samedi 9 janvier 2010

L'accablant contre-spectacle des choses en train de cesser d'être

La Route fait parti de ces livres que chaque lecteur est susceptible de recommander à ses amis, de telle sorte que ca devienne un "best-seller". Etant arrivé jusqu'à mes oreilles quasi-simultanément par 3 canaux différents, j'ai donc fini par le lire... deux bonnes années après sa publication, et alors même que le film sortait en salle.
(ce qui laisse imaginer à quel point je suis loin de l'actualité littéraire)



Le livre vaut pour la force de l'atmosphère qu'il décrit et installe, ainsi que pour les interrogations qu'il pose: A quelles règles se tenir, qu'est-ce qui devient acceptable, dans un monde dans lequel l'apocalypse a eu lieu, un monde sans loi où l'humanité est retournée à la barbarie?


Les jours se traînaient sans date ni calendrier. Le long de l'autoroute au loin, de longues files de voitures carbonisées en train de rouiller. Les jantes nues des routes enfoncées dans une boue grise solidifiée de caoutchouc fondu, dans des anneaux de fil métallique noirci. Perchés sur les ressorts nus des sièges, les cadavres incinérés et rapetissés de la taille d'un enfant. Dix mille rêves dans le sépulcre de leur coeurs passés au gril. Ils continuaient. Marchant sur le monde mort comme des rats tournants sur une roue. Les nuits d'une quiétude de mort plus mortellement noires. Si froides. Ils parlaient à peine. Il toussait sans cesse et le petit regardait cracher du sang. Marcher le dos voûté. Sale, en haillons, sans espoir. Il s'arrêtait et s'appuyait contre le caddie et le petit continuait puis s'arrêtait et se retournait et l'homme levait les yeux en pleurant et le voyait là debout sur la route qui le regardait du fond d'on ne sait quel inconcevable avenir, étincelant dans ce désert comme un tabernacle.

La route traversait un marécage desséché où des tuyaux de glace sortait tout droits de la boue gelée, pareils à des formations dans une grotte. Les restes d'un ancien feu au bord de la route. Au-delà une longue levée de ciment. Un marais d'eau morte. Des arbres morts émergeant de l'eau grise auxquels s'accrochait une mousse de tourbière grise et fossile. Les soyeuses retombées de cendre contre la bordure. Il s'appuyait au ciment rugueux du parapet. Peut-être que dans la destruction du monde il serait enfin possible de voir comment il était fait. Les océans, les montagnes. L'accablant contre-spectacle des choses en train de cesser d'être. L'absolue désolation, hydropique et froidement temporelle. Le silence.


La route, Cormac McCarthy (2007)
www.theroad-movie.com

A la lecture de tels passages, comment ne pas s'imaginer, par ces jours froids et brumeux, où la neige volette comme des cendres, et recouvre arbres, voitures et mobilier urbain, sur La Route?

3 commentaires:

  1. "L'absolue désolation, hydropique et froidement temporelle."

    Trop de style tue le style.

    RépondreSupprimer
  2. Oui, ce n'est pas le style que je retiendrai de ce livre, c'est sûr. Il m'a d'ailleurs limite indisposé au début, avec toutes ces phrases sans verbe.

    Ceci dit, je pense que ça passe mieux en V.O.

    RépondreSupprimer
  3. Ce n'est pas tant les phrases sans verbe qui m'ont gêné (en plus je l'ai lu dans une édition bourrée de fautes typographiques, voir avec des morceaux de phrases manquants) que ce genre de phrases qui obligent à ouvrir le dico (qui peux me dire spontanément le sens de "hydropique" ?) et qui crient "regardez, ça c'est du style !".
    Le problème c'est que j'ai entendu tellement d'éloges sur ce livre que j'en attendais trop et que je ne pouvais qu'être déçu.

    RépondreSupprimer