mardi 16 novembre 2010

A toi qui ne m'as jamais connue

Un après-midi d'été, en route vers quelque village du Cantal, j'avais entendu des passages de cette "lettre d'une inconnue", lus par Guillaume Gallienne sur France Inter... C'aura été suffisant pour que cette nouvelle se retrouve inscrite dans ma liste des livres à lire.
Je vous livre ici les premiers mots.

Le pitch: Après une excursion de trois jour, un homme, par ailleurs romancier à la mode, rentre chez lui. Parmi le courrier reçu, il y a cette enveloppe contenant deux douzaines de pages d'une écriture agitée, sans signature ni adresse. En guise d'épigraphe:
"A toi qui ne m'as jamais connue"
Il lit.


Mon enfant est mort hier; trois jours et trois nuits j'ai lutté avec la mort pour sauver cette petite et tendre existence ; pendant quarante heures, je suis restée assise à son chevet, tandis que la grippe secouait son pauvre corps brûlant de fièvre. J'ai rafraîchi son front en feu ; j'ai tenu nuit et jour ses petites mains fébriles. Le troisième soir, j'étais à bout de forces. Mes yeux n'en pouvaient plus ; ils se fermaient d'eux mêmes à mon insu. C'est ainsi que je suis restée trois ou quatre heures endormie sur ma chaise, et, pendant ce temps, la mort a pris mon enfant [...]

Maintenant, je n'ai plus que toi au monde, que toi qui ne sait rien de moi et qui, à cette heure, joues peut-être, sans te douter de rien, ou qui t'amuses avec les hommes et les choses. Je n'ai que toi, toi qui ne m'as jamais connue et que j'ai toujours aimé.

[...] Je ne sais si je m'exprime assez clairement, peut-être ne me comprendras-tu pas? Ma tête est si lourde : mes tempes battent et bourdonnent ; mes membres me font si mal. Je crois que j'ai la fièvre ; et peut-être aussi la grippe, qui maintenant rôde de porte en porte, et cela vaudrait mieux, car, ainsi je partirais avec mon enfant, et je ne serais pas obligée de me faire violence. Souvent un voile sombre passe devant mes yeux; peut-être ne serai-je même pas capable d'achever cette lettre ; mais je veux recueillir toutes mes forces pour te parler une fois, rien que cette seule fois, ô mon bien aimé, toi qui ne m'as jamais connue. [...] C'est à toi que, pour la première fois, je dirai tout; tu connaîtras toute ma vie, qui a toujours été à toi et dont tu n'as jamais rien su.

Stefan Zweig, Lettre d'une inconnue (1927)

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