mercredi 30 décembre 2020

Pourquoi encourager les petits garçons à faire du bruit et les filles à se taire ?

Point de départ de la réflexion qui suit, la sortie mouvementée et empêchée du film de Virginie Despentes en 2000, film "sur le viol", par "trois hardeuses et une ex-pute".
 
Et une ministre de la Culture, une femme, de cette gauche-là, la gauche subtile, déclare qu'un artiste devrait se sentir responsable de ce qu'il montre. Ça n'est pas aux hommes de se sentir responsables quand ils se mettent à trois pour violer une fille. Ça n'est pas aux hommes de se sentir responsables quand ils vont aux putes sans faire voter les lois pour qu'elles puissent bosser tranquillement. Ça n'est pas à la société de se sentir responsable quand à longueur de films on voit des femmes dans le rôle de victimes des violences les plus atroces. C'est à nous de nous sentir responsables. De ce qui nous arrive, de refuser d'en crever, de vouloir faire avec. De l'ouvrir. On la connaît bien, cette rengaine, celle qui fait qu'on devrait se sentir responsables de ce qui arrive. Dans Elle, une imbécile quelconque, chroniquant un autre livre sur le viol, sans le moindre rapport avec le mien, souligne la dignité du propos, se sent obligée de l'opposer aux « vagissements » que je produis. Je ne suis pas assez silencieuse, comme victime. Ça mérite qu'on le signale dans un journal féminin, c'est un conseil aux lectrices : le viol, d'accord, c'est triste, mais doucement sur les vagissements, mesdames. Pas assez digne. Je t'emmerde. Dans Paris Match, même méthode, pour dire à la fille Montand qu'on préfère qu'elle se taise, une autre imbécile souligne la classe d'une Marilyn Monroe, qui, elle, a su être une bonne victime. Comprenez : douce, sexy, gardant le silence. Sachant la fermer sa grande gueule, alors qu'on la faisait tourner à quatre pattes dans des partouzes glauques. Conseils de femmes, entre elles. Le morceau de choix. Cachez vos plaies, mesdames, elles pourraient gêner le tortionnaire. Etre une victime digne. C'est-à-dire qui sait se taire. La parole toujours confisquée. Dangereuse, on l'aura compris. Dérangeant le repos de qui? 

Quel avantage tirons-nous de notre situation qui vaille qu'on collabore si activement? Pourquoi les mères encouragent-elles les petits garçons à faire du bruit alors qu'elles enseignent aux filles à se taire ? Pourquoi continue-t-on de valoriser un fils qui se fait remarquer quand on fait honte à une fille qui se démarque ? Pourquoi apprendre aux petites la docilité, la coquetterie et les sournoiseries, quand on fait savoir aux gamins mâles qu'ils sont là pour exiger, que le monde est fait pour eux, qu'ils sont là pour décider et choisir? Qu'y a-t-il de si bénéfique pour les femmes dans cette façon dont les choses se passent qui vaille qu'on y aille si doucement, dans les coups que nous portons ? 

C'est que celles d'entre nous qui occupent les meilleures places sont celles qui ont fait alliance avec les plus puissants. Les plus capables de se taire quand elles sont trompées, de rester quand elles sont bafouées, de flatter les ego des hommes. Les plus capables de composer avec la domination masculine sont évidemment celles qui sont aux bons postes, puisque ce sont encore eux qui admettent ou excluent les femmes des fonctions de pouvoir. Les plus coquettes, les plus charmantes, les plus amicales avec l'homme. Les femmes qu'on entend s'exprimer sont celles qui savent faire avec eux. De préférence celles qui pensent le féminisme comme une cause secondaire, de luxe. Celles qui ne vont pas prendre la tête avec ça. Et plutôt les femmes les plus présentables, puisque notre qualité première reste d'être agréables. Les femmes de pouvoir sont les alliées des hommes, celles d'entre nous qui savent le mieux courber l'échine et sourire sous la domination. Prétendre que ça ne fait même pas mal. Les autres, les furieuses, les moches, les fortes têtes, sont asphyxiées, écartées, annulées. Non grata dans le gratin.

Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006)

lundi 28 décembre 2020

Erratics and unconformities / 2020 Best Album Covers (Part.3)

Suite et fin de ma sélection des plus belles pochettes d'albums pour 2020.
Il en manque sûrement. N'hésitez pas en suggérer en commentaires.

the Reds, Pinks & Purples - You Might Be Happy Someday

Damien Jurado - What’s New, Tomboy ?

Craven faults - Erratics and unconformities

David Grubbs + Taku Unami - Comet Meta

vendredi 25 décembre 2020

Evermore / 2020 Best Album Covers (Part.2)

Suite de l'article précédent !

Agnes Obel - Myopa

Helena DelandSomeone new

Kevin Morby - Sundowner

Washed out - Purple noon

WaxahatcheeSaint Cloud

Taylor SwiftEvermore

mercredi 23 décembre 2020

Sign / 2020 Best Album Covers (Part.1)

Et voici ma sélection de pochettes remarquables pour cette année 2020. 
Premier volet

Julien Gasc - L'appel de la forêt

Autechre - Sign

Beatriz Ferreyra - Huellas entreveradas

iliketrains - KOMPROMAT

Taulard - dans la plaine

mardi 15 décembre 2020

Le contrat marital

Je concluais un précédent article dédié à King Kong Théorie (2006), en citant Silvia Federici (2019), expliquant la nécessité d'opposer prostituées et femmes au foyer, afin de ne surtout pas remettre en cause le statut de ces dernières. Laissons Virginie Despentes formuler ceci autrement :

Si le contrat prostitutionnel se banalise, le contrat marital apparaît plus clairement comme ce qu'il est : un marché où la femme s'engage à effectuer un certain nombre de corvées assurant le confort de l'homme à des tarifs défiant toute concurrence. Notamment les tâches sexuelles. 

Il faut dire que la prostitution est un sujet qui divise (tout autant que le voile), selon qu'on y voit une attente à la dignité (resp. marque de soumission) ou qu'on se refuse de dicter aux femmes leur conduite. 

Faire ce qui ne se fait pas : demander de l'argent pour ce qui doit rester gratuit. La décision n'appartient pas à la femme adulte, le collectif impose ses lois. Les prostituées forment l'unique prolétariat dont la condition émeut autant la bourgeoisie. Au point que souvent des femmes qui n'ont jamais manqué de rien sont convaincues de cette évidence : ça ne doit pas être légalisé. Les types de travaux que les femmes non nanties exercent, les salaires misérables pour lesquels elles vendent leur temps n'intéressent personne. C'est leur lot de femmes nées pauvres, on s'y habitue sans problème. Dormir dehors à quarante ans n'est interdit par aucune législation. La clochardisation est une dégradation tolérable. Le travail en est une autre. Alors que, vendre du sexe, ça concerne tout le monde et les femmes « respectables » ont leur mot à dire. Depuis dix ans, ça m'est souvent arrivé d'être dans un beau salon, en compagnie de dames qui ont toujours été entretenues via le contrat marital, souvent des femmes divorcées qui avaient obtenu des pensions dignes de ce nom, et qui sans l'ombre d'un doute m'expliquent, à moi, que la prostitution est en soi une chose mauvaise pour les femmes. Elles savent intuitivement, que ce travail-là est plus dégradant qu'un autre. Intrinsèquement. Non pas : pratiqué dans des circonstances bien particulières, mais : en soi. L'affirmation est catégorique, rarement assortie de nuances, telles que « si les filles ne sont pas consentantes », ou « quand elles ne touchent pas un centime sur ce qu'elles font », ou « quand elles sont obligées d'aller travailler dehors aux périphéries des villes ». Qu'elles soient putes de luxe, occasionnelles, au trottoir, vieilles, jeunes, douées, dominatrices, tox ou mères de famille ne fait a priori aucune différence. Echanger un service sexuel contre de l'argent, même dans de bonnes conditions, même de son plein gré, est une atteinte à la dignité de la femme. Preuve en est : si elles avaient le choix, les prostituées ne le feraient pas. Tu parles d'une rhétorique... comme si l'épileuse de chez Yves Rocher étalait de la cire ou perçait des points noirs par pure vocation esthétique.

[...]

Dans les médias français, articles documentaires et reportages radio, la prostitution sur laquelle on focalise est toujours la plus sordide, la prostitution de rue qui exploite des filles sans papiers. Pour son côté spectaculaire évident : un peu d'injustice médiévale dans nos périphéries, ça fait toujours de belles images. Et on aime colporter des histoires de femmes abusées, qui signalent à toutes les autres qu'elles l'ont échappé belle. Et aussi parce que celles et ceux qui travaillent dehors ne peuvent mentir sur leur activité, comme le font celles et ceux qui pratiquent via internet. On va chercher le plus sordide, on le trouve sans trop de difficulté, puisque justement c'est la prostitution qui n'a pas les moyens de se soustraire aux regards de tous. Filles privées de papiers, de consentement, travaillant à l'abattage, dressées par les viols, crackées, portraits de filles perdues. Plus c'est glauque, plus l'homme se sent fort, en comparaison. Plus c'est sordide, plus le peuple français se juge émancipé. Puis, partant des images inacceptables d'une prostitution pratiquée dans des conditions dégueulasses, on tire les conclusions sur le sexe tarifé dans son ensemble.

Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006)

mercredi 9 décembre 2020

2020, un palmarès

2020 touche à sa fin, en voici le bilan avant tout musical.
Un chiffre qui dit tout : je ne suis allé qu'à deux concerts sur toute l'année. J'espère pouvoir vite me rattraper ! On commence par l'habituel top 10 album, dans un ordre sujet à modification.


Les Albums
Woods - Strange To Explain
Adrianne Lenker - Songs
Cindy Lee - What’s Tonight To Eternity
Of Montreal - UR FUN
Pool Holograph - Love Touched Time and Time Began to Sweat

Arandel - InBach
String Machine - Death of the Neon
Porridge Radio - Every Bad
jarv is... - Beyond the pale
the Microphones - Microphones in 2020


Mais aussi
Arab Strap pour tous les live mis en ligne sur leur bandcamp
Bartees Strange - Live Forever
Coriky - s/t
David Grubbs and Taku Unami - Comet Meta
Destroyer - Have we met
Empty Country - s/t
Field Medic - Floral Prince
the Flaming Lips  - American Head
Glauque - s/t
Hamilton Leithauser - the loves of your life
Les marquises - la battue
M. Ward - Migration Storie
Moaning - Uneasy Laughter
Muzz - s/t
Other lives - for their love
Peel Dream Magazine - Agitprop Alterna
Pole - Fading
the Proper Ornaments - Mission bells
the Reds, Pinks & Purples - You Might Be Happy Someday
Ron Sexsmith - Hermitage
the Strokes - The new abnormal
Taulard - Dans la plaine
Thao and The Get Down Stay Down - Temple
Thousand - Au paradis
Touché Amoré - Lament
Trace Mountains - Lost In The Country
Walter Martin - The World At Night (**)

Les morceaux
(en plus de tous ceux figurant dans les albums ci-dessus) :
2nd GradeVelodrome ; Arab Strap - The Turning of Our Bones ; Car Seat HeadrestCan't Cool Me Down ; Feldup - Falling apart ; Cabane - Take Me Home Pt. 2 ; Fontaines D.C. - Televised MindHen Ogledd - Trouble ; Julien Gasc - L'appel de la forêt ; Little wings - zephyr ; the Notwist - Where You Find Me ; Popular Music - The Way Love Used To Be ; Protomartyr - Processed By The Boys ; Sufjan Stevens - the Ascension ; This is the Kit - This Is What You DidQuasi - Last Days of the Thin Blue Line Lie ; Sophia - Strange Attractor ; the Shifters - Left BereftTocotronic - Hoffnung


Des concerts
06/03 Modern Nature @ International
02/03 Diiv @ Gaîté Lyrique


Des séries
the Virtues / Better Call Saul


Des films
Light of my life (Casey Affleck), Perdrix (Erwan Le Duc, 2019), Marriage Story (Noah Baumbach, 2019)


(**) envisagés pour faire partie du top10

mardi 8 décembre 2020

Un silence croisé

On le voit régulièrement à l'occasion d'accusations publiques ou de procès, peu de femmes victimes de viol "cochent toutes les cases" de la "bonne" victime, unique condition à laquelle l'opinion publique se ralliera à leur cause.
La bonne victime doit être perçue comme séduisante [affaire du sofitel de NY] sans toutefois être perçue comme aguicheuse/inconséquente, elle doit avoir combattu son agresseur, et déposé plainte immédiatement après les faits, en étant psychologiquement dévastée, tout en gardant une parfait cohérence dans son témoignage [affaire du 36 quai des orfèvres].

Ce constat revient souvent sous la plume de féministes (comme ici)... Je l'ai retrouvée développée dans King Kong Theory (2006), dans le chapitre dans lequel Virginie Despentes revient sur son viol (1986).


Une femme qui tiendrait à sa dignité aurait préféré se faire tuer. Ma survie, en elle-même, est une preuve qui parle contre moi. [...] Car il faut être traumatisée d'un viol, il y a une série de marques visibles qu'il faut respecter. Peur des hommes, de la nuit, de l'autonomie, dégoût au sexe et autres joyeusetés. On te le répète sur tous les tons : c'est grave, c'est un crime, les hommes qui t'aiment, s'ils le savent, ça va les rendre fous de douleur et de rage (c'est aussi un dialogue privé, le viol, où un homme déclare aux autres hommes : je baise vos femmes à l'arraché). Mais le conseil le plus raisonnable, pour tout un tas de raisons, reste « garde ça pour toi ». Etouffe, donc, entre les deux injonctions. Crève, salope, comme on dit.

Alors le mot est évité. A cause de tout ce qu'il recouvre. Dans le camp des agressées, comme chez les agresseurs, on tourne autour du terme. C'est un silence croisé. 

[...] dans le viol, il faut toujours prouver qu'on n'était vraiment pas d'accord. La culpabilité est comme soumise à une attraction morale non énoncée, qui voudrait qu'elle penche toujours du côté de celle qui s'est fait mettre, plutôt que de celui qui a cogné. 

[...] Je ne suis pas furieuse contre moi de ne pas avoir osé en tuer un. Je suis furieuse contre une société qui m'a éduquée sans jamais m'apprendre à blesser un homme s'il m'écarte les cuisses de force, alors que cette même société m'a inculqué l'idée que c'était un crime dont je ne devais pas me remettre. Et je suis surtout folle de rage de ce qu'en face de trois hommes, une carabine et piégée dans une forêt dont on ne peut s'échapper en courant, je me sente encore aujourd'hui coupable de ne pas avoir eu le courage de nous défendre avec un petit couteau

[...] Post-viol, la seule attitude tolérée consiste à retourner la violence contre soi. Prendre vingt kilos, par exemple. Sortir du marché sexuel, puisqu'on a été abîmée, se soustraire de soi-même au désir. En France, on ne tue pas les femmes à qui c'est arrivé mais on attend d'elles qu'elles aient la décence de se signaler en tant que marchandise endommagée, polluée. Putes ou enlaidies, qu'elles sortent spontanément du vivier des épousables.

Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006)

dimanche 6 décembre 2020

There's nothing left here

Apprenant par hasard que l'excellent EP "More Revery" signé Bonny Billy (sic) existe désormais en version LP (avec en face B les versions live des morceaux de la face A), je ré-écoute avec plaisir cette reprise de PJ Harvey.
 
In photographs
I've seen him laugh
Man overboard
Sun on his back

Summer was here
I remember it well
How he stood in the shade
How we both kissed and fell

How can this be?
There's nothing left here
How can this be?
There's nothing left here

So sad our, so sad our
So sad our, so sad our
So sad our, so sad our
Our memory, hey

Now he talks in his sleep
Says I've never known peace
And I don't know him now
He's a stranger to me

How can this be?
There's nothing left here
How can this be?
There's nothing left here

We were never more than a dream
Brief as summer or spring
Sweeter than anything


PJ Harvey, Sweeter than anything
(A perfect day Elise Single, 1998)

Bonny Billy, Sweeter than anything
(More Revery EP, 2000)

mercredi 2 décembre 2020

Un piège

Questionnons féminité, masculinité, maternité, éducation des jeunes filles et surtout des garçons, toujours avec Virginie Despentes.

 Dans le même ordre d'idée, la maternité est devenue l'expérience féminine incontournable, valorisée entre toutes : donner la vie, c'est fantastique. La propagande « pro-maternité » a rarement été aussi tapageuse. Foutage de gueule, méthode contemporaine et systématique de la double contrainte : « Faites des enfants c'est fantastique vous vous sentirez plus femmes et accomplies que jamais », mais faites-les dans une société en dégringolade, où le travail salarié est une condition de survie sociale, mais n'est garanti pour personne, et surtout pas pour les femmes (*). Enfantez dans des villes où le logement est précaire, où l'école démissionne, où les enfants sont soumis aux agressions mentales les plus vicieuses, via la pub, la télé, internet, les marchands de sodas et confrères. Sans enfant, pas de bonheur féminin, mais élever des gamins dans des conditions décentes sera quasi impossible. Il faut, de toutes façons, que les femmes se sentent en échec. Quoi qu'elles entreprennent, on doit pouvoir démontrer qu'elles s'y sont mal prises. Il n'y a pas d'attitude correcte, on a forcément commis une erreur dans nos choix, on est tenues pour responsables d'une faillite qui est en réalité collective, et mixte. Les armes contre notre genre sont spécifiques, mais la méthode s'applique aux hommes. Un bon consommateur est un consommateur insécure.

[...]

les femmes auraient intérêt à mieux penser les avantages de l'accession des hommes à une paternité active, plutôt que profiter du pouvoir qu'on leur confère politiquement, via l'exaltation de l'instinct maternel. Le regard du père sur l'enfant constitue une révolution en puissance. Ils peuvent notamment signifier aux filles qu'elles ont une existence propre, en dehors du marché de la séduction, qu'elles sont capables de force physique, d'esprit d'entreprise et d'indépendance, et de les valoriser pour cette force, sans crainte d'une punition immanente. Ils peuvent signaler aux fils que la tradition machiste est un piège, une sévère restriction des émotions, au service de l'armée et de l'Etat. Car la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l'assignement à la féminité. 

Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006)

(*) en 2006, la crise écologique n'était pas encore prégnante, on pourrait aujourd'hui l'ajouter à cette énumération

lundi 30 novembre 2020

We discussed things

Il y a bien sûr tout ce qui a rapproché Nicole et Charlie dans Marriage Story, mais aussi maintenant ce qui les sépare. L'une de ces lignes de fracture rejoint l'opposition classique Los Angeles / New York (*).

Charlie à son fils, tandis qu'ils sont en voiture :

— If we were in New York we could be walking.

— But I like that we’re sitting right now. I like to sit.

— That’s true, Los Angeles does have sitting going for it.


Dans l'extrait suivant, le couple s'efforce de remettre leur rupture sur de bons rails : 


Nicole : Maybe we can figure something out between us...

