mardi 31 décembre 2019

lundi 30 décembre 2019

Once upon a time

Retour en mots et en image sur les quelques films que je retiens de cette année écoulée (et déjà énumérés ici). NB: je n'ai pas visionné Marriage Story

Ad Astra (James Gray)
J'ai un faible pour les films d'espace grandioses, dans lesquels on éprouve l'absence de gravité, l'immensité, le confinement, la fragilité, la solitude, le vacillement de la raison... James Gray ajoute à cela la quête du père, avec Brad Pitt en acteur principal. Très bon film, donc (tout de même moins mémorable que Interstellar)
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Once upon the time... in Hollywood (Quentin Tarantino)
On continue dans les grands noms : Tarantino, Di Caprio, Brad Pitt, BIM. Un duo d'immenses acteurs qui servent avec brio ce film jubilatoire... Ou "ces" films, dans la mesure où le (très) long-métrage narre plusieurs histoires : celle d'un acteur à la carrière et au moral déclinants, accompagné de sa solide doublure cascade, celle de l'Hollywood des années 60, et celle de l'assassinat de Sharon Tate par Charles Manson. C'est sur cette dernière que Quentin Tarantino aura eu l'intelligence d'axer la communication (au bénéfice des spectateurs).
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Parasite (Bong Joon-ho)
La lutte des classes, illustrée dans un film au dispositif astucieux. A mesure que l'histoire progresse, le cocasse et le burlesque deviendront grinçant puis douloureux. A la fin, on ne rigole plus du tout. Par le génial réalisateur de Memories of Murder (2003), The Host (2006), Mother (2009).
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Joker (Todd Philipps)
Je pensais avoir perçu la substance du film et de la performance de Joachim Phoenix par sa bande-annonce. J'avais tort. A l'écran (surtout dans une salle vide, un dimanche matin de grève), le cheminement pénible d'Arthur Fleck, de comédien raté à Joker, est des plus prenants. Dans les Batmans de Nolan, Joker donne des explications contradictoires (mais toutes dramatiques) sur l'origine de son large sourire... Chez Burton, c'était un bain d'acide accidentel. Ici, une maladie mentale mise en contact avec la société aura suffi. Précisons : la société d'une Gotham City fictive. La lutte des classes dont elle finit par être le théâtre entre toutefois en résonance avec le réel, à tel point que le visage du Joker a supplanté celui de Guy Fawkes dans les mouvements contestataires (Liban, Chili, Hongkong). Dans une autre lutte, plus anecdotique celle-là, opposant Marvel à DC, ce film suffit à balayer l'édifice pourtant imposant de l'Univers Cinematographique Marvel (oeuvre que Scorcese écrivait d'ailleurs récemment qu'elle tenait d'avantage du "parc d'attractions")  
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Le daim (Quentin Dupieux)
Parce que Quentin Dupieux (et malgré Jean Dujardin). Pour ceux qui aiment l'absurde. Et le beige.
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Ne croyez surtout pas que je hurle (Frank Beauvais)
Assurément le film le plus "exigeant" de cette sélection, mais également le seul que j'aurais pu retourner voir immédiatement après le premier visionnage. On n'ose imaginer le nombre d'heures nécessaires à sa réalisation, puisque construit sur la seule base de courts extraits de films existants (environ 400). Compilés, ils illustrent le magnifique texte de Frank Beauvais, qui, reclu dans un village alsacien, y ausculte  son désarroi post-rupture dans une France post-attentats... J'en reparle bientôt sur ce blog

mercredi 18 décembre 2019

2019, une playlist

Et voici la playlist en lien avec l'article précédent. Magie de Soundsgood, elle existe sur la plupart des plateformes audio, en suivant ce lien : http://bit.ly/2tesFtz
Enjoy !

David Berman for ever

jeudi 12 décembre 2019

2019, un palmarès

Et hop, je vous délivre avec un peu d'avance mon bilan musical de l'année écoulée. Il pourra évoluer à la marge, notamment dans la sélection de morceaux isolés, lorsque je m’attellerai à la constitution d'une playlist. Ce qui ne changera assurément pas, c'est la sur-représentativité de noms issus des 90s/00s... Et pour vous, ça donne quoi ?
Un bilan décennal devrait suivre courant 2020. La tâche s'annonce ardue.


Les Albums
Purple Mountains - s/t
Mount Eerie with Julie Doiron - Lost Wisdom Pt.2
DIIV - Deceiver
Spencer Radcliffe and Everyone Else - Hot Spring
the Flaming Lips - King's Mouth

Black Midi - Schlagenheim
Black Belt Eagle Scout - At the Party With My Brown Friends
Jérôme Minière - Dans la forêt numérique *
(Sandy) Alex G - House of Sugar
Foxwarren - s/t


Mais aussi
Baden Baden - La nuit devant
Bill Callahan - Shepherd in a Sheepskin Vest
Bonnie 'prince' billy - I Made a Place
Brandt Brauer Frick - Echo
Bruit Noir - II.III
Damien Jurado - In The Shape Of A Storm
Efdemin - New Atlantis
Fujiya And Miyagi - Flashback
Gontard - 2029
Hildur Guðnadóttir - Chernobyl
Howe Gelb - Gathered
Kazu - Adult baby **
Labelle - Orchestre Univers
Lomelda - M for Empathy
Mountain Goats (the) - In League With Dragons
Nick Cave and The Bad Seeds - Ghosteen
Pan American - a son
Pixies - Beneath the Eyrie
Requin Chagrin - Sémaphore
Sacred Paws - Run Around The Sun
Sasami - s/t
Shana Cleveland - Night of the worm moon **
Slowthai - Nothing Great About Britain
Thom Yorke - Anima **
Tindersticks - No Treasure But Hope
Tr/st - The Destroyer Part.1
Vivian Girls - Memory
Wilco - Ode to joy


Les morceaux
(en plus de tous ceux figurant dans les albums ci-dessus) :
Baden BadenPost romantiqueElbow - Empires ; Fat White Family - Feet ; Glauque - Robots / PlaneHot Chip - SpellIlgen-nur - Silver Future ; Jérôme Minière - VasteKanye West - Follow God ; Kishi Bashi - Angeline ; Labelle - Playing at the end of the Universe ; La Dispute - Rhodonite and Grief ; Metronomy - Lately ; Rodrigo Amarante - That Old Dreams Of Ours (demo) ; Titus Andronicus - (I Blame) Society ; Vagabon - Flood

Des concerts
28/06 Fujiya + Miyagi @ Super Sonic
05/07 Glauque @ Hôtel de Ville
16/09 Black Midi @ Boule Noire

Des séries
Chernobyl / Successions / Big Little Lies / Watchmen

Des films
Ne croyez surtout pas que je hurle (Frank Beauvais) ; Joker (Todd Philipps), Parasite (Bong Joon-ho) ; Le daim (Quentin Dupieux) ; Ad Astra (James Gray) ; Once upon the time... in Hollywood (Quentin Tarantino)



(*) sorti décembre 2018
(**) envisagés pour faire partie du top10

mercredi 11 décembre 2019

Une masse rebelle et agitée

Paroles de circonstance dans ce morceau d'Archet Cassé (chanteur de Taulard)

On se croise sur des luttes
contre toute oppression
on marche en manif
contre toute exclusion
on part en manif
contre la répression
qu'elle soit policière
ou d'autres institutions

On se croise sur des luttes
contre toute oppression
on part en manif
contre toute exclusion
on forme un barrage
à tous les nazillons
qui ne se cachent plus
et inspirent le dégoût

On part en manif
contre la répression
on crie des slogans
contre toute expulsion
on forme une masse
rebelle et agitée
qui n'se conforme pas
à la vie rangée


Archet cassé - ​en manif
split 1000diez / archet cassé (four4, 2019)
https://four4recordz.bandcamp.com/album/split-1000diez-archet-cass

mardi 10 décembre 2019

We Get By / 2019 Best Album Covers (Part.4)

Suite et fin de ma sélection de pochettes 2019. N'hésitez pas à citer en commentaire des visuels qui vous auraient particulièrement plu ! 
A très vite pour la suite du palmarès de l'année.

Mavis Staples - We Get By

MattielSatis-factory

Cross Record - s/t

Isaac Delusion - uplifters

Hauschka - a different forest

dimanche 8 décembre 2019

All encores / 2019 Best Album Covers (Part.3)

Avant-dernier volet...

Pond - Tasmania

Efdemin - New Atlantis

Nils Frahm - All encores

Jay Som - Anak ko

samedi 7 décembre 2019

Let's try the after / 2019 Best Album Covers (Part.2)

Suite papivore de ma sélection 2019 des plus belles pochettes

Broken Social Scene - Let's try the after vol.1

Broken Social Scene - Let's try the after vol.2

Calexico / Iron and Wine - Years to Burn

vendredi 6 décembre 2019

Closer to grey / 2019 Best Album Covers (Part.1)

Rituel oblige, voici ma sélection des plus belles pochettes d'albums pour cette année 2019, a priori répartie en trois quatre volets. Feu.

