vendredi 29 août 2025
Portrait d'un artiste
lundi 25 août 2025
Cover girl
Vous connaissez peut-être cette photo. Il s'agit d'un des portraits du recueil de photograpies "In the American West" (1985) de Richard Avedon, celui retenu pour illustrer sa couverture. La fondation Henri-Cartier Bresson en célèbre aujourd'hui les 40 ans, via une exposition figurant tous les portraits. Beaucoup d'entre eux sont saisissants.
Parmi les écrits exposés, cette lettre du sujet (Sandra Bennett) au photographe, après avoir découvert le résultat.
Cher Richard Avedon,
J'ai eu une sacrée surprise il y a quelques semaines et je ne m'en suis toujours pas remise. Mais je pense que je peux me détendre un peu maintenant. Je n'arrivais pas à croire à cette photo, ça a été un vrai choc. Je n'ai pas compris ce que vous vouliez dire quand vous avez dit que j'étais une « cover girl » dans votre lettre et puis j'ai reçu le livre. Ça a été un vrai choc ! J'adore votre livre. Je pense que ça va être un succès.
Il s'est passé beaucoup de choses pour moi ces cinq dernières années. Je suis maintenant en dernière année de lycée et j'ai 18 ans. J'ai aussi beaucoup changé physiquement. Mais j'ai toujours mes taches de rousseur (elles ne partiront pas). Si vous avez vu le Denver Post, vous savez de quoi je parle. J'ai été vraiment surprise quand Dave m'a appelée pour me demander une interview. C'était génial. Merci de l'intérêt que vous me portez. Pour tout vous dire, ça m'a fait du bien. Merci aussi d'avoir apprécié ma photo au point de la mettre sur votre couverture. Je n'aurais jamais imaginé que cette journée à la foire serait à l'origine de tant de joie.
J'aimerais vous dire que je suis très heureuse dans ma vie. Je travaille très dur à l'école. Ma moyenne est de 3,89 et j'espère arriver à 3,9 ce semestre. Je travaille pour obtenir une bourse d'études à Fort Collins (CSU). Je compte me spécialiser en comptabilité. C'est barbant mais si on est bon, on peut gagner beaucoup d'argent. Je suis aussi déléguée adjointe de ma classe et membre de la Société Honorifique. La plus grande nouvelle de la journée est que vendredi (le 9/09), j'ai été couronnée reine du bal de mon lycée. J'étais trop contente !
Et puis l'article du Denver Post est sorti et j'étais encore plus excitée. C'est génial! Quoi d'autre ? Oh, j'ai aussi un petit ami. Il est en deuxième année à la fac, il travaille dans un golf et il est très gentil.
Je vous joins une photo de moi pour que vous soyez à jour. Dave ma dit que vous alliez à Rome le mois prochain pour tourner une pub pour Chanel n° 5. J'espère que votre voyage sera agréable.
Je vous remercie encore une fois pour votre incroyable enthousiasme. J'espère que votre livre aura du succès. Prenez soin de vous.
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Lettre de Sandra Bennett à Richard Avedon, vers 1985.
#Funfact : nous avons déjà parlé sur ce blog conjointement de Richard Avedon, Sandra Bennett et Sonic Youth (à propos de l'album Sister)
jeudi 14 août 2025
Un jour, tout ceci disparaît
Bien avant l'invention de FaceApp, je me souviens d'avoir entendu quelqu'un dire que tout le monde, dans sa jeunesse - disons vers la fin du lycée -, devrait être confronté à des images le montrant dans dix, vingt ou cinquante ans. Ainsi, avait ajouté cette personne, au moins serait-on préparé. Car la plupart des gens sont dans le déni au sujet du vieillissement, tout comme ils le sont au sujet de la mort. Ils ont beau le voir à l'œuvre autour d'eux, avoir des parents et des grands-parents parfois juste sous leur nez, ils ne l'intègrent pas, ils ne croient pas vraiment que cela leur arrivera aussi. Cela arrive aux autres, à tous les autres, mais pas à eux.
Pour ma part, j'ai toujours perçu cette inconscience comme une bénédiction. Une jeunesse lestée à l'avance du lot de tristesse et de douleur du vieillissement, je n'appellerais pas cela une jeunesse, en aucun cas.
[...]
Une femme âgée et autrefois superbe que je connais avançait cette réflexion sur le sujet : Dans notre culture, ce dont vous avez l'air est une part tellement importante de qui vous êtes et de comment les gens vous traitent. En particulier si vous êtes une femme. Au point que, si vous êtes belle, si vous êtes une belle femme ou une belle fille, vous vous habituez à un certain niveau d'attention de la part des autres. Vous vous habituez à l'admiration pas seulement de la part de votre entourage, mais de la part d'inconnus, de la part de presque tout le monde. Vous vous habituez aux compliments, à ce que les gens recherchent votre compagnie, veuillent vous faire des cadeaux, vous rendre des services. Vous vous habituez à susciter l'amour. Si vous êtes vraiment belle, et que vous n'êtes ni malade mentale, ni effroyablement prétentieuse, ni une abrutie finie, vous vous habituez tellement au succès, à l'amour, à l'admiration que vous finissez par penser que cela va de soi, vous ne vous rendez même plus compte que vous êtes privilégiée. Puis un jour, tout ceci disparaît. En réalité, cela se produit graduellement. Vous commencez à remarquer certaines choses. Les têtes ne se retournent plus sur votre passage, les gens que vous rencontrez ne se souviennent plus systématiquement de votre visage. Et cela devient votre nouvelle vie, votre étrange nouvelle vie: celle d'une personne ordinaire, indésirable, dotée d'un visage commun et parfaitement oubliable.
J'y songe parfois, dit la femme autrefois superbe, lorsque j'entends de jeunes femmes se plaindre du fait que, où qu'elles aillent, elles se font reluquer ou siffler par des types — toute cette attention grossière et malvenue. Et je comprends, dit-elle, car j'ai ressenti la même chose autrefois. Mais qu'on me présente celle de ces filles qui, dans quelques années s'écriera, Alléluia, enfin, je suis tellement heureuse que cela ne m'arrive plus jamais ! [...]
Je me souviens qu'[elle] avait ajouté : Passé un certain âge, c'était comme un mauvais rêve — l'un de ces cauchemars où, sans que vous sachiez pourquoi, plus personne dans votre entourage ne vous reconnaît. Les gens ne venaient plus vers moi, ne cherchaient plus à se lier d'amitié avec moi comme ils l'avaient toujours fait auparavant. Je n'avais jamais été obligée de me donner le moindre mal pour que les gens m'aiment et m'admirent. Soudainement j'étais timide, maladroite en société. Pire, je commençais à être paranoïaque. M'étais-je transformée, étais-je devenue l'un de ces êtres pathétiques, qui veulent à tout prix être aimés alors que chacun sait que ce sont précisément ces gens-là que personne n'aime jamais ?
[...] En réalité j'ai souvent le sentiment d'être morte, dit la femme autrefois superbe. Je suis morte depuis toutes ces années et je suis devenue le fantôme de moi-même. Je porte le deuil de cet être perdu depuis, et rien, pas même l'amour que j'ai pour mes enfants et mes petits-enfants, ne peut m'en consoler.
Sigrid Nunez, Quel est donc ton tourment ? (2020)

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