lundi 1 novembre 2010

il se rendait compte que sa dernière heure était venue

31 octobre. Halloween.
Peur. Monstres. Vampires.
Boulgakov (suite et fin)

Et soudain ses yeux s'arrondirent et devinrent complètement hagards, fixant d'un regard dément quelque chose, derrière le dossier du fauteuil où était assis Varienoukha [...]
"Il n'a pas d'ombre!" cria Rimski en lui-même, horrifié et secoué d'un violent frisson.

Suivant le regard insensé de Rimski, Varienoukha jeta un coup d'oeil furtif derrière son fauteuil, et comprit qu'il était découvert. Il se leva - le directeur financier fit de même - et recula d'un pas, en serrant sa serviette contre lui.
- Maudit, tu as deviné! Tu as toujours été très malin, n'est-ce pas? proféra Varienoukha en jetant au visage du directeur financier un éclat de rire haineux.

Et, d'un mouvement inattendu, il bondit à la porte, à laquelle il donna vivement un tour de clef. Jetant autour de lui des regards affolés, le directeur financier recula vers la fenêtre qui donnait sur le jardin et qu'inondait la clarté de la lune. Mais en se retournant il vit, collé contre la vitre, le visage d'une jeune fille nue et son bras nu qui, passé par le vasistas, essayait d'ouvrir l'espagnolette inférieure. Celle du haut était déjà ouverte.

Rimski eut l'impression que la lampe du bureau s'éteignait soudain et que le bureau lui-même se mettait à tanguer. Une vague glacée le submergea, mais - heureusement pour lui - il parvint à se dominer, et ne tomba pas. Il rassemblait ce qui lui restait de forces pour crier, mais ce ne fut qu'un murmure:
- Au secours...

Devant la porte qu'il gardait, Varienoukha sautait d'un pied sur l'autre, et à chaque saut il demeurait un moment suspendu en l'air, animé d'un léger balancement. Les bras tendus vers Rimski, il agitait ses doigts crochus, sifflait et clappait, tout en lançant des clins d'oeil à la jeune fille de la fenêtre.

Aussitôt, celle-ci, pour aller plus vite, passa sa tête rousse par la vasistas et tendit le bras autant qu'elle put; ses ongles griffèrent la crémone inférieure, et elle essaya d'ébranler le châssis. A ce moment, son bras se mit à s'allonger, comme il était en caoutchouc, en prenant une teinte verdâtre, cadavérique. Enfin, les doigts verts de la morte se refermèrent sur la poignée de l'espagnolette; celle-ci tourna, et la croisée s'ouvrit, Rimski poussa un faible cri et se colla contre le mur en tenant sa serviette devant lui comme un bouclier. Il se rendait compte que sa dernière heure était venue.

Le Maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov (1940)


[New York Annual Village Halloween Parade, via Brooklyn Vegan]

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