mercredi 5 février 2014

A language virus


Débat d'idées impromptu entre les détectives Rust Cohle et Martin Hart (dans la série True Detective), tandis qu'ils assistent à un prêche prononcé lors d'un rassemblement religieux.

: What do you think the average IQ of this group is?

M : Can you see Texas up there on your high horse? What do you know about these people?

R : Just observation and deduction. I see a propensity for obesity, poverty, a yen for fairy tales. Folks putting what bucks they do have into a wicker basket being passed around. Safe to say nobody here’s going to be splitting the atom, Marty.

M : See that? Your fuckin’ attitude. Not everybody wants to sit alone in an empty room and get off on murder manuals. Some folks enjoy community, common good.

R : If the common good’s got to make up fairy tales, it’s not good for anybody.

: Can you imagine if people didn’t believe, the things they would get up to?



R : The same things they do now, just out in the open.

M : Bullshit. It would be a fucking freak show of murder and debauchery, and you know it.

R : If the only thing keeping a person decent is the expectation of divine reward, then brother that person is a piece of shit. [...] What does it say about a life? You gotta get together and tell yourself stories that violate every law of the universe just to get through the goddamn day? What’s that say about your reality, Marty? Certain linguistic anthropologists think that religion is a language virus that rewrites pathways in the brain and dulls critical thinking.

M : I don’t use ten-dollar words as much as you, but for someone who sees no point in existence, you sure fret about it an awful lot.

*
*     *

Les arguments sont connus, mais l'échange est intéressant. C'est d'ailleurs un des points forts de la série que d'enrichir la narration de telles réflexions.

Je ne suis pas calé en "histoire des idées" donc je ne saurais ici retracer l'origine des arguments avancés. Je peux toutefois établir un lien avec Schopenhaueur (encore !) qui dans l'un de ses écrits annexes (les Parerga et Paralipomena) a mis en scène un débat fictif entre un religieux (Démophèle) et un philosophe (Philalèthe).

Dans ce qui suit, je m'attache à relever un parallélisme amusant (sans pour autant soutenir que les scénaristes ont construit le dialogue autour de ce texte, hein)

La scène décrite ci-dessus s'ouvre sur une remarque que le défenseur de la Religion trouve méprisante ("See that? Your fuckin’ attitude").
Idem du côté de Schopenhauer : pas d'intro, rien, directement, cette réplique :

D : Soit dit entre nous, mon cher et vieil ami, il me déplaît qu'à l'occasion tu manifestes ta compétence philoskophique par des sarcasmes, et même une raillerie ouverte à l'encontre de la religion. À chacun, sa foi religieuse est sacrée; il devrait en être par conséquent de même pour toi.

La réponse du philosophe ne se fait pas attendre. Elle renvoie à la notion de vérité, et il reprochera tout au long de l'entretien à Démophèle de la masquer sciemment (cf. plus haut : "fairy tales" ; "stories that violate every law of the universe").

P : Je nie la conséquence ! Je ne vois pas pourquoi je devrais, en raison de l'ingénuité d'autrui, respecter le mensonge et la tromperie. En tout lieu je respecte la vérité, mais non, pour cette raison précise, ce qui lui est contraire. Jamais sur terre ne brillera la vérité aussi longtemps que vous en entraverez d'une telle façon les inspirations.

Une fois qu'on en est là, Démophèle est forcé de nuancer en arguant  qu'il s'agit d'une vérité "sous une forme mythico-allégorique", et là, BIM, on passe à l'argument suivant, selon lequel sans religion, le monde ne serait qu'anarchie et barbarie (cf. plus haut : "Can you imagine if people didn’t believe, the things they would get up to?" ; "It would be a fucking freak show of murder and debauchery")

D: il s'agit tout d'abord d'enchaîner les esprits grossiers et mauvais de la foule afin de la tenir éloignée de l'injustice extrême, des cruautés, des actes violents et honteux. Maintenant, si l'on voulait attendre qu'elle ait reconnu et embrassé la vérité, on viendrait immanquablement trop tard. En effet, même en posant que la vérité vient d'être trouvée, celle-ci excèdera la faculté de compréhension de la foule. La seule chose qui lui convienne en tous les cas, c'est un habillement allégorique de cette vérité, une parabole, un mythe.

Exemples à l'appui (dont je vous dispense), Philalèthe rejette l'argument (tout comme Rust)

P : les fins pratiques et la nécessité de la religion au sens [...] généralement affectionné aujourd'hui, à savoir un fondement indispensable de tout ordre légal, je ne peux les reconnaître et je dois me défendre contre cette idée.

La suite, je vous laisse la découvrir dans le texte original (édité dans un recueil titré "Sur la religion"). Je ménage mon lectorat en m'abstenant de reproduire les tirades relatives à la fonction d'"apaisement et consolation dans la souffrance et la mort" de la religion, et à ses méthodes d'endoctrinement, telles que les analyse Schopenhauer. Rust Cohle s'en charge, et de manière plus consise :

The ontological fallacies of expecting a light at the end of the tunnel, well that is what the preacher sells, same as the shrink. See, the preacher he, encourages your capacity for illusion then he tells you, to a fucken virtue, one is about to be had doing that. It is such a desperate sense of entitlement, isn't it? 
"Surely this is all for me?"
"Me ? Me , me , I , I ..."
"I am so fucking important"

True Detective (S01E03)
Arthur Schopenhauer, Sur la religion (1851)

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