lundi 14 septembre 2020

Des jeunes filles et épouses agréables

Il y a quelques jours, je relayais ici un article, dans laquelle l'autrice parlaient de  ces mères "qui élèvent ses filles afin, surtout, qu’elles soient les plus gracieuses et aimables possibles."
Je ne pensais pas que cette pensée recouperait à ce point ce que Marianne (dans "Scènes de la vie conjugale") écrivait dans son journal intime. Le résultat d'un regard rétrospectif sur sa vie, qu'elle livre à son mari... hélas endormi


[... ] j'ai regardé une vieille photo sur mon bureau où j'étais avec mes camarades de classe. j'avais 10 ans. Et j'ai eu tout à coup la révélation de quelque chose qui se préparait depuis longtemps et qui toutefois était encore insaisissable. À ma grande surprise, j'ai découvert que je ne savais pas qui j'étais. Absolument pas. J'ai toujours fait ce que mon entourage me demandait de faire. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai été obéissante, flexible et arrangeante.


Maintenant que j'y réfléchis, je me souviens qu'enfant, j'ai eu de violents accès de colère pour affirmer ma personnalité. Mais ma mère punissait chacun de mes manquements aux conventions et chacune de mes incartades avec une sévérité exemplaire qui n'a plus cours de nos jours. Toute mon éducation et celle de mes sœurs a eu pour unique but de faire de nous des jeunes filles, et plus tard des épouses, agréables.



J'étais plutôt laide et peu gracieuse. C'est une chose qu'on me pardonnait mal et qu'on ne manquait pas de me répéter. Au fur et à mesure que j'avançais en âge, j'ai découvert que si je ne disais pas ce que je pensais, et qu'au contraire, je devenais la jeune fille polie et prévenante que l'on souhaitait mon attitude était payante. Je devenais un exemple et la fierté de mes parents. J'ai commencé le grand jeu de la tricherie à l'époque de la puberté et de mes premiers émois.. A ce moment là, toutes mes pensées, mes actes, mes sentiments tournaient autour de la sexualité. Etant donné mon système d'éducation, je n'en ai jamais soufflé mot à mes parents, ni à personne d'autre, d'ailleurs. Alors je suis entrée dans le cerce vicieux du mensonge, des échappatoires et de la dissimulation. Mon père voulait que je sois avocat, comme lui. Une seule fois, j'ai laissé entendre que le droit ne me plaisait pas que je voulais être comédienne. Ou en tout cas m'occuper de théâtre, même si je ne montais pas sur les planches. Mes parents m'ont tout simplement ri au nez. Alors j'ai pris la forte résolution de mentir quoiqu'il arrive. Je voyais donc des tas de gens sans leur permission, j'avais des fréquentations masculines. C'était la dissimulation permanente. Et aussi des efforts désespérés pour plaire aux adultes. 

Je n'ai jamais pensé : "Marianne, qu'est-ce que TU veux ?"
Mais toujours : "Marianne, qu'est-ce que les autres ont envie que tu veuilles ?"

Mais cette façon de penser n'était pas du détachement comme je le croyais à l'époque. Au contraire c'était une forme de lâcheté pernicieuse et, plus grave, cela traduisait une totale méconnaissance de moi-même. A mon avis, notre erreur a été de n'avoir pas su rompre avec nos deux familles, afin de créer une cellule durable qui soit la base de notre vie commune et le garant de la réussite de notre couple.

Scènes de la vie conjugale, Ingmar Bergman (1974)

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