samedi 25 mai 2024

Tier List "Tocotronic"


C'est justement parce qu'il ne s'agit pas de mon groupe germanophone préféré (qui reste Kante) et que leur discographie est conséquente que j'ai décidé de consacrer cette nouvelle "tier list" à Tocotronic, représentant émérite de la Hamburger Schule. J'ai néanmoins un attachement particulier à ce groupe fondé en 1993, à sa longévité, à son parcours qui a débuté par de l'indie rock immédiat pour se muter en une pop-rock qui aura vite gagné en classe et épaisseur. Le tout avec des textes toujours bien vus (qui abordent d'ailleurs souvent le sujet de la solitude)

Pour vous accompagner dans la découverte de ce groupe, voici mon classement de leurs albums... ainsi que des playlists Spotify et Deezer.




TOCOTRONIC
-
MÉMORABLES
Kapitulation (2007)


REMARQUABLES
Pure Vernunft darf niemals siegen (2005)
K.O.O.K. (1999) [!]
Es ist egal, aber (1997)


AGRÉABLES
 Digital ist besser (1995)
Nach der verlorenen Zeit (1995)
Wir kommen um uns zu beschweren (1996)


DISPENSABLES
Die Unendlichkeit (2018)
Tocotronic (2002)
Nie wieder Krieg (2022)
Das rote Album (2015)
Wie wir leben wollen (2013)
Schall und Wahn (2010)


(*) Parmi mes disques favoris, tout groupe / artiste confondu
(**) très bons albums
(***) bons albums
(****) moins réussis / plus inégaux
[!] album par lequel j'ai connu

mercredi 15 mai 2024

C'est comme une honte qui croît

Soudain, j'eus honte. Pas d'avoir fichu la pagaille, mais d'être vieille. "C'est comme une honte qui croît" avait écrit Louis Aragon dans ce poème [...]

Sophie Fontanel, Admirable (2023)

Ce poème, le voici :


Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
Ô mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
À l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger.

Louis Aragon, J'arrive où je suis étranger (1944)


La narratrice du roman de Fontanel poursuit :

La mélancolie de ces mots décrivant le grand âge, leur lucidité... Je les compris, tous ces gens, d'être tombés dans le piège. Leur peau qui semblait du liège, du polystyrène expansé... Durant quelques secondes, tout refaire me parut mieux que mon lent naufrage. Devrais-je encore me montrer ? Qui a raison, qui a tort ? Chacun tricote le fil du temps comme il le peut. Certains se détendent, d'autres se font repriser. C'est raté, et l'on pense avec naïveté qu'ils ne s'en rendent pas compte. Qu'ils ne se voient pas comme ils sont. Mais sans doute, ce n'est pas ça. Pour eux, l'important est de ne jamais subir la vieillesse qu'on connaît, qu'ils ont là partout sous les yeux, et qui les terrorise. Alors ils inventent autre chose, une autre façon de vieillir... J'arrive où je suis étranger. Au moins, les voici sortis de la pente dont on ne connaît que trop bien l'issue. Mais la pente, qu'on la prenne par les côtés ou qu'on s'y laisse glisser, mène toujours au même plat, à la fin.

lundi 13 mai 2024

Some fuckin' derd niffer


Steve Albini est sans doute le premier producteur ingénieur du son dont j'ai entendu parler lorsque j'ai commencé à écouter du rock. Son nom m'aura accompagné jusqu'à aujourd'hui dans les notes et crédits de nombreux albums appréciés. Il est décédé Mercredi 8 mai à 61 ans d'une crise cardiaque survenue alors qu'il était dans son studio d'enregistrement Electrical Audio (Chicago, Illinois). J'ai eu la chance de le voir sur scène en 2016 avec son groupe Shellac.

Sélection personnelle parmi tous albums sur lesquels il a travaillé :