Vagabon - All The Women In Me

Tycho - Weather

Metz - Automat

Chromatics - Closer to grey

vendredi 29 novembre 2019

Quel vilain gâchis

Que reste-t-il à la lecture d'un (bon) roman ? L'histoire en elle-même, bien sûr, l'écriture, l'ambiance, un personnage... ou les confrontations entre deux personnages (bonus s'il s'agit d'esprits brillants). (l'exemple le plus évident qui me revient est Crîme et Châtiment, avec les passages Porphyre vs Raskolnikov). Dans le Zéro et l'Infini, roman qui a d'ailleurs une filiation évidente avec celui de Dostoïevski, je retiendrai donc l'échange intense entre Roubachof et Ivanof sur le projet de civilisation porté par le Communisme.

Au coeur de cette discussion et de ce roman, la négation de l'individu au profit de la masse. Lorsque j'évoquerai de nouveau Tchernobyl sur ce blog, on verra à quel point il était ancré dans la culture russe de ne pas se penser comme individu, mais comme partie du peuple.

L'extrait suivant est un poil long, mais il vaut la peine d'être lu. Egalement pour ceux qui souhaiteraient comprendre comment l'idéal communiste a abouti à des dérives.


« Je n’approuve pas le mélange des idéologies, poursuivit Ivanof. Il n'y a que deux conceptions de la morale humaine, et elles sont à des pôles opposés. L’une d’elles est chrétienne et humanitaire, elle déclare l’individu sacré, et affirme que les règles de l’arithmétique ne doivent pas s’appliquer aux unités humaines – qui, dans notre équation, représentent soit zéro, soit l’infini. L’autre conception part du principe fondamental qu’une fin collective justifie tous les moyens, et non seulement permet mais exige que l’individu soit en toute façon subordonné et sacrifié à la communauté – laquelle peut disposer de lui soit comme d’un cobaye qui sert à une expérience, soit comme de l’agneau que l’on offre en sacrifice. La première conception pourrait se dénommer morale antivivisectionniste ; la seconde, morale vivisectionniste. Les fumistes et les dilettantes ont toujours essayé de mélanger les deux conceptions ; en pratique cela est impossible. Quiconque porte le fardeau du pouvoir et de la responsabilité s’aperçoit du premier coup qu’il lui faut choisir ; et il est fatalement conduit à choisir la seconde conception. Connais-tu, depuis l’établissement du Christianisme comme religion d’État, un seul exemple d’État qui ait réellement suivi une politique chrétienne ? Tu ne peux pas m’en désigner un seul. Aux moments difficiles – et la politique est une suite ininterrompue de moments difficiles – les gouvernants ont toujours pu invoquer des « circonstances exceptionnelles », qui exigeaient des mesures exceptionnelles. Depuis qu’il existe des nations et des classes, elles vivent l’une contre l’autre dans un état permanent de légitime défense qui les force à remettre à d’autres temps l’application pratique de l’humanitarisme…»

Roubachof regarda par la fenêtre. La neige fondue avait gelé et étincelait, formant une surface irrégulière de cristaux d’un blanc jaunâtre. Sur le mur la sentinelle faisait les cent pas, l’arme à l’épaule. Le ciel était limpide mais sans lune ; au-dessus de la tourelle brillait la Voie lactée.

Roubachof haussa les épaules.
« Admettons, dit-il, que soient incompatibles l’humanitarisme et la politique, le respect de l’individu et le progrès social. Admettons que Gandhi soit une catastrophe pour l’Inde ; que la chasteté dans le choix des moyens conduise à l’impuissance politique. Dans la négative, nous sommes d’accord. Mais regarde où nous a conduits l’autre méthode…

— Où donc ? » demanda Ivanof. Roubachof frotta son pince-nez sur sa manche, et regarda Ivanof d’un air myope.

« Quel gâchis, dit-il, quel vilain gâchis nous avons fait de notre âge d’or ! »

Ivanof sourit.
« Cela se peut, dit-il d’un air satisfait. Mais pense aux Gracques, et à Saint-Just, et à la Commune de Paris. Jusqu’à maintenant, toutes les révolutions ont été faites par des dilettantes moralisateurs. Ils ont toujours été de bonne foi et ils ont péri de leur dilettantisme. Nous sommes les premiers à être logiques avec nous-mêmes…

— Oui, dit Roubachof, si logiques, que dans l’intérêt d’une juste répartition de la terre nous avons de propos délibéré laissé mourir en une seule année environ cinq millions de paysans avec leurs familles. Nous avons poussé si loin la logique dans la libération des êtres humains des entraves de l’exploitation industrielle, que nous avons envoyé environ dix millions de personnes aux travaux forcés dans les régions arctiques et dans les forêts orientales, dans des conditions analogues à celles des galériens de l’Antiquité. Nous avons poussé si loin la logique, que pour régler une divergence d’opinions nous ne connaissons qu’un seul argument : la mort, qu’il s’agisse de sous-marins, d’engrais, ou de la politique du Parti en Indochine. Nos ingénieurs travaillent avec l’idée constamment présente à l’esprit que toute erreur de calcul peut les conduire en prison ou à l’échafaud ; les hauts fonctionnaires de l’administration ruinent et tuent leurs subordonnés, parce qu’ils savent qu’ils seront rendus responsables de la moindre inadvertance et seront eux-mêmes tués ; nos poètes règlent leurs discussions sur des questions de style en se dénonçant mutuellement à la Police secrète, parce que les expressionnistes considèrent que le style naturaliste est contre-révolutionnaire, et vice versa. Agissant logiquement dans l’intérêt des générations à venir, nous avons imposé de si terribles privations à la présente génération que la durée moyenne de son existence est raccourcie du quart. Afin de défendre l’existence du pays, nous devons prendre des mesures exceptionnelles et faire des lois de transition, en tout point contraires aux buts de la Révolution. Le niveau de vie du peuple est inférieur à ce qu’il était avant la Révolution ; les conditions de travail sont plus dures, la discipline est plus inhumaine, la corvée du travail aux pièces pire que dans des colonies où l’on emploie des coolies indigènes ; nous avons ramené à douze ans la limite d’âge pour la peine capitale ; nos lois sexuelles sont plus étroites d’esprit que celles de l’Angleterre, notre culte du Chef plus byzantin que dans les dictatures réactionnaires. Notre presse et nos écoles cultivent le chauvinisme, le militarisme, le dogmatisme, le conformisme et l’ignorance. Le pouvoir arbitraire du gouvernement est illimité, et reste sans exemple dans l’histoire ; les libertés de la presse, d’opinion et de mouvement ont totalement disparu, comme si la Déclaration des Droits de l’Homme n’avait jamais existé. Nous avons édifié le plus gigantesque appareil policier, dans lequel les mouchards sont devenus une institution nationale, et nous l’avons doté du système le plus raffiné et le plus scientifique de tortures mentales et physiques. Nous menons à coups de fouet les masses gémissantes vers un bonheur futur et théorique que nous sommes les seuls à entrevoir. Car l’énergie de cette génération est épuisée ; elle s’est dissipée dans la Révolution ; car cette génération est saignée à blanc et il n’en reste rien qu’un apathique lambeau de chair sacrificatoire qui geint dans sa torpeur. Voilà les conséquences de notre logique. Tu as appelé cela la morale vivisectionniste. Il me semble à moi que les expérimentateurs ont écorché la victime et l’ont laissée debout, ses tissus, ses muscles et ses nerfs mis à nu…

— Eh bien, et après ? dit Ivanof de son air satisfait. Tu ne trouves pas cela merveilleux ? Est-ce qu’il est jamais arrivé quelque chose de plus merveilleux dans toute l’histoire ? Nous arrachons sa vieille peau à l’humanité pour lui en donner une neuve. Ce n’est pas là une occupation pour des gens qui ont les nerfs malades ; mais il fut un temps où cela te remplissait d’enthousiasme. Qu’est-ce qui t’a donc changé pour que tu sois maintenant aussi délicat qu’une vieille fille ? »

Roubachof voulut répondre : « Depuis lors j'ai entendu Bogrof m’appeler. » Mais il savait que cette réponse n’avait pas de sens. Il dit :

« Continuons ta métaphore : je vois bien le corps de cette génération écorché vif, mais je ne vois pas trace de peau neuve. Nous avons tous cru que l’on pouvait traiter l’histoire comme on fait des expériences en physique. La différence est qu’en physique on peut répéter mille fois l’expérience, mais qu’en histoire on ne la fait qu’une fois. Danton et Saint-Just ne s’envoient à l’échafaud qu’une seule fois ; et s’il se trouvait que les grands sous-marins étaient après tout ce qu’il nous fallait, le camarade Bogrof ne reviendra pas à la vie.

