lundi 29 juin 2020

Nous sommes une multitude d'autres


Mon amour, ma moitié,
je t'appelle depuis longtemps,
tu m'appelais lorsque j'étais désespéré,
lorsque je faisais la fête.
Je ne pensais jamais te rencontrer,
je pensais que tu n'existais pas.

Nous nous sommes reconnus un soir,
au coin de la vie.
A force d'y penser, à force d'espérer,
nous sommes tombés l'un sur l'autre.
J'ai frappé, tu as ouvert la porte.

Mon amour, mon sourire éternel,
le point commun qui nous unit,
c'est que nous avons plusieurs visages,
plusieurs coeurs, plusieurs âmes.
Nous [ne] sacrifions plus nos pensée à quelconque tyrannie,
il n'y a plus de règle, nous inventons de nouvelles formules.
Nous marchons contre le vent,
nous marchons sur la montagne,
nous remontons sur la scène de notre propre vie.

Je sais qu'avec toi, je peux tout dire,
je peux enfin me confier dans le calme.
Toi et moi, une autre idée du végétal.
Nous vibrons ensemble, nous mourrons
et nous nous reformons à n'importe quelle heure du jour de la nuit.
Nous savions ce que nous voulions devenir depuis l'enfance,
ton intelligence te laissait entrevoir qui tu allais être,
ton intelligence te laisse voir que je t'aime.

Notre époque voit enfin la rupture,
nous sommes sur les ruines de la folie !
La folie....

Tout a repoussé, la nature a repris le dessus,
elle est libre et sauvage.
Ici, plus d'activité humaine.
Nous sommes ce qui se produit,
nous sommes présents,
nous ouvrons les yeux,
les choses apparaissent pour nous à chaque instant.
Nous nous complétons,
nous nous ressemblons,
nous comprenons qui est l'autre,
nous sommes une multitude d'autres.
Ici, chaque élément nous révèle.

Tu es la forêt,
tu m'appelles depuis 55'000 ans,
tu m'appelles à chaque instant,
tu fais battre mon coeur avec de nouveaux rythmes.
J'ai parcouru le monde à ta recherche.
J'ai longtemps marché sans autre but que celui d'être dans tes longues branches.
Quand je rentre épuisé à la nouvelle lune avec un seul fil pour me guider, tu me dis :
"Tu es ici chez toi, enfant des bois,
" tu n'as rien à craindre, apaise toi,
" Ici, tout se sait, ici, tout change à chaque minute"

Julien Gasc, L'appel de la forêt
L'appel de la forêt (2020)


mercredi 17 juin 2020

Une source de bonheur

Dans le film "Perdrix", il y a aussi du Novalis, qu'on écoute (et pour ma part découvre) avec plaisir.


Je m'élève au-delà de ce monde, et chaque peine que j'ai maintenant à souffrir, deviendra un jour une source de bonheur. Quelque temps encore, et je suis libre, et je repose au sein de l’amour. Une vie sans fin se développe en moi, et ta lumière, ô soleil, vient s’éteindre au pied d’un tombeau. C'est dans l'ombre que je reçois la couronne rafraîchissante. Je sens les flots de la mort qui doivent me rajeunir, mon sang se change en air balsamique et éthéré. Je vis le jour plein de foi et de courage, et la nuit je me baigne dans un feu sacré.

Novalis, Hymnes à la nuit (1833)

lundi 15 juin 2020

Perdrix de l'année

Belle découverte cinématographique que "Perdrix", le premier film d'Erwan Le Duc. Comédie "amoureuse" drôle et futée, qui partage avec l'oeuvre de Wes Anderson un penchant certain pour les plans posés et centrés, pour les couleurs vives, et pour les personnages sensibles et gentiment (mais résolument) fêlés.

Casting formidable, couleur locale appréciable (les Vosges...), accessoiristes et costumiers au top, bonne bande-originale... On n'est donc pas loin du sans faute.










Perdrix, Erwan Le Duc (2019)

mercredi 10 juin 2020

Faire son chemin dans la vie

Ce bureau et ces livres qu'il feuilletait sans vraiment les lire sur le tao, le Japon, Montaigne et les poèmes de François Villon étaient, je crois, son rêve de sagesse, sa mise en scène à lui pour se venger d'une enfance de misère et d'un mépris social qu'il avait ressenti toute sa jeunesse. Pauvre mais avec une tête bien faite et à une époque qui le permettait, il s'était hissé sans trop de difficultés jusqu'à un emploi confortable de programmeur en informatique pour y mourir lentement d'ennui, entouré de chefaillons aussi bornés qu'agressifs, s'appropriant son travail et l'obligeant constamment à décider d'une stratégie et à donner le meilleur de lui-même pour atteindre ses objectifs. Il avait pourtant bien essayé d'y aller, de s'imprégner de la novlangue de l'entreprise des années quatre-vingt, de penser topo et management. Pour preuve, les Boostez votre cerveau en dix étapes, Huit principes fondamentaux pour être performant et autres Faire son chemin dans la vie entassés à la cave avec les classeurs IBM. Mais trop peu sûr de lui, maladivement inquiet, entravé par le souvenir de la déchéance de son propre père et plutôt lucide sur les jeux de pouvoir qu'entraînent les responsabilités, il n'avait jamais vraiment réussi à prendre le taureau par les cornes. Que ses collègues, qui l'appelaient Chipo parce qu'il pétait au bureau, lui accordent leur estime et le désignent comme porte-parole quand il fallait négocier avec le chef semblait lui avoir suffi. Pourtant, l'alcool et sa soudaine passion pour le zen étaient arrivés à peu près au même moment. Au fond, on ne sait jamais vraiment si quelqu'un boit pour échouer ou échoue parce qu'il boit.

Anne Pauly, Avant que j'oublie (2019)

lundi 8 juin 2020

Le sentiment d'être dominé

Vous avez déjà entendu des "chroniqueurs" ou "éditorialistes" d'une certaine sensibilité se poser en minorité face à tel courant ou communauté qui serait devenu puissant et omniprésent et continuerait toutefois fort habilement de se prétendre dominé ?

Voilà qui mine toute possibilité de dialogue ou échange constructif. Chacun est dans sa bulle cognitive, conforté dans ses idées par ses pairs et une flopée d'anonymes (et par la véhémence des contradicteurs).

Grâce à la dernière newsletter de Titiou Lecoq pour Slate, j'ai découvert cet article de Tristan Garcia, qui réfléchit à ce que constitue le "nous" dans notre société. Et éclaire les discours, au hasard, des "hommes blancs de plus de cinquante ans"

L'affrontement entre le sentiment des dominés d’hier de n'être pas encore émancipés et de celui des dominants historiques d'être les nouveaux dominés bloque toute évolution. Il est devenu stratégique pour défendre son point de vue de se présenter comme dominé.

[...] Finalement chaque nous s’oppose à tous les autres, s'arrogeant des droits en vertu de sa position de dominé et de sa légitimité à défendre son mode de vie. Le sentiment d’asymétrie, d'être dominé, devient désormais un sentiment partagé par tous, de façon symétrique.

Tristan Garcia,  Nous (2016)