Charlie : You’ll remember I said this to you at the beginning.

— I know you did, but these are different circumstances.

— I was anticipating these circumstances

— Mm hm. Anyway... Shall we try this?

— OK. I don't know how to start.

— Do you understand why I want to stay in LA?

— No.

— Well, Charlie, that's not a useful way for us to start...

— I don't understand it.

— You don't remember promising that we could do time out there?

— We discussed things. We were married, we said things. We talked about moving to Europe, about getting a sideboard or what do you call it, a credenza, to fill that empty space behind the couch. We never did any of it.

Noah Baumbach, Marriage Story (2019)

dimanche 29 novembre 2020

Bouffée d'Art

Les lieux de culture restant résolument fermés, une petite bouffée d'art pictural ne fera pas de mal. Petite sélection de choses vues au MAC VAL (musée d'art contemporain du val-de-marne), entre deux confinements.

Vues dans l'exposition monographique du duo d’artistes Brognon et Rollin, ces marqueteries de paille qui donnent à voir "l'attente dans sa construction"


David Brognon et Stéphanie Rollin« I Lost My Page Again » (2018)


J'ai d'autre part apprécié ce que j'ai vu de Bianca Argimón (ci-dessous, un détail de Weltschmertz, avec cette cabine networkless, et Melancholia XXI)


On termine en vidéo, avec ce finalement très arnaud-fleurent-didiesque "Tunnel of Mondialisation" de 
Jean-Charles Massera

et les images saisissante du documentaire « Braguino » de Clément Cogitore, parti filmer une petite société vivant en autarcie en Sibérie. A voir et à revoir, si vous pouvez.


vendredi 20 novembre 2020

L’invention de la ménagère

Lorsque les dominés réclament l'égalité (si possible pas trop fort), les dominants se sentent menacés. Ces extraits de King Kong Théorie (2006) complètent bien le court texte que je citais ici (2016)

Depuis quelque temps, en France, on n'arrête plus de se faire engueuler, rapport aux années 70. Et qu'on a fait fausse route, et qu'est-ce qu'on a foutu avec la révolution sexuelle, et qu'on se prend pour des hommes ou quoi, et qu'avec nos conneries, on se demande où est passée la bonne vieille virilité, celle de papa et du grand-père, ces hommes qui savaient mourir à la guerre et conduire un foyer avec une saine autorité. Et la loi derrière lui. On se fait engueuler parce que les hommes ont peur. Comme si on y était pour quelque chose. C'est tout de même épatant, et pour le moins moderne, un dominant qui vient chialer que le dominé n'y met pas assez du sien... L'homme blanc s'adresse-t-il ici réellement aux femmes ou cherche-t-il à exprimer qu'il est surpris de la tournure que prennent globalement ses affaires ? Quoi qu'il en soit, c'est pas concevable ce qu'on se fait engueuler, rappeler à l'ordre et contrôler. Ici, on joue trop les victimes, ailleurs on ne baise pas comme il faut, trop comme des chiennes ou trop amoureuses attendries, quoi qu'il arrive on n'y a rien compris, trop porno ou pas assez sensuelles... Décidément, cette révolution sexuelle, c'était de la confiture aux connes. Quoi qu'on fasse, il y a quelqu'un pour prendre la peine de dire que c'est naze. Quasiment, c'était mieux avant. Ah bon?

[...]

On entend aujourd'hui des hommes se lamenter de ce que l'émancipation féministe les dévirilise. Ils regrettent un état antérieur, quand leur force prenait racine dans l'oppression féminine. Ils oublient que cet avantage politique qui leur était donné a toujours eu un coût : les corps des femmes n'appartiennent aux hommes qu'en contrepartie de ce que les corps des hommes appartiennent à la production, en temps de paix, à l'Etat, en temps de guerre. La confiscation du corps des femmes se produit en même temps que la confiscation du corps des hommes. Il n'y a de gagnants dans cette affaire que quelques dirigeants. 

[...]

Les hommes dénoncent avec virulence injustices sociales ou raciales, mais se montrent indulgents et compréhensifs quand il s'agit de domination machiste. Ils sont nombreux à vouloir expliquer que le combat féministe est annexe, un sport de riches, sans pertinence ni urgence. Il faut être crétin, ou salement malhonnête, pour trouver une oppression insupportable et juger l'autre pleine de poésie. 

Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006)

Il peut être intéressant d'étayer la dimension patriarcale du capitalisme en citant Silvia Federici, autrice du "capitalisme patriarcal" (2019). Dans une interview donnée à Télérama, elle explique :

A la fin du XIXème siècle s'institue une nouvelle forme de patriarcat lié au salaire. Marx n’avait pas anticipé que les classes dominantes préparaient une réforme majeure de la reproduction, et de l’accumulation capitaliste. Avec le passage de l’industrie légère (le textile, par exemple) à lourde (le travail de l’acier, du charbon...), les classes dominantes ont besoin d’un nouveau type de travailleurs, plus performant. Or, à l’époque, l’espérance de vie est autour de 35-40 ans, et la mortalité infantile est énorme. Il y a une vraie crise qui menace la reproduction de la main d’oeuvre !

L’invention de la ménagère et d’un nouveau modèle de famille prolétaire est donc venue y remédier. Il est centré autour du travail gratuit de la femme au foyer, et du salaire masculin qui subvient financièrement aux besoins de toute la famille. De grandes réformes sont menées pour expulser, progressivement, les femmes hors de l’usine, soutenues par les syndicats, qui voyaient là l’opportunité de faire remonter le salaire des hommes. L’école primaire devient obligatoire, le travail de nuit est interdit pour les femmes et les enfants. Tout cela a bien sûr été entrepris au nom de leur protection, mais il y avait derrière une vraie stratégie de la classe dominante. La femme au foyer a été érigée comme un modèle de vertu. 

Tout un effort institutionnel a été déployé pour séparer les prostituées des honnêtes femmes, avec une vraie campagne idéologique. Cela a fait partie d’un processus de naturalisation du travail domestique, pour le faire apparaître comme lié à l’amour. Comme si les femmes devaient s’y consacrer, parce que c’était naturel pour elles. Or, les prostituées, elles, sont payées pour leur travail sexuel. Elles devaient donc être présentées comme des criminelles pour maintenir la sainteté et la moralité du travail non-payé de la ménagère.

jeudi 19 novembre 2020

He loves all the things you’re supposed to hate

Devant séjourner à Lens, je me suis retrouvé dans un hôtel ayant souscrit un abonnement Netflix. Il me fallait absolument en profiter. Trois candidats dans ma watchlist : Okja (Bong Joon-ho), Better Call Saul (Saison 5), et Marriage Story (Noah Baumbach), que j'ai finalement retenu. En plus, ça allait très bien avec "Scènes de la vie conjugale", que j'avais récemment visionné.

Avant que les choses ne se compliquent, commençons par nous rappeler ce que Nicole aime (ou a aimé) chez son mari Charlie.
 
What I love about Charlie :
Charlie is undaunted. He never lets other people’s opinions, or any setbacks keep him from what he wants to do. Charlie eats like he’s trying to get it over with, and like there won’t be enough food for everyone. A sandwich is to be strangled while devoured. But he’s incredibly neat, and I rely on him to keep things in order. He’s energy-conscious. He doesn’t look in the mirror too often. He cries easily in movies. He’s very self-sufficient. He can darn a sock, and cook himself dinner, and iron a shirt. He rarely gets defeated, which I feel like I always do. Charlie takes all of my moods steadily. He doesn’t give in to them, or make me feel bad about them. He’s a great dresser. He never looks embarrassing, which is hard for a man. He’s very competitive. He loves being a dad. He loves all the things you’re supposed to hate, like the tantrums, the waking up at night. It’s almost annoying how much he likes it, but then it’s mostly nice.He disappears into his own world. He and Henry are alike in that way. He can tell people when they have food in their teeth, or on their face in a way that doesn’t make them feel bad. Charlie is self-made. His parents, I only met them once, but he told me there was a lot of alcohol, and some violence in his childhood. He moved to New York from Indiana with no safety net, and now he’s more New Yorker than any New Yorker. He’s brilliant at creating family out of whoever is around. With the theater company, he cast a spell that made everyone feel included. No one, not even an intern, was unimportant. He could remember all the inside jokes. He’s extremely organized and thorough. He’s very clear about what he wants, unlike me, who can’t always tell.

Noah Baumbach, Marriage Story (2019)

mercredi 18 novembre 2020

I've Made Up My Mind

 Vous en avez rêvé (ou pas), ils l'ont fait, Bill Callahan (Smog) et Will Oldham (Palace brothers, Bonnie 'prince' Billy) chantent ensemble, dans une série de reprises publiées sur ce bandcamp.

C'est moins lo-fi et plus écoutable que leur collaboration présumée au sein de the Sundowners (Goatsong, 1994)

dimanche 15 novembre 2020

Je ne m'excuse de rien, je ne viens pas me plaindre

Tribunes ou interviews percutantes de Virginie Despentes m'auront donné envie de découvrir ses écrits, et en particulier King Kong Théorie souvent cité comme livre déclic. Dans cet essai résolument féministe, l'autrice s'attaque avec véhémence au carcan de la "féminité" et dépeint le patriarcat comme allié essentiel du capitalisme.

Alimentées par sa vie personnelle et ses nombreuses lectures, les réflexions de Virginies Despentes consignées en 2006 m'auront paru étonnamment actuelles (c'est mauvais signe), et encore aujourd'hui régulièrement abordées / exposées et débattues, notamment sur les réseaux sociaux. Je pense par exemple au caractère "systémique" de l'oppression homme/femme, aux concepts de "bon viol / bonne victime" (en dehors desquels une victime n'est pas tout à fait reconnue comme telle), de "male gaze" au cinéma, d' "empowerment", à l'absence de remise en question de la masculinité par les hommes, et à la prise en considération des minorités dans le combat féministe (versus ce qu'on nomme aujourd'hui le féminisme blanc et bourgeois)

J'y reviendrai un peu plus tard, ici même. Pour l'heure commençons par des extraits du premier chapitre, dans lequel l'autrice explique d'où elle parle.

J'écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m'excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n'échangerais ma place contre aucune autre, parce qu'être Virginie Despentes me semble être une affaire plus intéressante à mener que n'importe quelle autre affaire. 

[...]

Tout ce que j'aime de ma vie, tout ce qui m'a sauvée, je le dois à ma virilité. C'est donc ici en tant que femme inapte à attirer l'attention masculine, à satisfaire le désir masculin, et à me satisfaire d'une place à l'ombre que j'écris.

[...]

Parce que l'idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l'esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d'école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu'un homme, cette femme blanche heureuse qu'on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l'effort de ressembler, à part qu'elle a l'air de beaucoup s'emmerder pour pas grand-chose, de toutes façons je ne l'ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu'elle n'existe pas. 

Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006)

samedi 14 novembre 2020

You will remember this

This image on repeat
A mouth that cannot speak
A huge force pressing in
A giant looming fist
You will see us again
You will remember this

Ces mots sont ceux de Polly Jean Harvey, qui signe la bande originale de la série The Virtues (six morceaux originaux dont cinq instrumentaux + des morceaux d'Aphex Twin, Micah P. Hinson, Mono, Set Fire to flames...).


Si vous ne l'avez déjà pas fait, dépêchez vous d'aller visionner ce chef d'oeuvre de mini-série, disponible jusqu'au 30/12/20 sur arte.tv. Les acteurs sont merveilleux (Stephen Graham, Niamh Algar en tête), les vies cabossées des personnages filmés avec sensibilité, justesse (et brio) par le réalisateur Shane Meadows.



Shane Meadowsthe Virtues (2019)

PJ Harvey - The Crowded Cell
(The Virtues / Original Series Soundtrack, 2019)

dimanche 8 novembre 2020

Être adulte

Ultime extrait du texte écrit et lu par Franck Beauvais dans son film "Ne croyez surtout pas que je hurle".

Un vieil ami ne fait parvenir une photographie de moi prise il y a plus de vingt ans, dans la cage d'escalier de son immeuble parisien. Je reconnais vaguement ce jeune homme, fraîchement échappé de l’adolescence, aux joues pleines et au large sourire, encore un peu rose, l'air affable et insouciant. Je me remémore ses certitudes, sa satisfaction d’avoir tourné le dos à la grise province militaire dont il est issu, sa gourmandise de rencontre, de découvertes, de plaisir. Les yeux sombre mais luisant qui trahissent une assurance feinte et un soupçon de malice. J’éprouve un sentiment bizarre face à cette image déjà ancienne. Aucune nostalgie mais plutôt de la surprise. Je m’étais un peu oublié, moi qui ne possède aucun cliché des trente dernières années, et j’avais occulté le souvenir d’une soif de vivre, depuis totalement dissipée. Trois jours plus tard, le même ami est victime d’un infarctus alors qu’il découpe des légumes dans sa cuisine. Je crois d’abord à une mauvaise blague. Mais non. Par chance, il est sauvé à temps. J’ai longtemps vécu à l’abri du deuil, sans qu’aucun reproche ne me soit arraché. Avec le temps qui passe, l’assaut de l’âge, et depuis la disparition de mon père, je ne peux me défaire de l'impression que la mort et la maladie maraudent désormais autour de moi, me contraignent à me familiariser avec elle, à admettre la vulnérabilité des autres et la mienne. Partir. Voir partir. Me dire qu'être adulte, c’est probablement aussi apprendre à composer avec l’inéluctable.

Frank Beauvais, Ne croyez surtout pas que je hurle (2020)

jeudi 29 octobre 2020

Peur, insécurité, ignorance


– Sommes-nous en proie à un désarroi total?
– Toi et moi ?
– Non. Nous tous. 
– Qu'entends-tu par désarroi ?
– Peur, insécurité, ignorance... Le désarroi, quoi. Crois-tu que nous soyons entrain de dévaler une pente et chuter, sans savoir comment réagir ?
– Oui, je le crois.
– Il est peut-être déjà trop tard ?
– Oui. Mais ça, il faut le penser. Pas le dire.

Scènes de la vie conjugale, Ingmar Bergman (1974)

vendredi 23 octobre 2020

10 ans, 40 albums (Part.8)

Aujourd'hui s'achève l'énumération thématique de ma sélection de quarante albums des années 2010. Un volet de six albums, à rapprocher du quatrième


Woods y est à l'honneur, puisque représentés par deux albums. Sans doute le groupe que j'aurai suivi avec le plus de plaisir au cours de cette décennie. C'est d'ailleurs ce groupe que David Berman aura fini par retenir pour réaliser son ultime album de Silver Jews, sa "fucking suicide note" comme le dira Jeffrey Lewis. On termine avec du solide, Phil Elverum aka Mt Eerie dont je retiens Clear Moon plutôt que les tristes albums de fin de décennie, Scout Niblett et enfin PJ Harvey.

Purple Mountains – s/t (2019)
Woods  City sun eater in the river of light (2016)
Woods  with Light and with Love (2014)
Mount EerieClear Moon (2012)
Scout Niblett  it's up to Emma (2013)
PJ Harvey  Let England Shake (2011)

Je tâcherai de publier tantôt une synthèse.
D'ici là, vous pouvez commencer à recenser les grands "oubliés" !

dimanche 18 octobre 2020

Are you lonely at night?

Visionnant le film "I, Tonya" qui relate la trajectoire de la patineuse américaine connue pour avoir été liée à l'agression de sa rivale Nancy Kerrigan, je m'attendais à y entendre le morceau "Tonya Harding" de Sufjan Stevens... Sauf que non, les deux projets sont disjoints. L'écriture de cette chanson aurait même été en germe depuis une retransmission TV de 1991.

Tonya Harding, my star
Well this world is a cold one
But it takes one to know one
And God only knows what you are

Just some Portland white trash
You confronted your sorrow
Like there was no tomorrow
While the rest of the world only laughed

Triple axel on high
A delightful disaster
You jumped farther and faster
You were always so full of surprises

Are your laces untied?
What’s the frown on your face for?
And just what are the skates for now?
Tell me which is your good side?

Are you lonely at night?
Do you miss all the glory
And the mythical story
Of the Olympian life?

Yamaguchi in red
She had high rise and roses
And red-carpet poses
And her outfit was splendid

Nancy Kerrigan’s charm
Well she took quite a beating
So you’re not above cheating
Can you blame her for crying?

Tonya, you were the brightest
Yeah you rose from the ashes
And survived all the crashes
Wiping the blood from your white tights

Has the world had its fun?
Yeah they’ll make such a hassle
And they’ll build you a castle
Then destroy it when they’re done

Tonya Harding, my friend
Well this world is a bitch, girl
Don’t end up in a ditch, girl
I’ll be watching you close to the end

So fight on as you are
My American princess
May God bless you with incense
You’re my shining American star

Sufjan Stevens, Tonya Harding (2017)
I, Tonya, Craig Gillespie (2017)

samedi 17 octobre 2020

10 ans, 40 albums (Part.7)

Avant dernier volet de mon top décennal, cette fois dans une veine prog / psyche / dream pop / shoegaze


Imaginez le bonheur de découvrir a posteriori une grande et belle réussite, side project d'un auteur/compositeur/interprète que vous adorez et que vous pensiez à tout jamais reclus. C'est ce qui m'est arrivé avec Fontarabie, aka Julien Mineau de feu-Malajube. Superbe album, qui plus est doublé d'un EP tout aussi convainquant (Eclipse EP). Autre francophone, autre rescapée, Melody Prochet avec ce deuxième album sous l'appellation Melody’s Echo Chamber, dreamy à souhait et d'une richesse musicale remarquable. Choix moins personnels mais auxquels je tiens tout autant, Beach House et Diiv. On finit par un groupe que je m'en veux de n'avoir pas suffisamment distingué, surtout vu le génie parolier et musical de la personne qui l'incarne (Kevin Barnes) : Of Montreal. Pour cette décennie, je retiens Paralytic Stalks, disque psyche pourtant mal aimé parmi la discographie pléthorique du groupe (16 albums), mais avec à mon sens une très grande réécoutabilité rejouabilité.

Fontarabie  st (2014)
Of MontrealParalytic Stalks (2012)
DIIVDeceiver (2019) 
Beach House  Bloom (2012)
Melody's Echo Chamber  Bon Voyage (2018) 

 A très vite, pour la clôture de cette série d'articles (et avant une synthèse éventuelle)

Bonus Tracks :
Non retenus, dans une veine pas trop éloignée :
Candy Claws – Ceres and Calypso in the Deep Time
Frànçois and the Atlas MountainsPiano Ombre
WhirrPipe Dreams

vendredi 9 octobre 2020

10 ans, 40 albums (Part.6)

Palmarès des 2010's, hip-hop édition. Ils auraient dû être cinq, je n'en ai in extremis gardé que quatre (même si ça nuit à l'homogénéité de mes vignettes)

Au premier rang de cette sélection, Kanye West bien sûr, avec l'incontournable "My beautiful dark twisted fantasy", sommet de sa carrière ? En tout cas selon moi, puisque je n'ai finalement que moyennement accroché aux albums précédents et suivants. Vient ensuite Talib Kweli, ancien complice de Mos Def au sein de Blackstar. Autre new-yorkais, quoique d'origine dominicaine, Homeboy Sandman ! Enfin, un pur représentant de l'abstract hip-hop à son meilleur, Marlow, aka l'alliance du emcee Solemn Brigham et du producteur l'Orange. Ce dernier a d'ailleurs bien failli placer deux albums dans ma sélection (cf. non-retenus ci-dessous) 

Kanye west  My beautiful dark twisted fantasy (2010)
Talib Kweli – Gutter Rainbows (2011)
Homeboy Sandman – Hallways (2014)
Marlow - Marlow (2018)

à bientôt pour connaître les 10 ou 11 albums restants !

Bonus Tracks
Non-retenus dans ce groupe :
L'Orange and Kool Keith - Time? Astonishing (2015)
L'Orange and Jeremiah Jae - Complicate your life with violence (2019)
Psykick Lyrikah - Derrière moi (2011)

jeudi 8 octobre 2020

Epiphanie

C’est parfois de la nature que survient une consolation inattendue. Une lumière singulière qui sature soudain les couleurs extérieures, nappant les frondaisons figées sous le soleil. Comme un appel pressant au vagabondage. Certains jours, où malgré ma turbulente impatience, mon esprit s’accorde instinctivement à la campagne telle qu’elle s’offre à mon regard. Je sors et m’engage sur un chemin dont je sais connaître le moindre caillou, et je redécouvre alors le décor magnifiée par des jeux d’ombres inédit : un chêne moribond transcendé par le contre-jour, la rivière, habituellement grise est insignifiante, emperlée de reflets adamantins. Le paysage dont j’étais certain d’avoir épuisé toutes les ressources et enregistré toutes les variations chromatiques contredit avec aplomb mon caractère désabusé. L’œil s’ouvre, palpite, cherche, trouve, l’esprit se libère, s’aplanit, les brumes résiduelles de l’angoisse se dispersent. L’horizon, sous l’effet de l’accident épiphanie se dégage. La forêt, ces jours-là, n’est que vibrantes et contagieuses promesses. L’avenir, lorsque l’on s’échappe de l’enchantement du moment présent pour y songer, s’y décline en d’innombrables possibles. Il suffirait d’un presque rien et je me sentirais perméable au bonheur, disposé à la sérénité, invité au voyage.

Frank Beauvais, Ne croyez surtout pas que je hurle (2020)

lundi 5 octobre 2020

10 ans, 40 albums (Part.5)

Reprenons le cours de ma sélection musicale des années 2010.
Cette fois dans une veine électronique.


... en mode sono mondiale, avec l'électro minimale mélodique de l'anglais Jon Hopkins et celle de l'allemand Hendrik Weber aka Pantha du Prince. Depuis le Mexique, vient Nicholas Jaar, l'homme capable de faire danser les foules à 70 bpm (souvenir ému de son concert parisien pour son side project Darkside). Impossible de passer à côté de Matt Elliott, rescapé du Bristol des 90s, non pas sous son nom propre (désolé pour lui), mais pour la résurrection de Third Eye Foundation, avec un disque tellement dense, profond et beau. Magistral. Electro, mais surtout pop, Metronomy, pour la somme impressionnante de tubes qu'ils ont produit au cours de la décennie, dont English Riviera offre une belle concentration.

Third Eye Foundation – the Dark (2010)
MetronomyEnglish Riviera (2011)
Pantha du Princethe Triad (2016)
Nicolas JaarSpace Is Only Noise (2011) 
Jon HopkinsImmunity (2013)

Bonus Tracks
Finalement écartés dans cette catégorie :
Darkside – Psychic (2013)
the NotwistClose to the glass (2014)
Who Made WhoBrighter (2012)

jeudi 1 octobre 2020

The Election That Could Break America

Article à lire pour anticiper un tant soit peu ce qui pourrait se passer avec les élections américaines (c'est-à-dire à partir du 3 Novembre). Rien n'est écrit, mais il y a quand même un alignement notoire de planètes pour que ce soit le chaos. Et encore, de l'aveu même d'un conseiller juridique de Trump : "Any scenario that you come up with will not be as weird as the reality of it".

Le risque vient de l'attitude de Trump d'une part, et tient au processus de transition post-élection d’autre part (en gros de novembre à janvier) dans la mesure où il n'offre quasiment pas de garde-fou : "Our Constitution does not secure the peaceful transition of power, but rather presupposes it" (Lawrence Douglas, juriste, auteur du récent essai "Will He Go?")

Revue non exhaustive des menus obstacles à une élection sereine.


Il y a d'abord la question de la reconnaissance des résultats. Ce n'était déjà pas acquis en 2016 (déclaration du candidat Trump au meeting de Delaware, OH) :
“Ladies and gentlemen, I want to make a major announcement today. I would like to promise and pledge to all of my voters and supporters, and to all the people of the United States, that I will totally accept the results of this great and historic presidential election.” He paused, then made three sharp thrusts of his forefinger to punctuate the next words: “If … I … win!”

(lol)
(non)

On se rappelera d'ailleurs que même vainqueur, il aura contesté l’avantage d’Hillary Clinton au vote populaire (çàd au nombre global de votes) avec un excédent de 2,868,692 voix (Il estimait les votes irréguliers d'immigrants sans-papier au bas mot à trois millions). La rhétorique de défiance envers les résultats des votes se poursuit encore aujourd'hui.

L'éventualité de la fraude électorale (au demeurant négligeable dans les faits) donnerait un bon prétexte à de zélées milices (armées) républicaines de "sécuriser" les abords des bureaux de vote stratégiques (cf. Ballot Security Task Force). De la "sécurisation" à "l'intimidation" (des populations plus enclines à voter démocrate), il n'y a bien sûr qu'un pas. Le parti recrute par ailleurs actuellement 50'000 "poll watchers". Comment cela est-il possible?

Le "consent degree", pour résumé un accord de bonne conduite à valeur juridique et signé en 1982 entre Republican National Committee (RNC) et Democratic National Committee (DNC) a pris fin en... 2017. Et son renouvellement, souhaité par les Démocrates, a été rejeté en 2018.
  • Voter Caging : mailing de masse servant à détecter - en français - des NPAI ("N'habite plus à l'adresse indiquée"), permettant de mettre ultérieurement en doute puis d'invalider le vote des personnes concernées.
  • Lying Flyers / Robocalls : distribution de prospectus mensongers (date de vote erronée, fausse allégation "impossibilité de voter si un membre de la famille a été reconnu coupable d'un crime"...), appels ciblés, par exemple envers les afro-américains leur disant que le candidat démocrate été déjà qualifié et qu'il ne servait à rien de se déplacer...
  • Ceci s'ajoute aux dispositions légales de purge de liste électoral (qui parfois excluent des électeurs valides), de restriction du droit de vote (visant par exemple à exclure des anciens prisonniers) ou de définition de la liste des justificatifs d'identité valables (on pourra par exemple accepter les permis de port d'arme, et refuser les cartes d'étudiants)

Combinés et ciblés, ces dispositifs peuvent bien sûr avoir un impact sensible... Et encore, on ne parle ici que de vote "physique", sur place. La pandémie actuelle va favoriser le vote par correspondance... que Donald Trump s'applique également à sapper.

En affaiblissant l'US Postal Service de l'intérieur tout d'abord. En évoquant la menace de votes frauduleux orchestré par des nations étrangères. Alors que 60% des partisans démocrates sont prêts à voter par correspondance contre seulement 28% de républicains, on voit tout de suite les répercussions... D'autant qu'un bulletin de vote par correspondance, même dépouillé dans les temps, est beaucoup plus facile à invalider pour vice de forme.

Objectifs : Alimenter le chaos, la défiance. Ce que pourrait tout à fait finir de provoquer un "blue shift", le soir des élections : premières estimations largement en faveur des Républicains, avant que le dépouillement des votes ne fasse glisser le verdict en faveur des Démocrates.

Partant de là, tout est possible. Manifestations, violences, émeutes... Etat d'urgence, etc...


The worst case is not that Trump rejects the election outcome. The worst case is that he uses his power to prevent a decisive outcome against him. If Trump sheds all restraint, and if his Republican allies play the parts he assigns them, he could obstruct the emergence of a legally unambiguous victory for Biden in the Electoral College and then in Congress. He could prevent the formation of consensus about whether there is any outcome at all. He could seize on that un­certainty to hold on to power.
[...]

The Twentieth Amendment is crystal clear that the president’s term in office “shall end” at noon on January 20, but two men could show up to be sworn in. One of them would arrive with all the tools and power of the presidency already in hand.

“We are not prepared for this at all,” Julian Zelizer, a Prince­ton professor of history and public affairs, told me. “We talk about it, some worry about it, and we imagine what it would be. But few people have actual answers to what happens if the machinery of democracy is used to prevent a legitimate resolution to the election.”

The Election That Could Break AmericaBarton Gellman

vendredi 25 septembre 2020

10 ans, 40 albums (Part.4)

Ce vendredi 25 septembre, paraît "The Ascension", nouvel album de Sufjan Stevens. L'occasion de révéler le volet de ma sélection 10's dans lequel il figure!


Il faut dire qu'il ne s'agit ici que d'habitués et d'artistes confirmés. Sufjan Stevens, donc, représenté par l'intimiste "Carrie & Lowell" et le fantasque "The Age of Adz". Mark Kozelek, ensuite... il aura fallu qu'il collabore avec Jimmy Lavalle (Album Leaf, Tristeza) pour que j'adhère totalement et sans réserve à l'un de ses disques.  Ce bon vieux Billou (Bill Callahan), enfin, assez constant dans l'excellence, et le discret Dan Bejar aka Destroyer.

Sufjan Stevens  Lowell and Carrie (2015)
Bill CallahanApocalypse (2011)
Sufjan Stevensthe Age of Adz (2010)
DestroyerKaputt (2011)
Mark Kozelek and Jimmy LaVallePerils from the Sea (2013)

D'autres artistes arriveront-ils à placer plusieurs albums dans ma sélection décennale? à suivre, prochainement, sur Arise Therefore.

Bonus Tracks :
Non retenus, dans une veine pas trop éloignée :
Black Belt Eagle Scout – At the Party With My Brown Friends
Damien Jurado – The Horizon Just Laughed
Jim Guthrie – Takes Time
Oh! PearsWild Part Of The World
Shana Cleveland and the SandcastlesOh Man, Cover the Ground

mardi 22 septembre 2020

Both the most inessential and the most essential thing

Le quatrième album de Fleet Foxes est disponible en version numérique depuis aujourd'hui. Pour l'anecdote, il a été annoncé par des affiches collées dans Paris, et c'est par une photo twittée depuis la rue de Charonne que les medias américains ont découvert l'imminence de sa sortie. 

Voici quelques mots de Robin Pecknold, leader de Fleet Foxes, qui accompagnent la sortie du disque. Il y parle de sa vie de musicien, discute créativité, dans le contexte de cette année 2020 si particulière.  

Since the unexpected success of the first Fleet Foxes album over a decade ago, I have spent more time than I’m happy to admit in a state of constant worry and anxiety. Worried about what I should make, how it will be received, worried about the moves of other artists, my place amongst them, worried about my singing voice and mental health on long tours. I’ve never let myself enjoy this process as much as I could, or as much as I should. I’ve been so lucky in so many ways in my life, so lucky to be born with the seeds of the talents I have cultivated and lucky to have had so many unreal experiences. Maybe with luck can come guilt sometimes. I know I’ve welcomed hardship wherever I could find it, real or imagined, as a way of subconsciously tempering all this unreal luck I’ve had. By February 2020, I was again consumed with worry and anxiety over this album and how I would finish it. But since March, with a pandemic spiraling out of control, living in a failed state, watching and participating in a rash of protests and marches against systemic injustice, most of my anxiety around the album disappeared. It just came to seem so small in comparison to what we were all experiencing together. In its place came a gratitude, a joy at having the time and resources to devote to making sound, and a different perspective on how important or not this music was in the grand scheme of things. Music is both the most inessential and the most essential thing. We don’t need music to live, but I couldn’t imagine life without it. It became a great gift to no longer carry any worry or anxiety around the album, in light of everything that is going on. A tour may not happen for a year, music careers may not be what they once were. So it may be, but music remains essential. This reframing was another stroke of unexpected luck I have been the undeserving recipient of. I was able to take the wheel completely and see the album through much better than I had imagined it, with help from so many incredible collaborators, safe and lucky in a new frame of mind.

Fleet foxes, Shore (2020)