On a vu ces jeunes musiciens anneciens démarrer dans le courant de l'année 2007 et exceller dans une mouvance (anti-)folk-rock. Je garde d'ailleurs un très bon souvenir de la soirée Coming Soon + Stanley Brinks + the Wave Pictures en 2008 au Café de la Danse.
Leur nouvel album, Tiger Meets Lion, en écoute ici, paraît ce jour... le groupe a parcouru du chemin, et leur son prend désormais les habits d'une pop protéiforme multicolore. Lorsque j'ai eu ce disque pour la première fois entre les mains, la première chose à avoir attiré mon regard (hormis la pochette) est un discret " feat. Cassie Berman " au beau milieu de la tracklist.
Cassie Berman est l'épouse de David Berman, et l'a accompagné sur les dernières années de ce groupe que j'apprécie au plus haut point : Silver Jews. Si vous faîtes parti de mes lecteurs historiques, vous savez que j'ai beaucoup parlé du groupe dans ces colonnes, que ce soit pour citer ses textes, placer trois de leurs albums dans des tops décennaux, ou raconter leur fin (c'était en 2009).
L'occasion était trop belle, et puisque Coming Soon et moi-même semblions partager des affinités musicales, il me fallait leur proposer une interview thématique, et demander des nouvelles de ce cher David Berman.
Aux réponses :
Ben Lupus (à gauche sur la photo) et Howard Hugues (au centre)
Interview (Part. 1, ai-je envie de dire)
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Musicalement, comment êtes-vous venus à Silver Jews ? "Directement"? Ou en suivant la piste Stephen Malkmus, par exemple?
Howard : Nous avons découvert très tôt dans notre formation la musique des Silver Jews. Nous avons eu une fascination immédiate pour le label Drag City et ses artistes principaux Bonnie Prince Billie, Bill Callahan/Smog et les Silver Jews. Pour nous ces groupes sont des influences majeures et ils représentent le mieux la scène qu'on a appelé Indie Rock.
Ben : On a découvert les Silver Jews via l'antifolk, quand on a commencé à chercher d'où venait cette musique. Et forcément on est tombé sur la musique indé et lo-fi américaine des années 90, sur K records, et Drag City. Personnellement, les Silver Jews ça a été le coup de foudre immédiat, comme Smog ; j'ai mis plus de temps à devenir fou de Pavement, mais ça a fini par arriver ! Donc on peut dire que j'ai plutôt trouvé Malkmus en suivant la piste Silver Jews...
C'était très excitant de découvrir tous ces groupes, même avec dix ans de retard, ça a énormément influencé notre son au début, toute notre esthétique, et même notre façon de travailler - et bien sûr, ça recoupait plein de choses qu'on aimait, musicales ou extra-musicales, comme le cinéma de Harmony Korine ou les comic books underground. Pour moi, ça et la découverte de la musique électronique, avec Godspeed en trait d'union, ce sont les deux moments les plus décisifs de mon éducation musicale.
Question d’initiés : Quel est votre album préféré ? (perso : Natural Bridge, puis American Water / Natural Bridge) A moins que vous préfériez citer une chanson?
Ben : Difficile d'en choisir un... Pour ma part je pense que ce serait "The Natural Bridge", parce que c'est celui que j'ai le plus souvent écouté (d'ailleurs c'est probablement le disque que j'ai le plus écouté de toute ma vie), et celui vers lequel je retourne sans cesse. Je connais tous les mots par cœur, et pourtant je suis toujours surpris par la qualité, l'intelligence de l'écriture. "Pretty Eyes", ça me bouleverse à chaque fois. Bright Flight est presque à égalité, j'adore les arrangements. C'est avec ce disque que j'ai vraiment eu envie de découvrir la country music - ça donne un regard un peu biaisé sur ce genre musical, mais je trouve que c'est une bonne porte d'entrée. Je me suis chanté "Horseleg Swastikas" des centaines de fois, tout seul dans ma chambre avec ma guitare ! Et puis une ligne comme "We're gonna live in Nashville and I'll make a career / Out of writing sad songs and getting paid by the tears", ça résonne énormément quand tu as choisi de faire de la musique ton métier. Ça résume bien le mélange de noblesse et de ridicule de l'entertainment. Et puis il y aussi cette façon d'évoquer le divin (le disque s'ouvre sur "When God was young, he made the wind and the sun / Since then, it's been a slow education"), qui est un fil rouge qui relie tous les disques des SJ, et qui à ma connaissance n'a pas vraiment d'équivalent dans la pop culture. C'est d'autant plus touchant quand on connaît un peu la vie de David Berman. Pour moi, c'est aussi ce qui confère aux SJ un statut si particulier.
Avez-vous rencontré les Joos ?
Ben : Pour ma part je ne les ai jamais rencontrés, et une suite de malheureux contre-temps a même fait que je les ai ratés lors de leurs deux seules tournées en Europe. C'est vraiment quelque chose que je regrette.
Howard : J’ai eu la chance de les voir jouer une première fois au festival MO'FO à Saint-Ouen (c'était en 2006 je crois), et de rencontrer David Berman dans les loges. On a un peu discuté, il essayait de parler le moins possible avant de jouer pour avoir des choses à raconter sur scène ! Mais la vraie rencontre avec eux a eu lieu en 2008 lors de leur dernier concert à Paris au Point Ephémère. Entre temps, je leurs avais envoyé notre musique et ils m'ont appelé la veille de leur concert pour me dire qu’on pourrait passer du temps ensemble quand ils arriveraient le lendemain à Paris. On a passé une journée inoubliable à discuter de la musique, de la vie à Paris et Nashville, du projet de David d'écrire un livre sur son père (le terrifiant Richard Berman, surnommé Dr Evil par les médias américains). Le soir, ils nous ont même dédié une chanson sur scène, c'était la consécration !
Google m'apprend que pour votre album Ghost Train Tragedy, vous avez demandé un dessin à David Berman. Vous m'en dites plus ?
Howard : Le dessin représente sept petites tombes (nous étions sept à l’époque) qui sont peut-être les victimes de l’accident du train fantôme qui nous avait inspiré pour notre deuxième album.
Pour votre nouvel album (Tiger meets Lion), comment vous est venue l’idée d'une participation de Cassie Berman ? Et pratiquement, comment ça s’est déroulé ?
Ben : Jusqu'ici, en dehors de notre tout premier EP, on a toujours eu des choeurs féminins sur nos albums. Comme le groupe s'est désormais resserré sur 5 garçons, on voulait garder une petite touche de féminité sur un titre. On a tout de suite pensé à Cassie, et Radio Broke a été imaginée un peu pour elle, même si au départ l'idée du duo n'était pas très claire - et on ne savait pas si elle accepterait ou comment cela pourrait se concrétiser.
Malheureusement, on n'a pas pu avoir Cassie avec nous en studio. Elle a enregistré sa prise de voix à Nashville, dans le studio d'un ami, en suivant les indications de notre producteur, Scott Colburn. Elle nous a envoyé plusieurs propositions, et Scott a fait son choix.
Silver Jews a donné son dernier concert en Janvier 2009, et David Berman a pris la décision d’arrêter de faire de la musique. Ca fait donc 5 ans. Je suis obligé de vous demander : Vous avez des nouvelles?
Howard : Ils vont tous les deux très bien. Je crois que David travaille toujours sur son livre et ne compte pas reprendre la musique pour l’instant, et Cassie travaille dans une radio country à Nashville et écrit ses propres chansons.
Je citais plus haut mes albums préférés de Silver Jews... En négatif, se dessine le fait que j'adhère moins au son des deux derniers. En terme de trajectoire, et vu de loin, je trouve qu'on pourrait établir un parallèle entre les évolutions de Will Oldham, Cat Power, Songs : Ohia, Darren Hayman, Herman Düne [André mis à part]. Mais ce serait trop long... et hors sujet. En tant qu'amateurs ET créateurs de musique, quel(le) regard/réflexion portez-vous sur le sujet de l'évolution musicale d'un groupe ? Ou disons de Coming Soon? D'autant que le son de votre nouvel album est quand même sacrément éloigné de celui des débuts...