Slint – Tweez [credited as "some fuckin' derd niffer"] (1987)
Pixies – Surfer Rosa (1988)
the Breeders – Pod (1990)
Boss Hog – Cold Hands (1990)
the Wedding Present – Seamonsters (1991)
Jon Spencer Blues Explosion – s/t (1992)
Fugazi – In on the Kill Taker [unofficial recording only, band chose to go with different producers for official release] (1992)
PJ Harvey – Rid of Me (1993)
Nirvana – In Utero (1993)
Slint – untitled (1994)
Gastr del Sol – Mirror Repair EP (1995)
Palace Music – Viva Last Blues (1995)
The Auteurs – After Murder Park (1996)
Palace Music – Arise Therefore (1996)
Smog – Kicking a Couple Around EP (1996)
Les Thugs – Strike (1996)
Low – Transmission EP (1996)
Guided by Voices – Under the Bushes Under the Stars [two songs only, credited to "Fluss"] (1996)
Veruca Salt – Blow It Out Your Ass It's Veruca Salt (1996)
Jon Spencer Blues Explosion – Acme (1998)
Will Oldham – Little Joya (1998)
Dirty Three – Ocean Songs (1998)
The Ex – Starters Alternators (1998)
Dirty Three – Ufkuko (1998)
Bedhead – Transaction de Novo (1998)
Nina Nastasia – Dogs (1999)
Low – Secret Name (1999)
Shannon Wright – Maps of Tacit (2000)
The Ex – Dizzy Spells (2001)
Shannon Wright – Dyed in the Wool (2001)
Danielson Famile – Fetch the Compass Kids (2001)
Labradford – Fixed::Context (2001)
Mogwai – "My Father My King" (2001)
The New Year – Newness Ends (2001)
Low – Things We Lost in the Fire (2001)
Nina Nastasia – The Blackened Air (2002)
Bellini – Snowing Sun (2002)
The Breeders – Title TK (2002)
Godspeed You! Black Emperor – Yanqui U.X.O. (2002)
Dionysos – Western sous la neige (2002)
Dead Man Ray – Cago (2002)
Jon Spencer Blues Explosion – Plastic Fang (2002)
Scout Niblett – I Am (2003)
Songs: Ohia – The Magnolia Electric Co. (2003)
Nina Nastasia – Run to Ruin (2003)
Shannon Wright – Over the Sun (2004)
Electrelane – The Power Out (2004)
The Ex – Turn (2004)
Scout Niblett – Uptown Top Ranking (2004)
Mono – Walking Cloud and Deep Red Sky, Flag Fluttered and the Sun Shined (2004)
Electrelane – Axes (2005)
Scout Niblett – Kidnapped by Neptune (2005)
Magnolia Electric Co. – What Comes After the Blues (2005)
Mono – You Are There (2006)
Joanna Newsom – Ys (2006)
Nina Nastasia – On Leaving (2006)
Chevreuil – (((Capoëira))) (2006)
Nina Nastasia + Jim White – You Follow Me (2007)
Scout Niblett – This Fool Can Die Now (2007)
The Breeders – Mountain Battles (2008)
Mono – Hymn to the Immortal Wind (2009)
Jarvis Cocker – Further Complications (2009)
Magnolia Electric Co. – Josephine (2009)
Motorpsycho – Child of the Future (2009)
Sparklehorse – Bird Machine (2009)
Scout Niblett – The Calcination of Scout Niblett (2010)
The Ex – Catch My Shoe (2010)
Nina Nastasia – Outlaster (2010)
Joan of Arc – Life Like (2011)
Cloud Nothings – Attack on Memory (2012)
The Cribs – In The Belly of the Brazen Bull (2012)
Bonnie 'Prince' Billy – Now Here's My Plan (2012)
Esben and the Witch – A New Nature (2014)
Screaming Females – Live at the Hideout (2014)
Mono – Requiem For Hell (2016)
Ty Segall – s/t (2017)
The Cribs  – 24/7 Rock Star Shit (2017)
METZ – Strange Peace (2017)
Ben Frost — The Centre Cannot Hold (2017)
The Breeders – All Nerve (2018)
Mono – Nowhere Now Here (2019)
Sunn O))) – Life Metal (2019)
Sunn O))) – Pyroclasts (2019)
Ty Segall & Freedom Band – Deforming Lobes (2019)
Mono – Pilgrimage of the soul (2021)
Nina Nastasia – Just Stay in Bed (2022)

jeudi 9 mai 2024

Que le meilleur survive

J'ai fait deux enfants. Enfin... je les ai pas vraiment faits, ils se sont faits tout seuls. Enfin... ils se sont pas vraiment fait tout seuls, on se comprend. Parfois, on est conduit pas par sa tête, pas par la raison, parfois, on est conduit par l'espèce. Par les phéromones. Par le guidon. Par l'Amour peut-être. L'Amour, c'est le piège, l'astuce, le vertige qu'a trouvé l'espèce pour qu'on soit toujours là, à se reproduire quand même. À travers et malgré l'absurde, à travers et malgré l'immensité de la saloperie humaine, à travers et malgré l'horreur de chaque fin de vie, à travers et malgré la catastrophe annoncée. Peut-être l'amour, c'est l'astuce, le piège que l'espèce a trouvé pour qu'on continue à se perpétuer.

J'ai fait deux enfants. Enfin... c'est pas vraiment moi, c'est l'Amour. C'est l'Amour dans ses débuts, c'est l'Amour dans sa fin, quand il n'y en a plus. Certains enfants sont des cadeaux "pot de départ", d'autres, des cadeaux de bienvenue, un souvenir de ce qu'un jour on s'est aimés. On fait un enfant souvenir et puis "bon courage", "longue vie", "à la prochaine", "je demanderai aux gamins un de ces jour de tes nouvelles".

