'allumer la télé. Du matin au soir, on a droit à la saga toujours recommencée de papa-maman-les frères-et-soeurs.

Noués à la première rencontre mais difficiles à resserrer, les liens personnels d'amitié ne se trouvent pas favorisés par l'échelle de Los Angeles. Il faut s'y prendre des semaines à l'avance pour fixer la date d'un dîner avec trois personnes débordées de travail, qui n'auront pas les mêmes horaires ni les mêmes contraintes, et habiteront parfois à une heure de voiture les unes des autres - sans compter les bouchons. Ou comment les distances dans la ville redoublent la distance entre les gens.

Après des années, et beaucoup de résistances, je me suis faite à ce mode de vie. Je n'ai rien abdiqué de mon goût de l'amitié, mais j'ai renoncé à importer à LA. un modèle culturel inadapté outre-Atlantique. Bien m'en a pris. Car cela m'a ouvert une autre façon d'être au monde - et aux autres.

Laure Murat, Ceci n'est pas une ville (2016)

samedi 4 mars 2017

Parlons Joie


Riad Sattouf, Les cahiers d'Esther - Tome 2 : Histoire de mes 11 ans (2017)

jeudi 2 mars 2017

Spring and by Summer Fall

Diaporama des concerts de ces deux derniers jours : Frànçois and The Atlas Mountains et Tinariwen à la Maison de la Radio d'une part, et Blonde Redhead d'autre part, dont je me suis promis de ne plus rater aucun concert.

Frànçois and The Atlas Mountains
Tinariwen
Blonde Redhead
Pour les curieux, voici la setlist [via]
Hormis les morceaux extraits de "Misery...", mention spéciale à "Spring and by Summer Fall", et bien sûr, toujours, "23".


Falling Man
Bipolar
Elephant Woman
No More Honey
Where Your Mind Wants To Go
Three o' clock
Doll Is Mine
Dr. Strangeluv
Defeatist Anthem (Harry and I)
Dripping
Spring and by Summer Fall
+
Give Give
Pink Love
Equus
23