Confinés un temps aux milieux geeks et aux obscurs forums de l'internet, les reaction gifs sont maintenant passés dans la culture populaire, à tel point que Canal ou Netflix y ont eu recours dans le cadre de récentes campagnes publicitaires (Source: moi, sur les écrans de publicité disposés dans les couloirs du métro parisien, au moment du lancement de Netflix).
Je me plais parfois à imaginer que, pour exprimer un sentiment ou un état d'esprit, il devienne commun de citer par analogie un passage de roman (aux dépens d'une certaine immédiateté, j'en conviens).
Je poursuis donc mes articles consacrés au Procès de Kafka, par ce passage dans lequel K. subit une conversation des plus ennuyeuses.
K. avait bien suivi au début le discours de l’industriel ; l’importance de l’affaire lui était bien apparue et l’idée avait bien absorbé son attention, mais hélas ! pour fort peu de temps ; il n’avait pas tardé à cesser d’écouter pour opiner simplement du bonnet à chaque exclamation de l’autre, puis il n’avait même plus fait ce geste et s’était borné à regarder le tête chauve qui se penchait sur les papiers ; il se demandait à quel moment cet homme finirait par s’apercevoir qu’il parlait dans le désert. Aussi, quand l’autre se tut, K. crut-il réellement qu’il ne le faisait que pour lui permettre de reconnaître qu’il était incapable d’écouter. Mais il remarqua, avec regret, au regard attentif de l’industriel – visiblement prêt à toutes les réponses – qu’il fallait continuer l’entretien. Il inclina donc la tête comme s’il avait reçu un ordre et se mit à promener lentement son crayon sur les papiers en s’arrêtant de temps à autre pour pointer un chiffre quelconque. L’industriel pressentait des objections ; peut-être ses chiffres n’étaient-ils pas exacts, peut-être n’étaient-ils pas probants, en tout cas il recouvrit les papiers de la main et reprit un exposé général de l’affaire en s’approchant tout près de K.
« C’est difficile », dit K. en faisant la moue.
N’ayant plus rien où se raccrocher du moment que les papiers étaient cachés maintenant, il se laissa tomber sans forces contre le bras de son fauteuil.
Franz Kafka, Le procès (1925)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire