La nuit même où son autorité fut reconnue par tous les commandos rebelles, il se réveilla en sursaut pour réclamer à grands cris une couverture. Un froid intérieur qui le pénètrait jusqu'aux os et le mortifiait même en plein soleil, l'empêcha de bien dormir pendant plusieurs mois, jusqu'à ce qu'il en prît l'habitude. L'ivresse du pouvoir commença à se gâter par bouffées amères. Cherchant un remède contre le froid, il fit fusiller le jeune officier qui avait proposé l'assassinat du général Téofilo Vargas. Ses ordres étaient accomplis avant d'être communiqués, avant même qu'il ne les connût, et allaient toujours beaucoup plus loin qu'il n'aurait osé les faire aller. Egaré dans la solitude de son immense pouvoir, il commença à perdre la boussole. Il était irrité par les gens des villages vaincus qui acclamaient l'ennemi. Partout il rencontrait des adolescents qui le regardaient avec ses propres yeux, qui parlaient avec sa propre voix, qui le saluaient avec le même air méfiant qui était le sien pour répondre à leur salut, et qui disaient être ses fils. Il se sentit dispersé, répété, et plus solitaire que jamais. Il acquit la certitude que ses propres officiers lui mentaient. Il se prit de querelle avec le duc de Malborough. "Le meilleur ami, avait-il coutume de dire, c'est celui qui vient de mourir." Il se lassa de cette incertitude, du cercle vicieux de cette guerre éternelle qui le trouvait en tel et tel endroit, toujours les mêmes, seulement plus vieux chaque fois, plus ravagé, plus ignorant du pourquoi, du comment, du jusques à quand. Il y avait toujours quelqu'un en dehors du cercle de craie. Quelqu'un qui avait besoin d'argent, qui avait un fils atteint de coqueluche ou qui désirait s'en aller dormir à jamais parce qu'il ne pouvait plus supporter dans sa bouche le goût de merde de la guerre, et qui, cependant, réunissait ses dernières forces pour se figer au garde à vous et rapporter: "Rien à signaler, mon colonel." Et ce rien à signaler était précisément la chose la plus épouvantable dans cette guerre qui n'en finissait pas : rien ne se passait. Seul, abandonné par les présages, fuyant le froid qui devait ne pas le quitter jusqu'à la mort, il s'en vint chercher un dernier refuge a Macondo, à la chaleur de ses plus anciens souvenirs.
100 ans de Solitude, Gabriel Garcia Marquez (1965)
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