Vous ne sentez rien, vous ne pensez rien, vous vivez en somnanbule, vous avez l'impression d'être libre, d'être seule, d'être au-dessus du lot, d'être à la pointe, d'être insensible, d'être détachée, de vous tenir éloignée, vous mangez, vous dormez, vous étudiez, vous êtes calme, vous êtes posée, vous êtes sensée, vous ne parlez pas, vous ne pleurez pas, vous ne souffrez pas, vous ne menacez pas, vous ne vous mettez pas en colère, vous vous préparez à une intégration facile et sans douleur dans le monde des adultes. Vous apprenez lentement qu'on ne peut être ensemble et séparés.
[...]
Vous ne bronchez pas, vous ne soufflez pas, vous ne râlez pas, vous lisez, vous écrivez, vous remplissez des copies, vous passez des examens et des concours, vous étudiez sans effort, vous êtes à côté, derrière, sur le bord, vous êtes vagues, vous êtes légère, vous êtes insaisissable, vous êtes nonchalante, vous traversez l'existence comme s'il s'agissait d'un nuage, d'une fine buée, d'une matière cotonneuse et sans résistance, vous vivez en somnanbule, vous êtes anesthésiée, vous êtes endormie, vous êtes assommée, rien ne peut vous réveiller. Vous apprenez qu'on ne peut être ensemble et séparés. Vous vous absentez.
[...]
Vous découvrez que, contrairement à ce que vous disent les spécialistes des animaux en captivitié, l'ennui n'est pas pire que la mort. Il en constitue la forme lente, la lente mesure d'un temps qu'on ne sait utiliser parce qu'on n'a pas appris à penser par soi-même, à agir par soi-même, à sentir par soi-même, à vivre par soi-même. On s'ennuie de ne pas être indépendant et de ne voir devant soi aucune moyen de le devenir. En captivité, l'imagination s'épuise.
Olivia Rosenthal, Que font les rennes après Noël? (2010)
Ce sera le dernier extrait que je citerai ici.
La suite, dans le livre!
La suite, dans le livre!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire