jeudi 26 juin 2025

I have a broken dream

Though I have a broken heart
I'm too busy to be heartbroken
There's a lot of things that need to be done
Lord, I have a broken heart

Though I have a broken dream
I'm too busy to be dreaming of you
There's a lot of things that I gotta do
Lord, I have a broken dream

And I'm wasted all the time
I've gotta drink you right off of my mind
I've been told that this will heal, given time
Lord, I have a broken heart

And I'm crying all the time
I have to keep it covered up with a smile
And I'll keep on moving on for a while
Lord, I have a broken heart

Spiritualized - Broken heart
Ladies and Gentlemen We Are Floating in Space (1997)
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Depuis quelques mois (années?), lors de mes séances d'écoutes musicales non dédiées à la découverte de nouveautés, je suis davantage à la recherche d' "intensité", qu'un morceau me fasse vibrer soniquement (#postrock #posthardcore) ou émotionnellement. Dans cette recherche de dopamine, mon cerveau m'a récemment suggéré ce morceau de Spiritualized... Candidat (commet cet autre) au titre de "plus belle chanson du monde"

vendredi 13 juin 2025

Insoutenable liberté

Poursuivons l'énumération précédemment entamée des plaies d'Egypte de notre monde . Notez que je vous épargne l'annonce prophétique (puisque pré-COVID) de "l'inévitable prochaine pandémie de grippe, pour laquelle nous n'étions, tout aussi inévitablement, pas préparés". Venons-en aux GAFAM et à l'usage de nos données. Je ne prétends bien sûr pas vous éveiller au sujet (ne serait-ce que parce qu'il en était déjà question dans ces colonnes en 2015), mais simplement vous soumettre une manière juste, percutante (et douloureuse) de voir les choses

Et qui pourrait croire qu'une telle concentration de pouvoir entre les mains d'une poignée d'entreprises de hautes technologies — sans parler du système de surveillance massive sur lequel leur domination et leurs profits reposaient — puisse servir les intérêts de l'avenir de l'humanité  Qui pourrait sérieusement douter que les outils de ces entreprises puissent un jour devenir autre chose que les moyens les plus.incroyablement efficaces de servir les fins les plus impitoyables ? Et pourtant nous sommes si désarmés face à nos dieux et maîtres technologiques, poursuivit l'homme. Voilà une bonne question, dit-il : Combien de nouveaux opioïdes la Silicon Valley arrivera-t-elle encore à inventer avant que tout soit fini ? À quoi ressemblera l'existence lorsque le système aura réussi à priver les individus de la possibilité de s'opposer à l'idée d'être suivi en permanence, réprimandé et bousculé comme un animal en cage ? Une fois encore, comment un peuple supposément amoureux de la liberté a-t-il pu permettre une chose pareille ? Pourquoi les gens ne se sont-ils pas révoltés contre l'idée même d'un capitalisme de la surveillance ? Soulevés d'effroi face au Big Tech ? Un alien étudiant notre effondrement pourrait bien en arriver à cette conclusion: la liberté était insoutenable pour eux. Ils se préféraient en esclaves.

Sigrid Nunez, Quel est donc ton tourment ? (2020)

mercredi 11 juin 2025

Cela dépasse l'entendement

Avant de développer son intrigue, "Quel est donc ton tourment ?", le roman de Sigrid Nunez, débute par le récit d'un long exposé auquel l'autrice assiste. L'analyse est brillante, implacable, je ne peux ici l'ignorer.

C'est fini, répéta-t-il. Il ne restait plus rien de la foi et de la consolation qui avaient nourri des générations et des générations, cette conviction que, bien que notre séjour individuel sur Terre doive un jour se terminer, ce que nous aimions, ce qui comptait pour nous continuerait après nous, le monde auquel nous avions appartenu nous survivrait — cette époque était révolue, dit-il. Notre monde et notre civilisation ne survivraient pas. Il nous faudrait vivre et mourir en en étant conscients. Notre monde et notre civilisation ne survivraient pas, expliqua l'homme, car ils ne pourraient résister aux forces que nous avions nous-mêmes déployées pour les attaquer. Nous étions notre propre pire ennemi, nous nous étions positionnés en cibles faciles, permettant non seulement la création d'armes capables de nous tuer de mille manières imaginables mais aussi que ces armes atterrissent entre les mains d'égopathes, nihilistes, dépourvus de toute empathie, de toute conscience. Entre notre incapacité à contrôler la diffusion des armes de destruction massive et notre incapacité à éloigner du pouvoir ceux pour qui leur utilisation non seulement était envisageable mais représentait peut-être une tentation irrésistible, la perspective d'une guerre apocalyptique devenait hautement probable... 

[...] Mais imaginons qu'il n'y ait pas de menace nucléaire, poursuivit l'homme. Imaginons que, par quelque miracle, tout l'arsenal nucléaire mondial ait été pulvérisé pendant la nuit. Ne serions-nous pas confrontés aux périls engendrés par des générations d'hommes stupides, sans vision aucune et capables de se mentir à eux-mêmes... ? Les industriels des énergies fossiles, dit l'homme. Combien sont-ils, combien sommes-nous ? Cela dépasse l'entendement que nous, peuple libre, citoyens d'une démocratie, nous n'ayons pas su les arrêter, nous n'ayons pas su nous dresser contre ces hommes et leurs complices politiques, tout entiers dévoués à la négation du changement climatique. Et dire que ces mêmes personnes ont déjà dégagé des profits en milliards, faisant d'eux les hommes les plus riches ayant jamais existé... Et puisque la nation la plus puissante du monde a pris leur parti et s'est engagée en première ligne du déni, quel genre d'espoir reste-t-il à la planète Terre ? Il est absurde d'espérer que les foules de réfugiés fuyant le manque de nourriture et d'eau potable causé par le désastre écologique puissent trouver de la compassion là où leur désespoir les a conduits. Au contraire, nous allons assister bientôt au déploiement de l'inhumanité de l'homme envers l'homme à une échelle jamais vue auparavant. 

Sigrid Nunez, Quel est donc ton tourment ? (2020)

mercredi 4 juin 2025

La laideur la plus exquise

Il est une classe de dirigeants qui ne goûtent guère les contre-pouvoirs et la critique. Une telle inclinaison peut facilement mener à désanctuariser l'Art et questionner les manifestations culturelles financées par les pouvoirs publics. Tout "travail de mémoire" peut tout à coup passer pour un acte antipatriote, qui saperait les "valeurs" d'un pays. Donald Trump ne signait-il pas récemment un décret présidentiel "Restoring truth and sanity to American history" pour encadrer l'activité d'un groupement du musées ?

Faisons maintenant l'exercice mental de pousser cette logique à son paroxysme... c'est-à-dire jusqu'à atteindre le point Godwin. Où cela nous conduit-il ? A parler d' "Art dégénéré", expression retenue par le régime Nazi dès 1937 pour désigner et rejeter un large pan de la création artistique d'alors. L'art - comme la "race" - serait menacé de perdre sa pureté.

Cette appellation intrigue.
Et davantage encore le fait que les Nazis ait consacré une exposition à cet art pour donner à voir sa bassesse!


Ironie de l'Histoire, l'exposition fut un succès. On ne peut bien sûr différencier les spectateurs venus dénigrer ces oeuvres saisies dans les musées allemands de ceux venus admirer Dix, Nolde, Kandinsky, Klee, Van Gogh, Chagall, Picasso... Signalons tout de même que dans le même temps, l'art officiel du régime, exposé à deux pas, accueillit moins de 500 000 visiteurs, ce qui eut pour effet d'irriter passablement Goebbels.

Ironie de l'Histoire encore, les oeuvres non détruites continuent aujourd'hui d'être exposées et admirées, parfois même au sein d'exposition reprenant ce même titre, comme en ce moment au Musée Picasso.

Replongeons-nous en juillet 1937, dans les mots du discours inaugural d'Adolf Ziegler, chargé d'écumer et expurger les collection des musées allemands

Nous voici dans une exposition qui ne rassemble qu'une fraction de ce qui a été acheté dans toute l'Allemagne par un grand nombre de musées avec les deniers économisés par le peuple allemand, et présenté comme art. Vous voyez autour de nous ces produits de la démence, de l'impudence, de l'incompétence et de la dégénérescence ("diese Ausgeburten des Wahnsinns, der Frechheit, des Nichtkönnertums und der Entartung"). Ce que propose cette exposition nous choque et nous dégoûte tous ("Erschütterung und Ekel"). 

[...]

Dans le cadre de ma mission consistant à rassembler tous les documents de la décadence et de la dégénérescence de l'art ("alle Dokumente des Kunstniederganges und der Kunstentartung"), j'ai visité presque tous les musées allemands. [...] J'ai été profondément étonné de constater que certains de ces documents d'art en décomposition apportés ici à Munich étaient jusqu'à il y a quelques jours encore exposés. Les produits présentés ici ne sont qu’une partie de ceux encore disponibles dans les institutions susmentionnées. Des trains entiers n’auraient pas suffi à débarrasser les musées allemands de ces déchets ("Schund"). Cela devra pourtant être fait aussitôt que possible. C'est un péché et une honte que les institutions soient remplies de ce genre de choses et que les artistes allemands locaux et respectables aient peu ou pas d’occasions d’exposer dans tels lieux.

Je peux vous épargner la peine de vous raconter ici quelles ont été mes impressions lorsque j'ai découvert ces œuvres. J'espère que ce sont les mêmes que vous aurez au cours de votre visite.

On ne peut être qu'horrifié lorsqu'on voit comment le soldat allemand est ici sali, souillé ("bespuckt und besudelt"), ou lorsque dans d'autres œuvres ces porcs figurent la mère allemande en une putain en chaleur ou une femme bestiale avec une expression d'imbécillité. En somme, on peut dire que tout ce qui est sacré pour l'allemand honnête devait nécessairement être trainé dans la boue. Le temps me manque, chers compatriotes, pour vous exposer tous les crimes que ces individus - agissant par ordre de la juiverie mondiale ont commis contre l'art allemand. Le plus bas, le plus sale, voilà quels étaient leurs critères de valeur ("Niedrigstes und Gemeinstes waren hohe Begriffe"). La laideur la plus exquise est devenue l’idéal de beauté.

[...] ces formes d'expression [...] étaient présentées comme une affaire de personnes soi-disant cultivées, auxquelles le commun des mortels ne comprenait rien. Et il était malheureusement de bon ton, à l'époque bourgeoise, pour un certain nombre de citoyens qui avaient trop d'argent en poche, d'acheter ce genre de choses pour être modernes.

Le peuple allemand verra ici, comme dans tous les domaines de la vie, qu'il peut faire confiance sans hésitation à l'homme qui est aujourd'hui son chef et qui connaît la voie sur laquelle l'art allemand doit s'engager s'il veut accomplir sa grande mission d'annonciateur de l'être et de la nature allemands. Je déclare ouverte l'exposition « L'Art Dégénéré ». Peuple allemand, viens et juge par toi-même. 

Texte intégral (version originale) :

Ce discours est partiellement retranscrit dans la BD de Luz "Deux filles nues" (fauve d'or 2025 à Angoulême) dont est extraite l'illustration de l'article.