jeudi 16 avril 2009

Adieu la vieille vie, Vive la nouvelle vie

C'était au Théâtre de la Colline, hier : La Cerisaie.
C'est la dernière pièce de Tchekhov, et plus encore qu'Oncle Vania ou Ivanov, on mesure l'avancée réalisée par rapport au théâtre classique.
La parole y est très fluide (on échange même des propos anodins), les personnages sont nombreux, et les actes constituent de longs tableaux sans qu'on ressente de découpage formel.
Mise en scène, bande son, et surtout lumières ont d'ailleurs contribué à rendre certains moments, très "cinématographiques".

En filigrane, la mutation de la société russe,
fin XIXème, début XXème siècle...
avec des allusions (que je perçois, maintenant que j'ai étudié la chose...) aux grandes questions de l'époque, liées à la fin du servage, ou au regard porté sur l'Europe en général, et sur la France en particulier (occidentalistes vs. slavophiles)

Un extrait, comme ça :


LOPAKHINE
Au printemps, j'ai semé 1,000 hectares de pavots et cela m'a rapporté 40,000 roubles net. Et quand mes pavots étaient en fleurs, Dieu, quel merveilleux tableau ! [Il rit] Comme je viens de te le dire, j'y ai gagné 40,000. Donc si je m'offre à te prêter de l'argent, c'est que je le puis. Voyons, pourquoi faire le fier alors, je suis un moujik, j'agis sans façon...

TROFIMOV
Ton père était moujik et le mien pharmacien. Et après? Je ne vois pas la conclusion qu'on peut en tirer. [Lopakhine sort son portefeuille] Laisse ça, laisse... Si tu m'en offrais même 200,000, je ne les prendrais pas. Je suis libre, indépendant et ce que vous tous, riches et pauvres, appréciez tant, n'a aucun pouvoir sur moi ; pas plus que cette poussière qui voltige. Je peux me passer de vous, vous ignorer, je suis fort et fier. L'humanité va vers la suprême vérité, vers l'extrême bonheur possible sur terre. Et moi, je suis dans les premiers rangs.

LOPAKHINE
Y arriveras-tu?

TROFIMOV
J'y arriverai. (Silence.) J'y arriverai ou j'indiquerai aux autres le chemin à suivre.

[On entend au loin le bruit d'une cognée entaillant un arbre.]

LOPAKHINE
Alors, bonne chance, mon vieux; il est temps. Tandis que nous faisons les fiers, la vie, elle, passe et passe toujours. Quand il m'arrive de travailler longtemps sans répit, j'ai des pensées moins accablantes et il me semble alors que je connais aussi ma raison d'être. Et combien y en a-t-il chez nous, mon cher, qui existent on ne sait trop pourquoi? Mais qu'importe, l'essentiel n'est pas là.

Anton Tchekhov, La Cerisaie (1903)

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