— Et que déduis-tu de là ? demanda Ivanof. Faut-il nous tourner les pouces parce que les conséquences d’une action ne sont jamais tout à fait prévisibles, et que par suite toute action est mauvaise ? Nous donnons notre tête en gage pour répondre de chacune de nos actions, on ne peut pas nous en demander davantage. Dans le camp adverse ils n’ont pas de tels scrupules. N’importe quel imbécile de général peut expérimenter avec des milliers de corps vivants ; et s’il commet une erreur, il sera tout au plus mis à la retraite. Les forces de réaction et de contre-révolution n’ont ni scrupules ni problèmes de morale. Imagine-toi un Sylla, un Galliffet, un Koltschak lisant Crime et Châtiment. Des oiseaux rares comme toi ne se trouvent que sur les arbres de la Révolution. Pour les autres, c’est plus facile…»

Il regarda sa montre. La fenêtre de la cellule était d’un gris sale ; le morceau de journal collé sur le carreau cassé se gonflait en bruissant dans le vent du matin. En face, sur la courtine, la sentinelle faisait toujours les cent pas.

« Pour un homme qui a ton passé, reprit Ivanof, ce soudain revirement contre l’expérimentation est plutôt naïf. Chaque année plusieurs millions d’humains sont tués sans aucune utilité par des épidémies et autres catastrophes naturelles. Et nous reculerions devant le sacrifice de quelques centaines de mille pour l’expérience la plus prometteuse de l’histoire ? Pour ne rien dire des légions de ceux qui meurent de sous-alimentation et de tuberculose dans les mines de houille et de mercure, les plantations de riz et de coton. Personne n’y songe ; personne ne demande pourquoi ; mais si, nous autres, nous fusillons quelques milliers de personnes objectivement nuisibles, les humanitaires du monde entier en ont l’écume à la bouche. Oui, nous avons liquidé la section parasitique de la paysannerie et nous l’avons laissée mourir de faim. C’était une opération chirurgicale que le faire une fois pour toutes ; dans le bon vieux temps d’avant la Révolution, il en mourait tout autant pendant une année de sécheresse – mais ils mouraient sans rime ni raison. Les victimes des inondations du fleuve Jaune en Chine se dénombrent parfois par centaines de mille. La nature est généreuse dans les expériences sans objet auxquelles elle se livre sur l’homme. Pourquoi l’humanité n’aurait-elle pas le droit d’expérimenter sur elle-même ? »

Arthur Koestler, le Zéro et l'Infini (1945)

jeudi 28 novembre 2019

Il ne faut pas confondre

Billy Childish, anglais, 42 ans de carrière, prolifique artiste DIY pluri-disciplinaires (125 disques, 5 romans, 40 de recueils de poésie, 2500 tableaux), qui se produisait le week-end dernier au festival BBmix [portrait]

...et Billy Eilish, américaine, chanteuse pop , 1 album et déjà plein plein de vues / ventes

lundi 28 octobre 2019

Du rêve

Très bonne BD de Fabcaro (Zaï Zaï Zaï Zaï), qui mérite son succès... un peu dans l'esprit des dessins du blog de Bastien Vives, mais les saynettes caustiques servent la narration d'une histoire (absurde) sur toute la longueur du recueil.







Fabcaro, Zaï zaï zaï zaï (2015)

mardi 22 octobre 2019

Un théâtre de marionnettes

Tchernobyl est souvent considéré comme le début de la fin de l'URSS. Dans la série du même nom, on y voit un pouvoir arc-bouté sur un discours officiel, des voies dissonantes menacées d'élimination (administrative, sociale ou physique), des livres interdits ou amputés de pages gênantes...
Autant de pratiques à leur paroxysme à l'époque des procès de Moscou sous Staline, et qui font du roman "le Zero et l'Infini" un complément idéal du visionnage de la série.