Ben : Pour tous les groupes que tu cites, j'ai l'impression que la trajectoire en question est celle d'un son lo-fi vers quelque chose de mieux produit. Et il me semble que beaucoup de gens ressentent la même chose que toi (et certains même assez violemment, comme une trahison). Mais en même temps, je trouve toujours douteuse la volonté de faire du lo-fi pour du lo-fi, ou de reproduire à l'infini la même formule. En tant que musicien, c'est normal de vouloir présenter ta musique au public de la meilleure façon - et ça passe par une production soignée autant que possible. Et encore plus quand tu es également producteur de ton travail : quand tu paies pour du temps de studio, tu es content que ton album ne sonne pas tout pourri !
Les premiers enregistrements d'un groupe sont la plupart du temps soumis à tout un tas de contraintes et de restrictions, et c'est la façon de gérer celles-ci, de ne pas se laisser freiner par elles, qui ont fait l'originalité de l'indie rock US des années 90. Nous-mêmes, quand on a commencé, on n'avait même pas un quatre pistes, on enregistrait avec un micro de MD et on se plaçait dans la pièce à des distances différentes pour créer un semblant de mix... Forcément, ce genre de contraintes influent sur ta musique : tu auras plutôt tendance à utiliser des guitares acoustiques par exemple, et on te cataloguera plus facilement comme artiste folk. C'est sûr qu'on a parcouru du chemin depuis, puisqu'on a passé presque un mois en studio pour le nouvel album, à expérimenter avec des synthés et des boîtes à rythme, à essayer différents traitements de voix. Et je suis sûr qu'il y aura des gens pour critiquer la production de cet album, mais pour nous, on a jamais été aussi proche, avec un enregistrement, de notre musique telle qu'on la rêve. Et puis, il faut pas trop fantasmer non plus, le studio ça reste toujours du bricolage, de la bidouille. En plus, avec le développement du home-studio, la notion de lo-fi est devenue très floue, et un peu galvaudée : il y a un effet "lo-fi" sur mon sampler, censé reproduire une qualité d'échantillonnage médiocre ! Ca veut plus dire grand chose...
Pour revenir aux SJ, c'est vraiment une question de production, parce que les chansons sont toujours aussi bonnes : "Punks In The Beerlight", c'est un vrai tube, et "My Pillow Is The Threshold" c'est une des chansons les plus bouleversantes de David Berman, non ? Ce n'est pas souvent le cas, sur l'ensemble d'une carrière : il y a forcément des hauts et des bas. J'ai beaucoup de mal à m'intéresser aux nouveaux disques de Will Oldham par exemple, j'ai un peu laissé tomber à partir de The Wonder Show Of The World, alors que Lie Down In The Light c'est encore un highlight (c'est produit par Scott, et ça s'entend : il y a une approche très moderne, un vrai travail de textures, alors que c'est un album assez dépouillé et 100% folk). C'est aussi pour ça que j'admire des groupes comme Phoenix ou Animal Collective, capables de renouveler leur musique à chaque album, d'ouvrir de nouvelles voies, et de continuer à bâtir une identité. Ce genre de démarche, c'est terriblement motivant, ça ouvre de nouvelles perspectives, et c'est sûr que ça nous a beaucoup influencé dans notre propre évolution : on aurait pu faire un album semblables au précédent, mais on essaye d'éviter le piège de l'artisan appliqué à reproduire le même truc, on essaie de se mettre en danger. Travailler sur la B.O. d'une pièce de théâtre nous a beaucoup encouragé en ce sens, en nous libérant du format chanson ou des contraintes liées à un album. Ça nous a permis de tenter des choses plus expérimentales, et ça nous a aussi aidé à comprendre la façon dont on voulait intégrer l'électronique à notre musique.
Dans les groupes que je cite, il y a effectivement une trajectoire Lo-Fi to Hi-Fi (ou disons vers une production plus poussée). Je n'avais pas inclus Smog, parce que même si sa musique me touche moins maintenant (par rapport au sommet "The Doctor Came at Dawn"), j'aime toujours ses disques.
Pour lui, comme pour d'autres, je remarque aussi qu'il y a une progression notable au niveau du chant. Aujourd'hui, Chan Marshall fait ce qu'elle veut avec sa voix, et la pose tout de suite à la note voulue. Will Oldham chante désormais beaucoup mieux...
Dernier angle possible pour analyser ces trajectoires (et c'est celui que je m'explique le moins) : le retour à une musique plus "traditionnelle". Exemple frappant : Will Oldham, justement, fan à ses début de groupes punk (ce qui pour moi a joué sur le son "Palace"). Du coup, son Best Of Palace, repris en mode country est juste horrible.
Ben : Je suis d'accord avec toi, au-delà d'une production plus propre, c'est vrai qu'il y a aussi ces deux tendances. D'un côté une évolution en tant que performer, ou que musicien - et ça je le comprends très bien, puisque nous-mêmes on en a fait l'expérience, on est devenu techniquement meilleur qu'avant, on a appris à jouer de nos instruments ensemble et élargi nos possibilités : je pense qu'on appartient, comme les artistes dont on parlait, à un courant ou une tradition musicale qui considère qu'il n'y a pas besoin d'être un musicien virtuose pour produire une musique digne d'intérêt. Mais c'est clair qu'au fil du temps, quand tu passes tes journées à composer et à chercher des trucs, à jouer avec tes potes, tu finis par devenir un peu plus musicien, même si tu n'as jamais appris tes gammes ou mis les pieds dans un conservatoire. Et, encore une fois c'est personnel, mais moi ça me semble très excitant cette évolution, parce qu'il y a une petite frustration qui doucement s'émousse, même si je préfère toujours le minimalisme et suis plutôt gêné par les démonstrations de virtuosité.
Et puis, dans le cas des artistes à tendance folk, il y a aussi, en effet, comme autre tendance, ce retour à une musique traditionnelle (presque une réconciliation si l'on considère que la grande originalité de cette scène dans les années 90, c'était justement la façon de distordre les codes de l'americana) : c'est vrai pour Bonnie Prince Billy (même si contrairement à toi j'apprécie le Best Of Palace, dans lequel je crois quand même discerner une certaine déviance par rapport à l'orthodoxie country... Ça vient peut-être des clips d'Harmony Korine!), mais ça marche aussi pour Bill Callahan par exemple. Difficile du coup de ne pas y voir un truc de génération, et d'attendre un peu la suivante : ce qui faisait en partie le charme de cette scène indie, ou de l'antifolk, c'était justement cette attitude de réaction face au folk chiant des aînés, face aux boy-scouts avec leurs guitares en bois. D'ailleurs c'est ce qui nous a fait flipper quand il y a eu le grand retour de la mode folk, qui a coïncidé avec la sortie de notre premier album, et dont on a pas mal bénéficié par ailleurs : c'est la rapidité avec laquelle le folk premier degré a rappliqué, cuisiné à toutes les sauces, avec ses biches, sa panoplie boisée et ses lutins. Alors forcément après ça, les synthés, la réhabilitation des années 80, ça a fait du bien ! Et ça + le hip-hop, ça nous a ouvert des chemins vers le r'n'b.. Mais je m'égare un peu...
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Fin de cette interview. La discussion aurait sans doute pu se prolonger longtemps !
Merci à Ben Lupus et Howard Hugues, de Coming Soon.
Le plus incroyable dans cette histoire, c'est que ça n'est pas fini...
Car grâce à Howard, vous pourrez lire ici en début de semaine prochaines quelques mots de Cassie Berman (ce qu'on peut en toute nuance appeler une exclusivité planétaire ;-)
Coming Soon sera en concert le Mardi 6 mai au 104