mercredi 4 juin 2025

La laideur la plus exquise

Il est une classe de dirigeants qui ne goûtent guère les contre-pouvoirs et la critique. Une telle inclinaison peut facilement mener à désanctuariser l'Art et questionner les manifestations culturelles financées par les pouvoirs publics. Tout "travail de mémoire" peut tout à coup passer pour un acte antipatriote, qui saperait les "valeurs" d'un pays. Donald Trump ne signait-il pas récemment un décret présidentiel "Restoring truth and sanity to American history" pour encadrer l'activité d'un groupement du musées ?

Faisons maintenant l'exercice mental de pousser cette logique à son paroxysme... c'est-à-dire jusqu'à atteindre le point Godwin. Où cela nous conduit-il ? A parler d' "Art dégénéré", expression retenue par le régime Nazi dès 1937 pour désigner et rejeter un large pan de la création artistique d'alors. L'art - comme la "race" - serait menacé de perdre sa pureté.

Cette appellation intrigue.
Et davantage encore le fait que les Nazis ait consacré une exposition à cet art pour donner à voir sa bassesse!


Ironie de l'Histoire, l'exposition fut un succès. On ne peut bien sûr différencier les spectateurs venus dénigrer ces oeuvres saisies dans les musées allemands de ceux venus admirer Dix, Nolde, Kandinsky, Klee, Van Gogh, Chagall, Picasso... Signalons tout de même que dans le même temps, l'art officiel du régime, exposé à deux pas, accueillit moins de 500 000 visiteurs, ce qui eut pour effet d'irriter passablement Goebbels.

Ironie de l'Histoire encore, les oeuvres non détruites continuent aujourd'hui d'être exposées et admirées, parfois même au sein d'exposition reprenant ce même titre, comme en ce moment au Musée Picasso.

Replongeons-nous en juillet 1937, dans les mots du discours inaugural d'Adolf Ziegler, chargé d'écumer et expurger les collection des musées allemands

Nous voici dans une exposition qui ne rassemble qu'une fraction de ce qui a été acheté dans toute l'Allemagne par un grand nombre de musées avec les deniers économisés par le peuple allemand, et présenté comme art. Vous voyez autour de nous ces produits de la démence, de l'impudence, de l'incompétence et de la dégénérescence ("diese Ausgeburten des Wahnsinns, der Frechheit, des Nichtkönnertums und der Entartung"). Ce que propose cette exposition nous choque et nous dégoûte tous ("Erschütterung und Ekel"). 

[...]

Dans le cadre de ma mission consistant à rassembler tous les documents de la décadence et de la dégénérescence de l'art ("alle Dokumente des Kunstniederganges und der Kunstentartung"), j'ai visité presque tous les musées allemands. [...] J'ai été profondément étonné de constater que certains de ces documents d'art en décomposition apportés ici à Munich étaient jusqu'à il y a quelques jours encore exposés. Les produits présentés ici ne sont qu’une partie de ceux encore disponibles dans les institutions susmentionnées. Des trains entiers n’auraient pas suffi à débarrasser les musées allemands de ces déchets ("Schund"). Cela devra pourtant être fait aussitôt que possible. C'est un péché et une honte que les institutions soient remplies de ce genre de choses et que les artistes allemands locaux et respectables aient peu ou pas d’occasions d’exposer dans tels lieux.

Je peux vous épargner la peine de vous raconter ici quelles ont été mes impressions lorsque j'ai découvert ces œuvres. J'espère que ce sont les mêmes que vous aurez au cours de votre visite.

On ne peut être qu'horrifié lorsqu'on voit comment le soldat allemand est ici sali, souillé ("bespuckt und besudelt"), ou lorsque dans d'autres œuvres ces porcs figurent la mère allemande en une putain en chaleur ou une femme bestiale avec une expression d'imbécillité. En somme, on peut dire que tout ce qui est sacré pour l'allemand honnête devait nécessairement être trainé dans la boue. Le temps me manque, chers compatriotes, pour vous exposer tous les crimes que ces individus - agissant par ordre de la juiverie mondiale ont commis contre l'art allemand. Le plus bas, le plus sale, voilà quels étaient leurs critères de valeur ("Niedrigstes und Gemeinstes waren hohe Begriffe"). La laideur la plus exquise est devenue l’idéal de beauté.

[...] ces formes d'expression [...] étaient présentées comme une affaire de personnes soi-disant cultivées, auxquelles le commun des mortels ne comprenait rien. Et il était malheureusement de bon ton, à l'époque bourgeoise, pour un certain nombre de citoyens qui avaient trop d'argent en poche, d'acheter ce genre de choses pour être modernes.

Le peuple allemand verra ici, comme dans tous les domaines de la vie, qu'il peut faire confiance sans hésitation à l'homme qui est aujourd'hui son chef et qui connaît la voie sur laquelle l'art allemand doit s'engager s'il veut accomplir sa grande mission d'annonciateur de l'être et de la nature allemands. Je déclare ouverte l'exposition « L'Art Dégénéré ». Peuple allemand, viens et juge par toi-même. 

Texte intégral (version originale) :

Ce discours est partiellement retranscrit dans la BD de Luz "Deux filles nues" (fauve d'or 2025 à Angoulême) dont est extraite l'illustration de l'article.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire