jeudi 12 avril 2012

Comme il y a des êtres plus heureux que d’autres!

(english original version below)

Comme il y a des êtres plus heureux que d’autres ! Je passe dans Athènes pour être aussi belle qu’elle. Mais à quoi bon ? Démétrius n’est pas de cet avis. Il ne veut pas voir ce que voient tous, excepté lui. Nous nous égarons, lui, en s’affolant des yeux d’Hermia, moi, en m’éprenant de lui. À des êtres vulgaires et vils, qui ne comptent même pas, l’amour peut prêter la noblesse et la grâce. L’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’imagination ; aussi représente-t-on aveugle le Cupidon ailé. L’amour en son imagination n’a pas le goût du jugement. Des ailes et pas d’yeux : voilà l’emblème de sa vivacité étourdie. Et l’on dit que l’amour est un enfant, parce qu’il est si souvent trompé dans son choix. Comme les petits espiègles qui en riant manquent à leur parole, l’enfant Amour se parjure en tous lieux. Car, avant que Démétrius remarquât les yeux d’Hermia, il jurait qu’il était à moi : c’était une grêle de serments, mais, aux premières ardeurs qu’Hermia lui a fait sentir, cette grêle s’est dissoute et tous les serments se sont fondus… Je vais lui révéler la fuite de la belle Hermia. Alors il ira, demain soir, dans le bois la poursuivre ; et, si pour cet avertissement j’obtiens de lui un remerciement, je serai richement récompensée. Aussi bien j’espère, pour payer ma peine, aller là-bas, et en revenir dans sa compagnie.

William Shakespeare, Le songe d'une nuit d'été (1600)




How happy some o'er other some can be!
Through Athens I am thought as fair as she.
But what of that? Demetrius thinks not so;
He will not know what all but he do know:
And as he errs, doting on Hermia's eyes,
So I, admiring of his qualities:
Things base and vile, folding no quantity,
Love can transpose to form and dignity:
Love looks not with the eyes, but with the mind;
And therefore is wing'd Cupid painted blind:
Nor hath Love's mind of any judgement taste;
Wings and no eyes figure unheedy haste:
And therefore is Love said to be a child,
Because in choice he is so oft beguiled.
As waggish boys in game themselves forswear,
So the boy Love is perjured every where:
For ere Demetrius look'd on Hermia's eyne,
He hail'd down oaths that he was only mine;
And when this hail some heat from Hermia felt,
So he dissolved, and showers of oaths did melt.
I will go tell him of fair Hermia's flight:
Then to the wood will he to-morrow night
Pursue her; and for this intelligence
If I have thanks, it is a dear expense:
But herein mean I to enrich my pain,
To have his sight thither and back again

Un extrait du Songe d'une nuit d'été, tel que je l'ai vu le 30 mars dernier au théâtre de Choisy-le-Roi. Si je suis allé aussi loin, c'est parce qu'il s'agissait de la version de la Compagnie de l'Unijambiste, celle-là même qui avait monté des versions marquantes de Richard III, et de Hamlet.
Cette fois, la bande originale est signée Robert le Magnifique (ex-Abstrakt Keal Agram), Thomas Poli (ex-Montgomery, et actuellement sur scène aux côtés de Dominique A) et Laetitia Sheriff.
C'est leur musique qui fait d'ailleurs de la tirade ci-dessus un des moments les plus intenses de la pièce.

Un spectacle hautement recommandable, donc, tant pour le texte en lui-même que pour la mise en scène.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire