Second extrait de "Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes". On passera sur les péripéties et déboires rencontrées par Remington, pour terminer sur cette réflexion de fin de roman sur la vieillesse.
Bien que Serenata trouve étonnant le fait de vieillir, elle savait que ce sentiment était ordinaire ; en revanche, ce qui était extraordinaire, c'étaient les rares vieux qui acceptaient leur désintégration comme inéluctable. Par ailleurs, ne pas avoir existé avant d'avoir été conçu était étonnant aussi ; exister alors qu'on n'existait pas auparavant était étonnant; puis ne plus exister : d'accord, oui, bon, c'était étonnant aussi. Allez savoir si le néant n'était pas l'état le plus facile à concevoir, l'état le plus naturel - celui qui n'exigeait pas d'imagination. Auquel cas, ne pas avoir existé auparavant n'était pas étonnant alors que le fait d'exister l'était ; et, par la suite, ne plus exister de nouveau n'était pas étonnant non plus. Le passage difficile se situait entre deux : la longue et lente expiration qui allait du fait d'exister au néant. Il aurait été tellement plus gentil de pouvoir tourner le bouton comme sur un appareil. L'interminable altération graduelle du corps alors que son hôte restait toujours prisonnier à l'intérieur était comme une torture qui aurait pu être imaginée à Guantanamo ou à Bergen-Belsen. Tout grand âge était une nouvelle d'Edgar Allan Poe.
Lionel Shriver, Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes (2021)