lundi 26 novembre 2012

les mouvements convulsifs de ce qui va être et de ce qui a été

Le dimanche de la vie, suite et fin (dans ces colonnes). Bien que ponctuées de quelques visites, les journées de vendeur de cadres de Valentin sont bien calmes. A tel point qu'il s'absorbe souvent dans la contemplation du mouvement des aiguilles de l'horloge du magasin, ceci dans la finalité de sentir le temps passer. Pour cela, il lui faut ne surtout pas laisser ses pensées vagabonder et faire le vide. 

Comme toujours, la première minute est la plus facile. [...]
Valentin suit toujours la marche de la grande aiguille, mais il sent bien qu'il n'ira pas loin, écrasé par le poids des mots et des images. [...] [Il] donne un grand coup de balai, mais il s'y prend trop tard, des bouts d'images restent accrochés aux fibres de jonc, il insiste et c'est maintenant de la boue d'image. Il ne s'en dépêtre plus. Avec de grands efforts, de la méthode, du muscle, il parvient à rétablir le désert, mais alors il constate que cinq minutes ont passé dont il ne saurait rendre compte

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Ce préambule relatif à la disposition d'esprit de Valentin était nécessaire à la compréhension du joli texte qui suit, reflétant les pensées du jeune homme en réaction au sujet de conversation le plus banal qui soit : la météo du moment.

- Il a fait beau aujourd'hui, hein? dit Houssette.
Valentin n'avait pas spécialement remarqué. Au mois de juin, il trouvait ça naturel. Il répondit au hasard :
- Superbe.
Le temps qui passe, lui, n'est ni beau ni laid, toujours pareil. Peut-être quelques fois pleut-il des secondes ou bien le soleil de quatre heures retient-il quelques minutes comme des chevaux cabrés. Le passé ne conserve peut-être pas toujours la belle ordonnance que donnent au présent les horloges, et l'avenir accourt pour se faire, le premier, débiter en tranches. Et peut-être y a-t-il du charme ou de l'horreur, de la grâce ou de l'abjection, dans les mouvements convulsifs de ce qui va être et de ce qui a été. Mais Valentin ne s'était jamais complu dans ces suppositions. Il n'en savait pas encore assez. Il voulait se contenter d'une identité bien sectionnée en morceaux de longueurs diverses, mais de caractère toujours semblable, sans la teinter des couleurs de l'automne, la laver dans les giboulées de mars ou la marbrer de l'inconstance des nuages.

Raymond Queneau, Le dimanche de la vie (1952)

Sur le même sujet (central), et convoquant Goerges Perec et Hermann Hesse, lire aussi :

3 commentaires:

  1. mais pourquoi diable ce post n'est-il pas tagué?

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  2. et pourquoi diable son titre s'écrit comme "du charme ou de l'horreur, de la grâce ou de l'abjection" dans l'adresse, alors qu'il s'affiche comme "les mouvements convulsifs de ce qui va être et de ce qui a été"?

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  3. C'est parce que le widget "commentaires récents" qui se base sur le titre d'origine de l'article (qu'il m'arrive de modifier)

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