vendredi 26 novembre 2010

l'éternel silence des espaces infinis

Paris>Amiens>Paris>Besançon>Champagnole>Paris>Aix-en-Provence>Béziers>Paris, forcément, ça laisse le temps de lire (et d'écouter en boucle Bertrand Betsch et Kanye West).

Extrait de Sphères, de Peter Sloterdijk, "philosophe marquant de l'Allemagne d'aujourd'hui" me dit-on, en quatrième de couverture.

Je n'ai pas encore de vision globale du livre puisque - entre deux contes de Lovecraft - je viens seulement d'en finir l'introduction, mais je reproduis déjà ici un passage.

L'auteur vient d'y rappeler le changement fondamental pour l'Homme qu'a introduit la révolution copernicienne (la Terre n'est pas au centre de tout). Nous savons depuis que nous sommes perdus dans un espace infini.

Après tout, quand vous êtes vous interrogés pour la dernière fois sur notre place dans l'Univers?

En pleine pause déj au travail, ca n'est peut-être pas le moment adéquat. Toujours est-il que le texte établit par la suite un lien avec notre époque actuelle.


Souvenez-vous: l'important, c'est de con-cep-tu-a-li-ser.

Au gel cosmique qui pénètre dans la sphère humaine par les fenêtres grandes ouvertes des Lumières, l'humanité des temps modernes oppose un effet de serre volontaire: elle entreprend une manoeuvre de compenser par un monde articiel et civilisé son absence d'enveloppe dans l'espace, due à la cassure des vases célestes. C'est l'horizon ultime du titanisme technique euro-américain. De ce point de vue, les temps modernes apparaissent comme l'ère d'un serment prêté par un déspespoir offensif: l'idée qu'une construction d'ensemble de la maison de l'espèce et qu'une politique globale de réchauffement sont forcées d'aboutir face au ciel ouvert, froid et silencieux. Ce sont surtout les nations d'entrepreneurs du monde occidental qui ont transposé leur inquiétude psycho-cosmologique acquise dans un constructivisme offensif. Elles se protègent contre les effrois de l'espace abyssal, étendu jusqu'à l'infini par l'édification à la fois utopique et pragmatique d'une maison de verre mondiale qui doit leur assurer un habitat moderne dans l'espace ouvert. C'est pour cette raison, au fur et à mesure que progresse le processus de globalisation, que le regard de l'homme vers le ciel est au bout du compte, de jour comme de nuit, de plus en plus indifférent et distrait; mieux, s'intéresser encore, avec un pathos existentiel, aux questions cosmologiques est presque devenu un critère de naïveté. En revanche, la certitude de ne plus rien avoir à chercher dans ce que l'on appelait le ciel est conforme à l'esprit d'une époque progressiste. Car ce n'est pas la cosmologie qui dit aujourd'hui aux hommes à quoi ils doivent d'en tenir, mais la théorie générale des systèmes immunitaires. C'est ce qui fait la singularité des temps modernes: d'un seul coup, après le tournant vers le monde copernicien, le système immunitaire qu'était le ciel n'a plus été bon à rien. La modernité se caractérise par le fait qu'elle produit techniquement ses immunités et articule de plus en plus ses structures de sécurité en se fondant sur les créations littéraires et cosmologiques traditionnelles. La civilisation de la haute technologie, l'Etat providence, Le marché mondial, la sphère médiatique: dans une époque sans enveloppe, tous ces grands projets visent à imiter la sécurité imaginaire des sphères, devenue impossible.

Peter Sloterdijk, Sphères (1998)


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