Peut-être qu'on fait des enfants pour ne jamais, jamais, jamais se retrouver à écrire des chansons aussi tristes que Kinou. Nino Ferrer, le rigolo a écrit les chansons les plus tristes de la Terre : le "jardin des statues où court l'enfant qu'on n'a pas eu". La deuxième chanson la plus triste de toute la chanson française. Tu m'étonnes qu'on se tire un coup de fusil tranquille quand on est capable d'écrire ce genre de tristesse infinie, et la maison près de la fontaine, et la rua madureira, et chanson pour Nathalie.  Je l'ai vu en concert ,Nino Ferrer, à Lyon en 1993, complètement dégoûté par son public à la con qui ne voulait entendre que Le téléphon.

J'ai fait deux enfants et maintenant le rapport du GIEC me dit qu'il reste trois ans à la Terre entière pour freiner à fond, "inverser la courbe" comme ils disent, repartir en arrière, redresser l'espace-temps. Trois ans pour faire tourner la Terre en arrière sur elle-même, comme Superman pour Lois Lane, autant dire, quoi... suicide direct! Il reste trois ans. Je ne vois plus qu'une dictature mondiale éclairée pour tenter de nous sauver. Je suis candidat, évidemment, bien sûr. Pourquoi pas ? Il faut bien que quelqu'un se sacrifie. Sinon, on s'en sortira pas.

J'ai fait deux enfants. C'est comme si je les avais lancés dans la fin du monde en plein dans Je suis une légende, L'armée des 12 singes, La guerre des mondes, World War Z, mélangés dans un seul film très pourri.

J'ai fait deux enfants. Et la plus grande probabilité, c'est qu'il survivent comme dans le bouquin La route de Cormac McCarthy.

J'ai fait deux enfants. Et je vois de très loin la mort arriver, mais très vite, à la vitesse d'un cheval supersonique. Qu'est-ce que je vais leur dire ? "Au revoir les enfants, adieu, courage, bonne chance mes poussins pour la guerre mondiale thermonucléaire. Go, go, go, que le meilleur survive! Évitez de vous manger l'un l'autre. Papa est désolé de vous avoir envoyés dans cette merde, pardonnez moï, je savais pas ce je faisais. C'était pas moi, c'était l'espèce qui parlait, c'était le guidon qui conduisait ".

"Souvenez-vous, quand même, si jamais.... Souvenez-vous quand même, si jamais, que papa il vous aimait."

Bruit noir - deux enfants
IV / III (2023)

mercredi 1 mai 2024

Une victoire sur les éléments

Le dernier livre de Sophie Fontanel, c'est d'abord un pitch astucieux : "Admirable. L'histoire de la dernière femme ridée sur Terre". Ne pas s'attendre cependant à un roman dystopique, l'autrice a choisi la forme du conte, ce qui lui permet d'adresser son sujet sans s'embarrasser d'un univers fouillé, complexe et cohérent. Je suis donc resté sur ma faim.

Dans ce premier extrait, deux femmes discourent des opérations de chirurgie esthétique destinées à masquer les effets du vieillissement. Notons au passage qu'il est désormais communément admis de la part des féministes qu'il ne faut plus railler les femmes y ayant recours (because le patriarcat)

J'avais dit : "On n'est même pas certaines que cela plaise aux hommes, tous ces visages refaits." La femme avait posé la main sur mon bras : "Vous vous trompez, c'est bien pire que ça. Beaucoup parmi les hommes puissants présents ici préfèrent les femmes refaites aux autres (*), tout simplement parce qu'elles avouent de la sorte que, pour être désirée, pour approcher un phallus, pour un totem, en quelque sorte, elles peuvent aller jusqu'à se scarifier. En plus, tout le monde le voit, leur allégeance est publique. Pour ces hommes, c'est une victoire sur les éléments. La femme objet est leur possession. Et c'est important pour eux, car même les hommes omnipotents, et peut-être surtout eux, ont peur de perdre leur puissance."
— Oui mais là, maintenant...
— Une amie photographe m'interdisait de me moquer de toutes ces femmes refaites. Elle disait que se moquer d'elles, cela revenait à se moquer de quelqu'un qui a un oeil de verre. Et que c'était ne rien voir de la faiblesse, du désarroi, de la naïveté. 

Sophie Fontanel, Admirable (2023)

 (*) ndlr : On peut supposer que les hommes puissants dont il est question ici trouveront encore plus valorisant d'avoir à leur bras une femme bien plus jeune