jeudi 9 janvier 2020

Le monde de Tchernobyl

Si l'écriture de la mini-série "Chernobyl" est une telle réussite, c'est qu'elle mêle Histoire et histoires, c'est-à-dire le récit de l'accident nucléaire (qui a confronté l'humanité à une situation inédite, prenons-en la mesure), et celui de la destinée d'une galerie de personnages, tous concernés d'une manière ou d'une autre.

Cette dernière dimension est reprise en grande partie du livre de la journaliste et autrice Svetlana Aleksievitch "La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde après l'apocalypse". Pour l'écrire, elle a rencontré plus de cinq cent témoins.

"Un événement raconté par une seule personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l’Histoire." Et c'est bien ce qu'a prouvé Claude Lanzmann avec "Shoah".

Je m'apprête dans les jours qui viennent à vous en rapporter certains passages (sans spoiler). Le témoignage qui ouvre le livre est celui de Lyudmilla Ignatenko, femme d'un pompier appelé en pleine nuit pour une intervention.

Nous étions jeunes mariés. Dans la rue, nous nous tenions encore par la main, même si nous allions au magasin... Je lui disais : “Je t’aime.” Mais je ne savais pas encore à quel point je l’aimais... Je n’avais pas idée... Nous vivions au foyer de la caserne des sapeurs-pompiers où il travaillait. Au premier étage. Avec trois autres jeunes familles. Nous partagions une cuisine commune. Et les véhicules étaient garés en bas, au rez-de-chaussée. Les véhicules rouges des pompiers. C’était son travail. Je savais toujours où il était, ce qui lui arrivait. Au milieu de la nuit, j’ai entendu un bruit. J’ai regardé par la fenêtre. Il m’a aperçue : “Ferme les lucarnes et recouche-toi. Il y a un incendie à la centrale. Je serai vite de retour.”


Je n’ai pas vu l’explosion. Rien que la flamme. Tout semblait luire... Tout le ciel... Une flamme haute. De la suie. Une horrible chaleur. Et il ne revenait toujours pas. La suie provenait du bitume qui brûlait. Le toit de la centrale était recouvert de bitume. Plus tard, il se souviendrait qu’ils marchaient dessus comme sur de la poix. Ils étouffaient la flamme. Ils balançaient en bas, avec leurs pieds, le graphite brûlant... Ils étaient partis comme ils étaient, en chemise, sans leurs tenues en prélart. Personne ne les avait prévenus. On les avait appelés comme pour un incendie ordinaire...


Svetlana AleksievitchLa Supplication (1997)
Craig MazinChernobyl (2019)

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