A la question du choix du livre que j'emmènerais sur une île déserte, il est probable que je choisirais aujourd'hui - depuis que je me suis familiarisé avec la discipline - un ouvrage de philosophie, je pense notamment à la Critique de la Raison Pure de Kant. Je possède un recueil de texte choisis (édité au PUF) dont chaque relecture (partielle) depuis le mois de juin dernier m'a apporté quelque chose.
La philo, c'est un peu comme le sport, avec de la pratique, il y a des déclics qui rendent accessibles ce qui semblait initialement hors d'atteinte. Bien sûr, par la suite, des notions concernant le jargon aident à se repérer... Je reste cependant un profane, que la chose soit entendue.
Du coup, l'avantage avec Kant, c'est qu'il était professeur de Philosophie et connaissait parfaitement les thèses de ceux qui l'ont précédé (rationalistes vs. empiristes), qu'il a déployé un système philosophique complet qui reprend tout à zéro, et enfin qu'il a vécu au XVIIIème siècle, càd dans des temps pas trop reculés.
Dans la "Critique", Kant traite de la Métaphysique en formant le projet d'adopter une démarche scientifique, afin d'aboutir à des conclusions indiscutables, mais aussi d'exclure de son champ tous les sujets à propos desquels il est vain de discourir. C'est ainsi qu'il replacera la théologie sur le terrain de la foi, puisque toute théologie rationnelle est vouée à l'échec (preuve à l'appui).
Back to Basics disais-je : parlons d'Espace et de Temps (et ouais).
Pour Kant, ces deux notions sont des formes a priori de toute intuition, çàd qu'elles précèdent toute expérience / perception. La suite de mon propos se concentre sur le temps.
Le temps n'est autre chose que la forme du sens interne, c'est-à-dire de l'intuition de nous-mêmes et de notre état intérieur. En effet, le temps ne peut pas être une détermination des phénomènes extérieurs, il n'appartient ni à une figure, ni à une position, etc. ; au contraire, il détermine le rapport des représentations dans notre état interne. Et, précisément parce que cette intuition intérieure ne fournit aucune figure, nous cherchons à suppléer à ce défaut par des analogies et nous représentons la suite du temps par une ligne qui se prolonge à l'infini et dont les diverses parties constituent une série qui n'a qu'une dimension, et nous concluons des propriétés de cette ligne à toutes les propriétés du temps, avec cette seule exception que les parties de la première sont simultanées, tandis que celles du second sont toujours successives. Il ressort clairement de là que la représentation du temps lui-même est une intuition, puisque tous ses rapports peuvent être exprimés par une intuition extérieure.
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une frise chronologique, telle que celles qui ornaient nos cahiers d'écolier |
Cette représentation linéaire du temps nous amène assez rapidement à nous poser des questions (relevant de la "cosmologie rationnelle") et notamment celle qui vous est sans doute familière, du genre "Bon sang de bois, est-ce que le monde a un commencement dans le temps, ou bien n'en a-t-il point, de telle sorte qu'il est infini? Toute chose a forcément un commencement... mais si c'est le cas, il y a bien eu un 'avant' ".
C'est là une des quatre célèbres antinomies de Kant. Le philosophe prouve d'ailleurs que les deux réponses (opposées) sont vraies. Et en déduit ce qui suit.
Si le monde est un tout existant en soi, il est fini ou infini. Or la première hypothèse - aussi bien que la seconde - est fausse (il suffit de se reporter aux preuves établies plus haut pour l'antithèse, d'une part, pour la thèse d'autre part). Il est donc aussi faux que le monde (l'ensemble de tous les phénomènes) soit un tout existant en soi. Car il suit de là que les phénomènes en général ne sont rien en dehors de nos représentations, et c'est précisément ce que nous voulions dire en parlant de leur idéalité transcendentale.
Cette remarque est importante. On voit par là que les preuves données plus haut des quatre antinomies n'étaient pas illusoires, mais bien fondées dans l'hypothèses où les phénomènes, ou le monde sensible qui les contient tous, seraient des choses en soi. Mais le conflit des propositions qui en résultent, révèle que cette hypothèse contient une fausseté et nous amène ainsi à découvrir la vraie constitution des choses en tant qu'objets des sens.
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C'est pas fou, ça?
Emmanuel Kant, Critique de la Raison Pure (1781/1787)
Genis Carreras, Philographics