C'était au moment où se préparait le second grand procès de l'opposition. L'air de la légation s'était étrangement raréfié. Photographies et portraits disparaissaient des murs du soir au matin ; ils y étaient depuis des années, personne ne les regardait, mais à présent les tâches claires sautaient aux yeux. Le personnel bornait ses conversations aux affaires du service ; on se parlait avec une politesse prudente et pleine de réserve. Aux repas, à la cantine de la légation, où les conversations étaient inévitables, on s’en tenait aux clichés officiels, qui, dans cette atmosphère familière, semblaient gauches et grotesques ; on aurait dit qu'après s’être demandé le sel et la moutarde, ils se hélaient mutuellement avec les slogans du dernier manifeste du Comité central. Il arrivait souvent que quelqu'un protestât contre une fausse interprétation de ce qu’il venait de dire, et prît ses voisins à témoin, avec des exclamations précipitées : « Je n'ai pas dit cela », ou : « Ce n'est pas ce que je voulais dire. » Tout cela donnait à Roubachof l'impression d'un théâtre de marionnettes bizarre et cérémonieux dans lequel les pantins, montés sur fil de fer, récitaient chacun sa tirade. Seule Arlova, avec son allure silencieuse et endormie, semblait rester elle-même.
Non seulement les portraits sur les murs, mais aussi les rayons de la bibliothèque furent décimés. La disparition de certains livres se faisait discrètement, généralement le lendemain de l'arrivée d’un nouveau message d’en haut.
Arthur Koestler, le Zéro et l'Infini (1945)

jeudi 17 octobre 2019

Light from within

Très belle exposition de photos de Todd Hido (jusqu'à Samedi à la Galerie Les Filles Du Calvaire), avec notamment son célèbre projet "House Hunting" (1999), qui montre l'Amérique des lointaines banlieues, sous un jour une nuit brumeuse et mystérieuse. Sélection.






Todd Hido, House Hunting

lundi 7 octobre 2019

Monologue... ou dialogue intérieur ?

Rien de tel qu'un bon séjour en captivité pour approfondir la question...

Roubachof avait toujours pensé qu'il se connaissait assez bien. Dépourvu de préjugés moraux, il n’avait pas d’illusions sur le phénomène appelé « première personne du singulier ». Il avait admis, sans émotion particulière, le fait que ce phénomène était doué de certains mouvements impulsifs que les humains éprouvent généralement quelque répugnance à avouer. À présent, lorsqu'il collait son front contre la vitre ou qu'il s’arrêtait soudain sur le troisième carreau noir, il faisait des découvertes inattendues. Il s’apercevait que le processus incorrectement désigné du nom de « monologue » est réellement un dialogue d’une espèce spéciale ; un dialogue dans lequel l’un des partenaires reste silencieux tandis que l’autre, contrairement à toutes les règles de la grammaire, lui dit « je » au lieu de « tu », afin de s'insinuer dans sa confiance et de sonder ses intentions ; mais le partenaire muet garde tout bonnement le silence, se dérobe à l’observation et refuse même de se laisser localiser dans le temps et dans l'espace.

Mais maintenant, il semblait à Roubachof que le partenaire habituellement muet parlait de temps en temps, sans qu’on lui adressât la parole et sans prétexte apparent ; sa voix paraissait totalement étrangère à Roubachof qui l'écoutait avec un sincère émerveillement et qui s’apercevait que c'étaient ses lèvres à lui qui remuaient. Il n’y avait là rien de mystique ni de mystérieux ; il s'agissait de faits tout concrets ; et ses observations persuadèrent peu à peu Roubachof qu'il y avait dans cette première personne du singulier un élément bel et bien tangible qui avait gardé le silence pendant toutes les années écoulées et qui se mettait maintenant à parler.

Arthur Koestler, le Zéro et l'Infini (1945)

jeudi 3 octobre 2019

What is the cost of lies ?


Les travaux de décontamination ont commencé dans les écoles autour de Notre-Dame. L'opération concerne quatre écoles où des taux de plomb supérieurs à la moyenne recommandée ont été mesurés après l’incendie. Des hommes masqués en combinaison blanche pulvérisant un liquide bleuâtre sur la marelle, des engins de chantier circulant autour du toboggan…, cette scène étrange marque le début des travaux de décontamination, jeudi 8 août, dans les écoles maternelle et élémentaire de Saint-Benoît, dans le 6e arrondissement de Paris. Le groupe scolaire, qui accueillait des enfants en centre de loisirs durant la période estivale, avait fermé ses portes le 25 juillet, en raison de taux de plomb élevés mesurés dans les cours de récréation extérieures.

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Prendre le risque de partir, de perdre sa maison ou son travail. Prendre le risque de rester et d'avoir à assumer, dans une semaine ou dans dix ans, d'avoir mis en danger sa santé, celle de sa famille ou de ses élèves… Une semaine après l'incendie de l'usine de produits chimiques Lubrizol, à Rouen, de nombreux voisins de l’usine et des habitants survolés par le nuage de fumée noire s'interrogent encore sur l’attitude à adopter face à la catastrophe.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/10/03/nous-avons-pris-nos-decisions-seuls-a-rouen-des-habitants-racontent-l-absence-de-communication_6014124_3244.html

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Un mystérieux accident dans le Grand Nord russe. Un projet de missile nucléaire secret. Des déclarations contradictoires sur les risques de contamination radioactive. Tout semble flou dans les déclarations des autorités russes, cinq jours après l’accident survenu sur une plate-forme militaire offshore au large du village de Nionoksa, à plus de 1 200 kilomètres au nord de Moscou, et qui a coûté la vie à au moins cinq ingénieurs nucléaires.

Mardi dans la journée, les 450 habitants du village voisin de l’explosion ont été prévenus qu’ils devraient évacuer leur logement pendant deux heures, le lendemain, et étaient invités à se réfugier dans la forêt. Sans explications sur les raisons de cette « opération planifiée » – curieuse mesure préventive six jours après l’accident. Mais cette évacuation a été soudainement annulée mardi dans la soirée, sans plus d’explications de la part du pouvoir russe.

Dans les grandes villes voisines, Severodvinsk et Arkhangelsk, la population s’est précipitée dans les pharmacies pour acheter des comprimés d’iode stable (protégeant la thyroïde en cas de rejet accidentel d’iode radioactif dans l’atmosphère), épuisant les stocks disponibles. Les médecins qui ont soigné les victimes de l’explosion ont, eux, été envoyés à Moscou. Ils doivent y passer des examens – après avoir dû auparavant signer un accord de confidentialité leur interdisant de divulguer toute information sur l’accident.

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L'actualité résonne différemment, après avoir visionné Chernobyl, le série dont les images, la bande-son (signée Hildur Ingveldardóttir) et les personnages marquent durablement.

lundi 30 septembre 2019

Free at last



L'année 2019 aura été meutrière sur le plan musical. Scott Walker, Mark Hollis (Talk Talk), David Berman (Silver Jews, Purple Mountains)... tant est si bien que j'ai suspendu mes posts "RIP" en cours d'année, pour que ce blog ne devienne pas un carnet de disparition. En 2019, Austin (TX) a perdu deux figures majeures, Roky Erickson d'une part (31/05), Daniel Johnston d'autre part (11/09) ; l'un connu pour avoir inventé le rock psychédélique (tout du moins le terme) avec ses 13th Floor Elevators, l'autre pour ses talents de songwriters, admirés de beaucoup (notamment Kurt Cobain, Sonic Youth, Yo La Tengo...).


Ajoutons, pour l'anecdote, que tous deux ont été internés plus ou moins régulièrement dans des structures psychiatriques. J'ai connu Daniel Johnston en 1994 avec son album "FUN" (son premier sur une major - un échec commercial), puis en remontant quelques années plus tard le fil de ses enregistrement lofi sur K7 (une dizaine) grâce à la magie d'internet. Mon album préféré reste "Rejected Unknown" (2001). Lui succéderont des réussites moindres, malgré (à cause) de producteurs confirmés (Mark Linkous, Jason Falkner).

Outre sa musique, Daniel Johnston laisse une quantité faramineuse de dessins, reprenant souvent les mêmes motifs obsessionnels. Son ancien manager, Jeff Tartakov, s'est donnée la mission de mettre en valeur son oeuvre. Allez voir son instagram, qui recèlent de trésors tels que cette lettre, écrite depuis l'hôpital psychiatrique.

jeudi 26 septembre 2019

Douleur majestueuse

A l'ouverture de l'exposition "Baudelaire L'oeil moderne" au musée de La Vie Romantique, François Atlas a été convié à se produire en concert. Il s'est alors emparé des textes du poète pour les mettre en musique. Et c'est une réussite, puisque ni la musicalité ni les textes ne pâtissent de l'exercice. Comme l'explique François Atlas : "J'ai été frappé de la régularité et de la musicalité des vers, ils se sont glissés dans ce format pop avec limpidité."

Premier extrait choisi (à lire ici et donc à écouter )

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! — Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !


Charles Baudelaire - A Une Passante (Les Fleurs Du Mal, 1857)
Francois Atlas - A Une Passante (Les Fleurs Du Mal, 2018)

mardi 24 septembre 2019

"Ca n'a rien à voir"

...En fait, si.

Recent empirical research suggests that the growing opposition to sexist humor might indeed be justified. By trivializing sex discrimination, sexist humor creates a norm of tolerance of sex discrimination. In this context, sexist behavior can be more easily justified as falling within the bounds of social acceptability (Ford, 2015; Ford, Boxer, Armstrong, & Edel, 2008). Indeed, sexist humor has been shown to promote discrimination against women in a number of ways. For instance, sexist men exposed to sexist humor have reported greater tolerance of sexist events (Ford, 2000), greater willingness to discriminate against women (Ford et al., 2008), and greater tolerance of societal sexism (Ford, Woodzicka, Triplett, & Kochersberger, 2013). Most notably for the present research, men exposed to sexist humor have reported greater propensity to commit sexual violence against women including rape (Romero-Sanchez, Duran, Carretero-Dios, Megias, & Moya, 2010; Ryan & Kanjorski, 1998), particularly insofar as they have antagonistic attitudes toward women (Thomae & Viki, 2013). Ford and Ferguson's (2004) prejudiced norm theory explains these findings suggesting that sexist humor creates a social norm that permits men to express sexism in various ways without fears of reprisal. The present research builds on this literature by testing new hypotheses designed to establish boundary conditions for prejudiced norm theory as a framework for understanding the relationship between exposure to sexist humor and men's self-reported rape proclivity.

[Source] [via]

lundi 23 septembre 2019

Comme si culpabilité ou innocence avaient la moindre importance

Impressionnante scène au cours de laquelle le cérébral et expérimenté Roubachof affine le portrait de son voisin de cellule, à mesure qu'ils perçoit d'infimes détails.

Peut-être le N° 402 était-il un docteur, ou un ingénieur politique [...]. Il n’avait certainement pas d'expérience politique, ou il n’aurait pas commencé par demander le nom. Évidemment en prison depuis un certain temps, il s’est perfectionné dans l’art de frapper au mur, et il est dévoré du désir de prouver son innocence. Il est encore imbu de cette croyance simpliste, que sa culpabilité ou son innocence subjective ont la moindre importance ; il n’a aucune idée des intérêts supérieurs qui sont réellement en jeu. Selon toute probabilité il est à présent assis sur sa couchette, à écrire sa centième protestation aux autorités qui ne la liront jamais, ou sa centième lettre à sa femme qui ne la recevra jamais ; de désespoir il s'est laissé pousser la barbe – une barbe noire à la Pouchkine –, il ne se lave plus et il a contracté l'habitude de se ronger les ongles et de se livrer à des excès érotiques. Rien de pire en prison que d'avoir conscience de son innocence ; cela vous empêche de vous acclimater et cela vous sape le moral… 

Arthur Koestler, le Zéro et l'Infini (1945)

vendredi 20 septembre 2019

Cet âge où les hommes deviennent vulnérables

"No country for old men" a douze an maintenant... J'en gardais un bon souvenir quoique flou. Et je me rappelais distinctement regretter avoir eu une attention flottante durant ce qui s'était avéré être la scène finale.


Sheriff Bell, usé par une longue carrière, secoué par sa dernière enquête, inquiet de ce que sera sa vie une fois retraité, est assis dans sa cuisine. Il s'approche de...
"cet âge où les hommes deviennent vulnérables, leurs forces s'en vont, ils ont peur de tomber de l'échelle, de ne plus pouvoir se défendre si on les attaque, de perdre la vue, les dents, la vie" (*)
Il raconte un rêve à sa femme.

Okay. Two of 'em. Both had my father. It's peculiar. I'm older now'n he ever was by twenty years. So in a sense he's the younger man. Anyway, first one I don't remember so well but it was about meetin' him in town somewheres and he give me some money and I think I lost it. The second one, it was like we was both back in older times and I was on horseback goin' through the mountains of a night.
 
...goin' through this pass in the  mountains. It was cold and snowin', hard ridin'. Hard country. He rode past me and kept on goin'. Never said nothin' goin' by. He just rode on past and he had his blanket wrapped around him and his head down... ...and when he rode past I seen he was carryin' fire in a horn the way people used to do and I could see the horn from the light inside of it. About the color of the moon. And in the dream I knew that he was goin' on ahead and that he was fixin' to make a fire somewhere out there in all that dark and all that cold, and I knew that whenever I got there he would be there.

And then I woke up.

Joel et Ethan CoenNo Country for Old Men (2007)

(*) :
Je cite Isabelle Monnin (Les gens dans l'enveloppe), livre que je referme ce jour

mercredi 18 septembre 2019

Se jeter dans le monde avec grâce

"Ce que font les gens normaux", une BD à lire et offrir, feat. Frances, assistante juridique dans un grand cabinet d'avocat. Au menu : travail, amitié, choix de vie.



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Hartley Lin, Ce que font les gens normaux (Dargaud, 2019)