dimanche 30 novembre 2014

Des bouts de ciel se défont

Me voici à nouveau sur ce blog à parler de tout et de Rien. Il faut dire que le dernier concert (parisien) du groupe grenoblois était grandiose, avec une version (allongée?) de Masterkraft des plus intenses, et surtout, le morceau que je réclamais depuis des années, Stare Mesto, qui plus est dans sa version chantée, puisque Jull était présent ce soir-là, déclamant ce texte, véritable poème surréaliste (au sens propre du terme). Fin de cette longue phrase.


Je revois des visages comme dans un rêve...
Tous ancrés dans le même espace-temps
Ca se passe dans une ville que j'ignore
Une ville grise avec un port
C'est tout ce dont je me souviens
Et les gens je me rappelle bien
Et toutes les versions corroborent
D'abord il y a une jeune fille
Elle est assise sur la grève
De l'autre côté du rivage
Elle porte un feutre
Et sa bouche est comme un nuage
Elle fait chanter ses bracelets
A un petit bout d'homme sans visage
Le petit homme a l'air content
Il a un œil comme un cheval
La crinière qui penche en avant
Et comme s'il était d'un autre âge
Il traîne dans ses mouvements
Il est tard
Et la ville se change en étoile
Un peu plus loin trois enfants jouent
L'un d'eux peine à tenir debout
Au large un bateau fait escale
Il y a des lumières sur le pont
Un trait rouge un peu dans le fond
Et deux jaunes qui forment un signal
Tout à coup un homme se dévoile
Et d'une main la fille lui répond
Il y a un commencement d'orage
Et des bouts de ciel se défont

La jeune fille a quitté la plage
Et elle nage dans sa direction
Le petit bout d'homme sur la grève
Trace un cercle avec un bâton
Il dessine avec précision
L'homme, les enfants, la barge
Quelques bouts de ciel dans le fond
Et la fille qui dans son sillage
Change l'eau en chape de plomb...

Rien, Stare Mesto
Requiem pour des Baroqueux (l'amicale underground, 2003)
www.amicale-underground.org
https://rien.bandcamp.com/

Pour vous faire une idée de ce grand moment, cette vidéo, tournée Vendredi à la Maroquinerie :

mardi 25 novembre 2014

Rien ne sera bientôt plus

Comme chacun de vous, j'ai appris il y a peu que David Lynch et Marc Frost réactiveraient prochainement la série Twin Peaks, écriraient et produiraient 9 nouveaux épisodes, pour une diffusion courant 2016.

Ce que j'ignorais, c'est que le timing ne devait rien au hasard.
Twin Peaks, dernier épisode, Between Life and Death (1991) :



1991 + 25 = 2016 (donc)


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Si 2016 sera l'année d'une renaissance, 2014 pourrait bien être celle d'un fin annoncée.
La fin de Rien. Extrait de la newsletter envoyée dimanche dernier.

La plaisanterie n'a pas assez duré, elle a duré ce qu'il fallait. Il devait être minuit et demi dans ce squat grenoblois, le premier décembre 1999, t'en souvient-il ? Vous portiez des bonnets péruviens pour jouer un rock languide sur fond de chants de baleines. Vous êtes sortis de scène sous une timide salve d'applaudissements. Tu t'es retourné vers moi et tu m'as dit «ceci durera quinze ans ».

Le premier décembre 2014. La promesse sera tenue.

Rien ne sera bientôt plus. Juste le temps de sortir un dernier disque, d'honorer une dernière tournée, de terminer le boulot correctement par respect des mêmes principes qui nous poussent à suicider l'aventure à tout jamais. Si dans vingt ans, Thom Yorke se déplace en personne de son aéronef planant au-dessus de l'Ardèche pour nous demander un concert exceptionnel, on lui crachera à la gueule. Qui est-il pour mettre en doute la parole donnée ? Certaines personnes se croient tout permis.

Vendredi, je verrai en effet mon douzième et dernier concert du groupe grenoblois RIEN. D'ici peu, mon t-shirt RIEN (1999-2014) acheté en 2006 aura perdu de son impact. Au final, 
"Requiem pour des baroqueux", "Il ne peut y avoir de prédiction sans avenir", "3", "2", et bientôt "1" [pré-écoute] constitueront donc leur discographie complète.


"Ci-gît Rien, et rien d'autre"


Qu'allons nous devenir lorsque nous n'aurons plus Rien ?




Centenaire+ Aquaserge + Rien, en concert Vendredi 28 novembre
@ Maroquinerie, (soirée Gonzaï)

RIEN, 1 (L’Amicale underground, 2014)

mercredi 19 novembre 2014

Tout ce qu'on s'est dit cette nuit

"L'Eclipse" s'ouvre par un silence pesant, qu'une jeune femme et son fiancé peinent à rompre.


- Alors, Ricardo?
- Qu'y a-t-il?
- Il y a tout ce qu'on s'est dit cette nuit...


Si dialogue il y a eu, il s'est tenu en dehors du film. Devant nos yeux, et que ce soit avec Ricardo ou Piero (Alain Delon), beaucoup de questions ne recevront pour réponse que le silence, ou un "je ne sais pas" bien peu satisfaisant.

Pourquoi on pose tant de questions? A-t-on besoin de se connaître pour s'aimer? Et a-t-on besoin de s'aimer ?

De l'Eclipse, les cinéphiles retiennent surtout le formalisme du final (/!\ Spoiler /!\). Le contraste avec les paroles qui le précèdent est saisissant. Vittoria et Piero se quittent sur des mots et des gestes pleins de promesses :


- On se voit demain ?
- [Vittoria acquiesce]
- On se voit demain, et après-demain.
- Et le jour suivant, et l'autre encore.
- Et celui d'après.
- Et ce soir.
- A huit heures. Même endroit.

Suit une séquence mémorable dépassant les 7 minutes, montrant la ville sous différents angles. A mesure que le jour décline, la bande-son se fait plus inquiétante. Le lieu de rendez-vous reste quant à lui vide, désespérément vide. 


L'éclipseMichael Antonioni (1962)

dimanche 16 novembre 2014

Ça commencera comme ça, par une indiscipline

Dans une chronique intitulée "Chère Fleur Pellerin" (Libération du 14/11), Christine Angot s'adresse à la Ministre de la Culture, qui avait concédé il y a peu "n'[avoir] pas du tout le temps de lire depuis deux ans." Elle y cite de larges passages d'une interview de Marguerite Duras datant de 1985

La prose est belle, Marguerite Duras conjugue sa vision de l'Homme au futur, avec un phrasé me rappelant les affirmations poétiques d'Alexandre dans "La Maman et la Putain"

Je retranscris ici ses propos dans leur intégralité. L'auteure répondait à l'interrogation suivante : "Les hommes ont toujours eu besoin de réponses, même si un jour elles s'avèrent fausses ou seulement provisoires. Alors en l'an 2000, où seront les réponses ?"

"Il n'y aura plus que ça, la demande sera telle qu'il n'y aura plus que des réponses, tous les textes seront des réponses en somme. Je crois que l'homme sera littéralement noyé dans l'information, dans une information constante. Sur son corps, sur son devenir corporel, sur sa santé, sur sa vie familiale, sur son salaire, sur son loisir. C'est pas loin du cauchemar.

Il n'y aura plus personne pour lire. Ils verront de la télévision, on aura des postes partout, dans la cuisine, dans les water closets, dans les bureaux, dans les rues... Où sera-t-on ? Tandis qu'on regarde la télévision où est-on ? On n'est pas seul. On ne voyagera plus, ce ne sera plus la peine de voyager. Quand on peut faire le tour du monde en huit jours ou quinze jours, pourquoi le faire ? Dans le voyage il y a le temps du voyage. C'est pas voir vite, c'est voir et vivre en même temps. Vivre du voyage, ça ne sera plus possible. Tout sera bouché. Tout sera investi.

Il restera la mer quand même. Les océans. Et puis la lecture. Les gens vont redécouvrir ça. Un homme un jour lira. Tout recommencera. On repassera par la gratuité. C'est à dire que les réponses à ce moment-là, elles seront moins écoutées. Ça commencera comme ça, par une indiscipline, un risque pris par l'homme envers lui-même. Un jour il sera seul de nouveau avec son malheur, et son bonheur, mais qui lui viendront de lui-même.

Peut-être que ceux qui se tireront de ce pas seront les héros de l'avenir, c'est très possible. Espérons qu'il y en aura encore.

Je me souviens avoir lu dans le livre d'un auteur allemand de l'entre-deux-guerres, je me souviens du titre, "Le dernier civil", de Ernst Glaeser, ça, j'avais lu ça, que lorsque la liberté aurait déserté le monde, il resterait toujours un homme pour en rêver.

Je crois... Je crois que c'est déjà commencé même."


vendredi 14 novembre 2014

Scary World Theory [Crossed Covers]

A l'occasion de l'absence TOTALE d'actualité de Lali Puna, petit récap en pochettes de la discographie de ce groupe allemand dans lequel jou(ai)ent Markus Acher [the Notwist] et Valerie Trebeljahr.



Lali PunaScary World Theory (2001), Tridecoder (Morr, 1999), Non-Com-Pop Rmx (2001), Our Inventions (2010), Faking the Books (Morr, 2004), Silver Light (2012).

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jeudi 13 novembre 2014

We put the Pop in Unpopular [Top Tape]


Dimanche 9 novembre... jour de diffusion de la première émission de Top Tape depuis... pfiou, très longtemps. Vous avez donc pu entendre sur Radio Campus Paris une mixtape conviant Malajube, Jacquemort, the Magic Numbers, Stuart Murdoch, Faded Paper Pictures, Spoon, Rural Alberta Advantage, Max Richter, O'Death, Bracken, Hood, Seoul et Darkside.

Emission, playlist complète, archives sur le site de la radio

L'excellente nouvelle de cette rentrée reste tout de même le retour de Bracken au travers ce mini-album à acheter au format numérique ou K7 ici. Y figure notamment le titre "We put the Pop into Unpular", un des meilleurs morceaux de l'année assurément 

Bracken, Exist / Resist (Baro Records, 2014)

vendredi 7 novembre 2014

Le FN n'est pas anticapitaliste

Puisque c'était le micro-débat politique du début de semaine (N. Sarkozy : "Madame Le Pen n'est pas à l'extrême droite, elle est à l'extrême gauche" ; M. Le Pen, quelques jours plus tôt déclarait que l’extrême gauche faisait « de bons constats » dans sa dénonciation de la mondialisation, sans aller «au bout de [sa] logique»), autant préciser certains point, comme le fait le Monde daté d'aujourd'hui.

Le FN n'est pas anticapitaliste. Marine Le Pen ne dénonce jamais le capitalisme, mais les dérives de ce dernier. Elle ne veut pas renverser le système, juste le fermer, y mettre des bornes. « Nous ne remettons pas en cause l'économie de marché, ni les bienfaits de la concurrence si elle est loyale », avait ainsi expliqué Mme Le Pen devant la presse lors de la présentation du programme économique du FN, le 9 avril 2011. C'est au capitalisme « sans frontière » qu'il s'agit de s'attaquer, formellement au nom de la « restauration de la souveraineté ».

Le concept de « mondialisation » revisité par le FN a ceci de commode qu'il permet de ne rien céder sur les fondamentaux. Là où la critique de gauche de la mondialisation s'attache à dénoncer un système économique et insiste sur la captation de richesses, le FN axe sur l'identité, en fustige les effets pour mieux réhabiliter les frontières et l'idée de nation-rempart. C'est-à-dire un entre-soi. C'est cela que Marine Le Pen définit comme « les limites » du raisonnement de l'extrême gauche : selon elle, dénoncer la mondialisation doit, ipso facto, aboutir au retour des frontières. Pour elle, critiquer la mondialisation tout en étant internationaliste est un non-sens.
La réappropriation de thèmes forgés dans la gauche alternative est donc au cœur de la stratégie du parti lepéniste. Lequel les repeint aux couleurs de l'enracinement, de l'identité et de la promotion des sociétés fermées, notions étrangères à l'extrême gauche.

Abel Mestre, Quand Marine le Pen braconne à gauche
dans Le Monde du Vendredi 7 Novembre

mercredi 5 novembre 2014

L'arrestation de Joseph K.

J'ai dans ces colonnes déjà beaucoup parlé de Kafka et de ce que je trouvais de remarquable dans son oeuvre. Je n'y reviens donc pas, afin de ne vous point lasser.

Court extrait ci-dessous de la première scène "Procès", celle de l'arrestation de Joseph K.


«  [...]l’affaire ne saurait avoir non plus beaucoup d’importance. Je le déduis du fait que je suis accusé sans pouvoir arriver à trouver la moindre faute qu’on puisse me reprocher. Mais, ce n’est encore que secondaire. La question essentielle est de savoir par qui je suis accusé ? Quelle est l’autorité qui dirige le procès ? Êtes-vous fonctionnaires ? Nul de vous ne porte d’uniforme, à moins qu’on ne veuille nommer uniforme ce vêtement – et il montrait celui de Franz – qui est plutôt un simple costume de voyage. Voilà les points que je vous demande d’éclaircir ; je suis persuadé qu’au bout de l’explication nous pourrons prendre l’un de l’autre le plus amical congé. »

Le brigadier reposa la boite d’allumettes sur la table.

« Vous faites, dit-il, une profonde erreur. Ces messieurs que voici et moi, nous ne jouons dans votre affaire qu’un rôle purement accessoire. Nous ne savons même presque rien d’elle. Nous porterions les uniformes les plus en règle que votre affaire n’en serait pas moins mauvaise d’un iota. Je ne puis pas dire, non plus, que vous soyez accusé, ou plutôt je ne sais pas si vous l’êtes. Vous êtes arrêté, c’est exact, je n’en sais pas davantage. Si les inspecteurs vous ont dit autre chose, ce n’était que du bavardage . Mais, bien que je ne réponde pas à vos questions, je puis tout de même vous conseiller de penser un peu moins à nous et de vous surveiller un peu plus. Et puis, ne faites pas tant d’histoires avec votre innocence, cela gâche l’impression plutôt bonne que vous produisez par ailleurs. Ayez aussi plus de retenue dans vos discours ; quand vous n’auriez dit que quelques mots, votre attitude aurait suffi à faire comprendre presque tout ce que vous venez d’expliquer et qui ne plaide d’ailleurs pas en votre faveur. »

Franz Kafka, Le procès (1925)
Orson Welles, Le procès (1962)